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VII. La demande en mariage

VII.II Analyse des passages retenus dans les traductions

15. Les références

J’ai relevé deux types de références dans le roman de Jane Austen. D’une part les références à d’autres passages à l’intérieur du roman, d’autre part les références à un autre auteur. Pour les quatre passages qui m’intéressent ici, j’en ai compté trois pour le premier type et une seule pour le second.

1) Seconde demande de Mr. Darcy : passage n° 1

Original Leconte et Pressoir Goubert

If your feelings are still what they were last April, […]

(p. 346)

Si les vôtres sont les mêmes qu’au printemps dernier, […]

(p. 348)

Si vos sentiments sont demeurés ce qu’ils étaient au mois d’avril dernier, […]

(p.413)

L’expression « last April » fait référence à la première demande de Mr. Darcy dans le Kent, demande qui s’est soldée par un refus.

Leconte et Pressoir ont omis la précision que présente l’original en traduisant par « au printemps dernier », une expression qui, bien qu’elle englobe effectivement le mois d’avril, est beaucoup moins précise. La référence à l’événement en question est cependant maintenue. Goubert, quant à lui, a gardé la précision et a même donné dans l’étoffement en traduisant « last April » par « au mois d’avril dernier ». Les deux traductions remplissent le même rôle que le syntagme du texte original, à savoir faire référence à un autre événement décrit dans le roman. Elles diffèrent toutefois par des nuances.

2) Seconde demande de Mr. Darcy : passage n° 2

Original Leconte et Pressoir Goubert

“[…] Your reproof, so well

Dans le cas présent, Mr. Darcy fait non seulement référence à un autre passage du livre, sa première demande en mariage, mais à un dialogue bien précis en citant les mots même qu’Elizabeth avait alors employés (cf. p.188). Cette citation est indiquée en anglais par l’utilisation de guillemets simples à l’intérieur de guillemets doubles.

La traduction de Leconte et Pressoir n’est pas très cohérente. En effet, les deux traductrices mettent la phrase en évidence et font ressortir le fait qu’il s’agit d’une citation en utilisant des guillemets et en ajoutant même l’incise « m’avez-vous dit », qui attribue clairement les propos entre guillemets à Elizabeth. Cependant, le contenu de la citation ne correspond pas à la traduction qu’elles ont faite des mêmes mots lors de leur première occurrence au chapitre XI. Dans ce chapitre, elles ont traduit les propos d’Elizabeth comme suit : « […] si vous vous étiez exprimé d’une manière plus digne d’un gentleman. », traduction qui ne correspond d’ailleurs pas vraiment au texte original, puisqu’elles ont remplacé l’idée de comportement « behaved » par le verbe « exprimer ». La traduction qu’elle donne du passage ci-dessus correspond effectivement au sens du texte original, mais pas à leur première traduction. La ponctuation qu’elles ont utilisée dans le passage ci-dessus ainsi que l’incise qu’elles ont ajoutée n’a donc pas réellement de sens, puisque la citation n’en est pas vraiment une et pourrait donner l’impression que Mr. Darcy ne se souvient pas précisément des termes employés par Elizabeth. Leconte et Pressoir induisent le lecteur francophone en erreur : ce dernier est tenté de croire que Mr. Darcy n’a pas été aussi marqué par les mots durs d’Elizabeth que dans le texte original puisqu’il ne s’en souvient pas exactement.

L’image de Mr. Darcy est déformée : sous la plume de Jane Austen, il est bel et bien marqué par le reproche d’Elizabeth puisqu’il affirme ne jamais pouvoir l’oublier et qu’il le prouve en citant mot pour mot ce qu’elle lui a dit des mois auparavant.

Goubert a, pour sa part, repris mot pour mot la traduction qu’il a donnée de cette phrase en page 234. Il la met également en exergue comme citation.

3) Seconde demande de Mr. Darcy : passage n° 3

Original Leconte et Pressoir Goubert

[...] The turn of your

Darcy fait toujours référence à sa première demande et aux reproches qu’Elizabeth lui avait alors adressés. Il ne la cite cependant pas comme dans le passage précédent, mais paraphrase ce qu’elle a dit dans le chapitre XI, à savoir « You could not have made me the offer of your hand in any possible way that would have tempted me to accept it. » (p.188).

Leconte et Pressoir ont, comme dans le passage précédent, fait ressortir la phrase en question comme étant une citation (utilisation des guillemets). De nouveau, la phrase qu’elles indiquent comme une citation ne correspond pas à leur traduction des propos tenus au chapitre XI, qui étaient: « Sous quelque forme que se fût produite votre demande, jamais je n’aurais eu la tentation de l’agréer » (p.194). Cette traduction se rapproche bien entendu de celle qu’elles donnent dans le passage ci-dessus, puisque les mots que Mr. Darcy emploie ici sont une paraphrase du reproche lancé par Elizabeth. En ce sens, la traduction de Leconte et Pressoir est assez proche du texte original. Le problème est qu’elle induit une nouvelle fois le lecteur en erreur puisqu’elle lui présente une citation qui n’en est pas une et, ce qui, à nouveau, fausse l’image de Mr. Darcy.

