• Aucun résultat trouvé

Synthèse Bibliographique : l’intérêt du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires

II. Les proxies : traceurs des paléotempératures de l’océan

2. Les traceurs organiques

2.1. Les alcénones, U

k’37

Les alcénones sont des composés organiques lipidiques caractérisés par de longues chaînes carbonées (C37, C38, C39). Ils sont produits par des algues phytoplanctoniques, c’est-à-dire des organismes vivant dans la partie supérieure de la colonne d’eau marine, qui sédimentent alors dans les fonds marins avant d’être enfouis dans la colonne sédimentaire. C’est à partir de l’exploitation de ces carottes sédimentaires que les alcénones sont extraits et analysés comme archives via l’utilisation de la chromatographie (Volkman et al., 1980). Les organismes majoritairement utilisés pour l’analyse de ces lipides biomarqueurs sont les Coccolitophoridés, notamment les espèces Emiliania huxleyi et

Gephycrocapsa oceanica, réputées pour produire une grande quantité de lipides biomarqueurs

(Volkman et al., 1980; Marlowe et al., 1984). Leur production suit une logique d’alternance entre la production de molécules di-saturées (37 :2) et de molécules tri-saturées (37 :3), si bien que l’index des alcénones mesure le degré d’insaturation en calculant la quantité de molécules di-saturées relativement à la quantité de molécules di-saturées et tri-saturées, selon la formule suivante (Prahl and Wakeham, 1987) :

Uk’37 = [37 :2] / ([37 :2] + [37 :3])

Or, il s’avère que le degré d’insaturation des alcénones est proportionnel à la température de leur environnement. Les organismes produisent plus de molécules di-saturée (C37:2) lorsque la température de l’eau augmente (Marlowe et al., 1984; Brassell et al., 1986; Prahl and Wakeham, 1987). Une relation a permis d’établir un lien direct entre l’indice Uk’

37 et la température de croissance de ces organismes marins, avec une cohérence entre les études faites en cultures (Marlowe et al., 1984; Prahl et al., 1988) et les études sur le terrain (Prahl and Wakeham, 1987; Müller et al., 1998; Conte et al., 2006). Les calibrations diffèrent toutefois selon les études, avec une relation tantôt linéaire (Prahl and Wakeham, 1987; Müller et al., 1998; Figure 9), tantôt non-linéaire (Conte et al., 2006; Figure 9). En particulier, le caractère non-linéaire de la calibration rend difficile l’application des alcénones pour les extrêmes de températures océaniques, c’est à dire pour les eaux tropicales où les SST dépassent 28°C mais également pour les eaux polaires où la production d’alcénones par les coccolithophoridés est absente (Sikes and Volkman, 1993).

Comparé au δ18O, les alcénones présentent l’avantage d’être indépendant de la composition initiale de l’eau de mer. Egalement, grâce à leur préservation dans la colonne sédimentaire, ils ne sont pas, ou très peu, impactés par des effets de diagénèses. Toutefois, les principales incertitudes associées à l’utilisation des alcénones concernent la période de production des algues

31

phytoplanctoniques et donc de formation des alcénones, laquelle n’est pas constante au cours de l’année mais suit une production saisonnière. De fait, la température que ce traceur organique enregistre représente une température saisonnière. La conséquence est que des sur-estimations ou sous-estimations de changement de température peuvent être déduites selon que le pic de production d’algues phytoplanctoniques est favorisé en été, ou en hiver, respectivement (Müller et al., 1998; Conte et al., 2006). De même, la mesure locale des alcénones ne retrace pas nécessairement la température locale dans laquelle ils ont été échantillonnés. En effet, les transports latéraux des masses d’eau ou des algues peuvent induire un déplacement de ces alcénones, biaisant les reconstructions locales de températures (Weaver et al., 1999; Benthien and Müller, 2000). Enfin, bien que les alcénones aient fait leur preuve pour retracer les températures de surface, zone euphotique de formation des algues, elles ne permettent pas une reconstitution des températures des eaux intermédiaires et profondes (Müller et al., 1998).

L’erreur estimée sur les reconstructions de températures de surface basée sur l’étude des alcénones est de l’ordre de ± 1.2 à ± 1.5°C à 1σ (Conte et al., 2006).

32

Figure 9. (A) Corrélation observée entre l’Uk’37 mesuré sur des top-cores prélevés sur différents bassins océaniques et leur

température de croissance, suivant une relation linéaire (Müller et al., 1998). L’erreur estimée sur les reconstructions de température est de l’ordre de ± 1.5°C. (B) Corrélation observée entre l’Uk’37 mesuré sur des top-cores prélevés sur différents bassins océaniques et leur température de croissance, suivant une relation non-linéaire (Conte et al., 2006). L’erreur estimée sur les reconstructions de températures est de l’ordre de ± 1.2°C.

2.2. L’indice TEX

86

Au-delà des alcénones, les lipides contenus dans les membranes des crenarchaeota marins, de l’embranchement des Archées (microorganismes unicellulaires procaryotes), peuvent également être utilisés comme proxy de température. En effet, pour construire leur membrane, ces organismes vont sécréter du Glycerol Dyalkyl Glycerol Tetraethers (GDGTs), lesquels peuvent contenir jusqu’à 8 cyclopentanes. Or, il a été montré que la distribution de ces cyclopentanes est dépendante de la température du milieu où se développent ces organismes marins (Gliozzi et al., 1983; De Rosa and Gambacorta, 1988; Uda et al., 2001). Schouten et al. (2002) part de ce constat pour établir une

33

corrélation directe entre l’indice TEX86 (pour TetraEther indeX des lipides tetraethers composés de chaines de 86 atomes de Carbone), indicateur de l’abondance des molécules GDGTs, et la température de l’eau environnante lors de leur formation (Wuchter et al., 2005; Kim et al., 2008; Figure 10).

L’avantage de l’indice TEX86 comme paléothermomètre est qu’il est insensible aux effets de diagénèse, d’oxydation ou de microstructures, souvent observés sur les biocarbonates marins. Sa réponse est également indépendante de la composition initiale de l’eau de mer et de la salinité et, contrairement aux alcénones, ce traceur serait moins soumis aux processus d’advection latérale et de transports.

Cependant, les limites à l’utilisation du TEX86 restent que la croissance des GDGTs est saisonnière, leur production privilégiant une saison plutôt qu’une autre, rendant difficile la reconstruction des températures moyennes annuelles absolues. C’est le cas en mer du Nord par exemple, où la saison des blooms se fait en hiver, privilégiant ainsi l’enregistrement des températures océaniques hivernales (Herfort et al., 2006). De plus, la dépendance de l’indice TEX86 à la température suit une relation non-linéaire, conséquence de sa sensibilité amoindrie pour les eaux en-dessous de 5°C. Ce comportement limite l’applicabilité de ce traceur pour les eaux polaires (Kim et al., 2008). Pour outrepasser cette non-linéarité, Kim et al. (2010) propose deux calibrations distinctes, l’une au-dessus de 15°C et l’autre en-dessous de 15°C afin de mieux contraindre la relation du TEX86 avec les températures océaniques. Enfin, les GDGTs peuvent être contaminées par des apports terrigènes (Hopmans et al., 2004; Weijers et al., 2006).

L’incertitude de reconstruction des températures marines via le traceur TEX86 est de l’ordre de ± 2°C (Kim et al., 2010).

Figure 10. Figure extraite de Schouten et al. (2002) montrant l'étroite corrélation entre l'indice TEX86 et les températures