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VI. Synthèse et Problématique générale

VII.3. Expérience 1 de décision lexicale visuelle

VII.3.3. Discussion de l’Expérience 1

Cette expérience de décision lexicale montre qu’alors que la fréquence d’occurrence a affecté la reconnaissance des verbes d’action et des noms concrets d’une manière semblable, les effets d’AdA se sont exprimés différemment pour les deux catégories de mots. Conformément aux données empiriques, les temps de réponse moyens pour les noms appris précocement étaient plus courts que pour les noms appris tardivement. En revanche, une telle différence entre les items précoces et tardifs n’a pas été démontrée pour les verbes d’action. Il est toutefois important de noter que des effets d’AdA ont été précédemment obtenus pour des verbes dans des tâches différentes, utilisant notamment la production orale de mots (i.e. dénomination de mots ou d’images, Bogka et al., 2003 pour les langues anglaises et grecques ; Bonin et al., 2004 pour la langue française ; Colombo & Burani, 2002 pour l’italien ; Morrison et al., 2003 pour l’anglais). Aussi nos résultats ne doivent-ils pas être interprétés comme preuve formelle que le traitement des verbes d’action n’est jamais influencé par l’AdA. Les effets d’AdA semblent s’exprimer différemment en fonction de la tâche

utilisée, et donc en fonction des aspects du traitement des mots qui sont sollicités (i.e. lexique phonologique de sortie dans les tâches de production de mots vs. étapes de traitement d’entrée dans les tâches de décision lexicale ; Ghyselink et al., 2004). Notre étude illustre donc qu’au sein d’une même tâche, menée chez les mêmes participants et utilisant des stimuli appariés sur les variables lexicales les plus pertinentes, les effets de l’AdA estimé subjectivement affectent les performances de reconnaissance des verbes d’action et des noms concrets différemment. Ces effets d’AdA distincts suggèrent donc que, au moins à certains niveaux de traitement, la manière dont l’information est stockée et traitée dans le cerveau diffère pour les deux catégories de mots.

Les études menées chez les patients cérébro-lésés et les sujets sains ont suggéré que les informations à la fois grammaticale et sémantique sous-tendent l’existence de réseaux neuronaux partiellement distincts dans le traitement des noms et des verbes (Caramazza & Hillis, 1991 ; Pulvermüller et al., 1999bc ; Rapp & Caramazza, 1998, 2002 ; Shapiro et al., 2001, 2005, 2006 ; Vigliocco et al., 2006). Plus particulièrement, Pulvermüller (1996a, 1999a, 2001a) a proposé que les représentations neuronales des noms, associés à des objets, incluent les aires périsylviennes du langage et les aires temporo-occpitales visuelles, alors que les corrélats neuronaux des verbes, associés à des actions, se trouveraient, outre dans les aires périsylviennes, dans les régions motrices. A cet égard, de récentes études d’imagerie cérébrale ont démontré que les régions corticales motrices sont activées lors du traitement de mots ou de phrases liés à des actions, suggérant que les représentations d’actions désignées par ces mots jouent un rôle important dans l’organisation des assemblées de cellules correspondantes (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk et al., 2004ab ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Shtyrov et al., 2004 ; Tettamanti et al., 2005). Compte tenu de ces données, nous pouvons alors supposer que, dans notre étude, l’absence d’effet d’AdA sur le traitement des verbes d’action puisse résulter d’une incapacité à apprécier l’âge réel d’apprentissage de ces mots dans des estimations subjectives d’AdA de leur forme verbale, leur composante motrice n’étant pas réellement prise en compte. Autrement dit, l’AdA n’aurait pas affecté les temps de réponse pour les verbes d’action car les items précoces et tardifs ne diffèreraient pas réellement en termes d’âge d’apprentissage si cette composante motrice avait été évaluée au même titre que la forme verbale des mots. Cette interprétation suggère donc que l’AdA soit un indice valide de l’organisation de l’information relative aux mots dans le cerveau, mais que pour les verbes d’action, comparés aux noms concrets sans association motrice spécifique,

l’information sémantique des actions auxquelles ils se réfèrent constitue également un facteur déterminant dans la mise en place de leurs représentations neuronales au cours de l’apprentissage. Ainsi, l’âge auquel le sens des verbes d’action est appris pourrait dépendre à la fois de l’AdA de la

des verbes ne contenant pas une telle composante motrice, à savoir des verbes désignant des actions n’appartenant pas à notre répertoire moteur. Des études récentes ont en effet révélé qu’alors que l’observation d’actions pouvant être effectuées à la fois par les hommes et les animaux (e.g. mordre) active des régions communes dans le cerveau, l’observation d’actions spécifiques aux hommes (e.g. écrire) et aux animaux (e.g. aboyer) active des régions corticales distinctes (Buccino et al., 2004a ; Mason et al., 2004). Ainsi, la reconnaissance des actions qui nous sont propres active, entre autres, notre cortex prémoteur, tandis que le traitement des actions qui ne peuvent être effectuées que par les animaux recrute uniquement les aires temporo-occipitales visuelles (Buccino et al., 2004a). Nous avons alors émis l’hypothèse selon laquelle, si l’absence d’effet d’AdA pour les verbes d’action dans notre étude découle réellement d’une contribution majeure de leur composante motrice, non contrôlée dans les estimations d’AdA de la forme verbale des mots, dans la mise en place de leurs corrélats neuronaux, les effets d’AdA devraient se manifester pour des verbes désignant des actions n’appartenant pas au répertoire moteur humain, mais plutôt reconnaissables sur les plans visuel et auditif comme les noms concrets.