Goubert ne présente pas sa traduction de « I could not have addressed you in any possible way, that would induce you to accept me » comme une citation, mais garde l’idée, présente dans l’original, que Mr. Darcy évoque ici les mots d’Elizabeth, même s’il ne fait que les

paraphraser, en traduisant « as you said » par « lorsque vous m’avez dit ». Il ne reprend ensuite donc pas sa traduction de «You could not have made me the offer of your hand in any possible way that would have tempted me to accept it. » (p. 188) qui était « Vous n’auriez pu m’offrir votre main d’aucune manière susceptible de me donner l’envie de l’accepter. »(p.234). Il reprend en revanche la même expression « m’offrir votre main », ce que Mr. Darcy ne fait pas dans l’original puisqu’il utilise deux expressions différentes : la première fois « to make the offer of one’s hand » et la seconde « to address somebody ».

Goubert a traduit « induce you to accept me » par « vous donnant l’envie de l’accepter ». Il a donc changé de perspective puisqu’il s’agit pour Elizabeth non plus d’accepter Mr. Darcy, pronominalisé par « me », mais sa main. Dans ce passage, comme dans le chapitre XI, Pierre Goubert utilise la même expression « donner l’envie » pour traduire deux expressions différentes dans le texte original : « would have tempted me to accept it » (p. 188) et

« would induce you to accept me » (p.348). Il induit par conséquent le lecteur quelque peu en erreur, en glissant dans la bouche de M. Darcy à deux reprises les expressions qu’Elizabeth avait utilisées avant lui, ce que Mr. Darcy ne fait pas dans le texte original.

L’effet sur le lecteur n’est pas aussi néfaste que celui de la traduction de Leconte et Pressoir, mais il n’est pas non plus bénin.

Je vais à présent me pencher sur la référence à un autre auteur qui apparaît dans le chapitre XIX du volume I. Si elle est la seule référence de ce genre sur les quatre passages analysés, elle n’est pas la seule du roman. En effet, Jane Austen fait, par exemple, allusion au Sermons de Fordyce au chapitre XIV.

1) Seconde demande de Mr. Darcy : passage n° 4

Original Leconte et Pressoir Goubert

“[…] Do not consider me

135 rational creature : Cf. Mary Wollstonecraft in Vindication of the Rights of Woman (1792) : ‘My own sex, I hope, will excuse me if I treat them like rational creatures, instead of flattering their fascinating graces, and viewing them as if they were in a state of perpetual childhood, unable to stand alone’ (ed. Miriam Brody, Harmondsworth : Penguin, 1996, p.- 81)

heart.”

(p. 106)

toute sincérité.

(p. 120)

de raison qui parle sincèrement et du fond du cœur. (p.149)

La version sur laquelle je me suis basée pour rédiger le présent travail est dotée de la note suivante pour commenter l’expression « rational creature » :

« rational creature : Cf. Mary Wollstonecraft in Vindication of the Rights of Woman (1792) : ‘My own sex, I hope, will excuse me if I treat them like rational creatures, instead of flattering their fascinating graces, and viewing them as if they were in a state of perpetual childhood, unable to stand alone’ (ed. Miriam Brody, Harmondsworth : Penguin, 1996, p.- 81)

Jane Austen fait donc ici référence à l’une de ses contemporaines. Afin de juger si les traducteurs avaient tenu compte de cette référence, que du moins ils ne signalent pas dans leur traduction, je me suis procuré la traduction de ce roman, faite par Mme Marie-Françoise Cachin et qui date de 1976. Dans celle-ci, la traductrice traduit « rational creature », qui est repris dans le passage ci-dessus par Jane Austen, par « créatures rationnelles ». Malheureusement, au vu de la date, seul Goubert a pu avoir accès à ce texte et aurait donc pu utiliser la traduction de Mme Cachin. Il ne l’a pas fait ; la référence à Mary Wollstonecraft de Jane Austen n’a donc pas été traduite.

Il existe une traduction plus ancienne, datant de 1792, mais je n’ai pas pu y avoir accès.

Ainsi, mon analyse ne peut pas vraiment être objective. Je tenais toutefois à signaler qu’il y avait dans les passages analysés une référence à un autre auteur, en l’occurrence une autre écrivain anglaise. Je déplore donc de n’avoir pu pousser mon analyse plus loin, faute de ressources.

D’un point de vue purement traductionnel, il convient de souligner que Leconte et Pressoir ont traduit « creature » par « personne » et ne rendent donc pas la nuance de l’anglais. Je précise que « creature » peut revêtir trois sens à savoir, selon le Collins :

1. a living being, especially an animal

2. something that has been created, whether animate or inanimate.

3. a human being ; person : used as a term of scorn, pity or endearment.

La traduction de Leconte et Pressoir reflète un choix d’interprétation ; elle est plus précise que le texte original. Les deux traductrices ont traduit « reasonable » par « raisonnable ».

Goubert, quant à lui, a conservé l’ambiguïté polysémique de « creature » en le traduisant par « être », qu’il qualifie de « doué de raison ». Il a ainsi étoffé « reasonable ».

Au vu de l’analyse que j’ai effectuée des quatre passages retenus, force m’est de constater que Leconte et Pressoir n’ont pas été rigoureuses dans la traduction des références. Au contraire, leur traduction aurait tendance à induire le lecteur en erreur et à lui donner une image faussée de Mr. Darcy. Goubert, pour sa part, a beaucoup mieux réussi sa traduction sur ce plan-là.