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IV. Deux traductions : deux époques

IV.II Caractéristiques générales propres à chacune des traductions

2) Traduction de Pierre Goubert

Notes

La traduction de Pierre Goubert est annotée. Ses notes, au nombre de 113 notes exactement, constituent selon moi un apport à la traduction. Elles reprennent certaines des notes de la version originale ou apportent des précisions et des explications sur certains termes de l’époque, des jeux, des objets, des habitudes ou des coutumes. Elles permettent de mieux comprendre le monde dans lequel évoluaient les personnages du roman et nous aident ainsi aussi à s’y plonger. Toutefois, rien n’indique au lecteur de la traduction que les notes en question reprennent éventuellement les notes présentes dans l’édition du texte original que j’ai consultée (c’est-à-dire la version de Pride and Prejudice parue chez Penguin Books en 2003) ou qu’il s’agit uniquement d’explications apportées par M. Goubert. Toutes les notes sont présentées comme étant l’œuvre du traducteur.

Traduction plutôt naturalisante

Selon, moi le traducteur a décidé d’adopter une stratégie plutôt cibliste pour produire une traduction naturalisante, son but étant de rapprocher le texte cible de la culture cible : les titres ont été francisés (Mrs.→ Mme, Mr. → M., …) à l’exception des titres qui n’ont pas réellement d’équivalents dans le monde francophone (tels que Sir et Lady). Les lieux (de résidence par exemple) le sont également (Lucas Lodge (p. 126) devient le Pavillon de Lucas (p. 170)) et les mesures sont converties (les miles deviennent des lieues).

Modes et temps verbaux

Comme Mmes Leconte et Pressoir, M. Goubert a opté pour une foison de subjonctifs imparfaits qui contribuent à donner un aspect archaïque au texte. Les dialogues semblent ainsi mieux se replacer dans leur contexte historique.

Stratégie pour la traduction du « you »

Contrairement à ses deux consœurs, Pierre Goubert n’a pas adopté une stratégie uniforme pour la traduction du « you » : il utilise tantôt le tutoiement, tantôt le vouvoiement, selon les relations des personnages qui conversent :

• les parents se vouvoient.

• les enfants vouvoient leurs parents, mais ceux-ci les tutoient.

• les adultes tutoient les plus jeunes, mais ces derniers les vouvoient. (Mrs. Bennet tutoie Charlotte Lucas, qui la vouvoie).

• les amis se tutoient (Mr. Darcy et Mr. Bingley se tutoient, tout comme Elizabeth et Charlotte) ; toutefois, le tutoiement se limite aux amis intimes, car Mlle Bingley et Darcy se vouvoient.

• les frères et sœurs se tutoient également (Jane et Elizabeth se tutoient).

• les nouvelles connaissances se vouvoient (par exemple Mr. Darcy et Sir Lucas).

• les personnages d’un rang social supérieur vouvoient les gens qu’ils considèrent comme leurs inférieurs et inversement (Lady Catherine de Bourgh et Elizabeth Bennet se vouvoient).

• les nouveaux amoureux se vouvoient également (Darcy et Elizabeth se vouvoient).

Typographie

Comme la traduction de Mmes Leconte et Pressoir, la traduction de M. Goubert n’est pas toujours fidèle à l’original sur le plan typographique ; souvent l’italique de l’anglais n’est pas reproduit en français. A la page 51, par exemple, l’italique qui est employé pour souligner « did » et « which » (p.20) n’est pas utilisé dans la version française : « did » n’est simplement pas traduit et « which » est rendu par « laquelle » en caractère romain.

Exactitude du contenu

La traduction de M. Goubert n’est pas tout à fait complète. Bien que les omissions soient beaucoup moins nombreuses que chez Mmes Leconte et Pressoir, certaines phrases n’ont pas non plus été traduites. Par exemple, la phrase « When the ladies were separating for the toilette, he said to Elizabeth. » (p.157) n’a pas été rendue dans la traduction française.

Expressions peu courantes

A la lecture de cette traduction, j’ai été frappée par des expressions qui m’étaient inconnues, et que je trouvais un peu étranges. Bien que celles-ci donnent une coloration ancienne au texte, je ne suis pas pleinement convaincue de leur exactitude et de l’époque à laquelle elles correspondent. J’en citerai ci-après quelques-unes :

Atteindre à la moitié de (p.72) (pour « […] I wish it may be half as delightful as Pemberley. » p. 38)

• Parmi des sourires complaisants et des marques d’encouragement qui ne la commettaient pas (p. 107) (pour « […] amid very complaisant smiles and general encouragement […] », p. 70).

Sapajous (p. 110) (pour « disagreeable fellows » de la page 72)

Pierre Goubert a également utilisé des termes peu courants, tels que bénéficence (p. 98) pour traduire l’anglais beneficence (p. 61). Le Littré mentionne ce mot comme étant un

« synonyme peu usité de bienfaisance » et le date du XVIe siècle.55 Imprécisions et erreurs

J’ai relevé plusieurs imprécisions dans le texte. Les imprécisions sont de type multiple (lexical, structurel, etc.). La traduction compte des imprécisions lexicales, telles que la traduction de « nectarines » (p. 256) par « brugnons » en français (p. 310), qui sont deux sortes différentes de pêche, toutes deux à peau lisse, mais à noyau libre pour la première et à noyau adhérent pour le second. Je ne m’explique pas vraiment ce choix de traduction, d’autant plus que le terme anglais est identique à son équivalent français. Le texte compte aussi quelques « oublis » qui font l’effet de perte, tels que l’absence de la durée de la conversation entre M. Collins et Mme Bennet dans le chapitre XV du premier volume, à la page 70. « The next morning, however, made an alteration; for in a quarter of an hour’s

55 Bénéficence : définition de bénéficence et synonyme de bénéficence (français), in sensagent –dictionnaires et traducteurs, consulté le 16 juillet 2010, http://dictionnaire.sensagent.com/b%C3%A9n%C3%A9ficence/fr-fr/

tête-à-tête with Mrs. Bennet before breakfast […] » (p.70) est traduit par « La matinée du lendemain pourtant produisit un changement : au cours d’un tête-à-tête avec Mme Bennet avant le petit-déjeuner […] » (p. 106).

En ce qui concerne les erreurs, elles concernent les noms de lieu (« Longbourn » (p. 59) devient « Londres » (p.95)), des chiffres, les « four days » (p.76), par exemple, sont traduits par « trois jours » (p.114).

Contresens et faux sens

La traduction compte quelques contresens et faux sens, notamment dans la phrase suivante :

« The Miss Webbs all play, and their father has not so good an income as your’s. […] » (p.161), lancée par Lady Catherine de Bourgh à l’encontre d’Elizabeth Bennet, qui a été traduit par « Aucune des demoiselles Webb ne joue du piano, et leur père n’a pas un aussi bon revenu que le vôtre. […] » (p.206).

Incohérences

Le texte de Pierre Goubert présente quelques incohérences. Par exemple, des termes ne sont pas traduits de la même manière, comme « breakfast » aux pages 33 et 34 qui a été rendu la première fois par « déjeuner » à la page 67 et la seconde fois, dans le même chapitre, et à peine quelques paragraphes plus bas, par « petit déjeuner », toujours à la même page, quelques lignes plus loin dans le texte.

Divergence du point de vue des notes entre l’original et la traduction

Les notes proposées par M. Goubert sont fort utiles et intéressantes certes, mais lorsqu’elles font référence aux notes existant dans l’original, elles ne vont pas toujours dans le même sens que ces dernières. Par exemple : les notes au sujet des Sermons de Fordyce ou celles sur le jeu de loterie (p.110) à la page 461 de la traduction indiquent qu’il s’agit d’un «jeu de cartes pour un nombre quelconque de joueurs, entre cinq et douze. » alors que, dans l’original, les « lottery tickets » (p. 73) sont présentés comme « a round game at cards, in which prizes are obtained by the holders of certain cards (OED). » (p. 425 de la version originale).

L’explication donnée dans l’original est bien plus claire et plus précise que celle présentée dans la traduction ; cette dernière est toutefois quelque peu complétée par la note attribuée à l’expression « réclamer ses lots » (p.113), dont le contenu est le suivant:

« Chacun verse sa mise (des jetons) au début de chaque partie. Les mises, placées sur des cartes couvertes, constituent des lots inégaux. Une nouvelle distribution des cartes attribue des lots.). » (p.461)