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Synthèse Bibliographique : l’intérêt du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires

II. Les proxies : traceurs des paléotempératures de l’océan

3. Les traceurs élémentaires

3. Les traceurs élémentaires

De nombreuses espèces biologiques marines telles que les coraux, bivalves, foraminifères ou coccolithophoridés forment un squelette minéral constitué de biominéraux de carbonate (CaCO3). Sous forme d’aragonite ou de calcite, ces minéraux calcaires incorporent majoritairement lors de leur précipitation du Ca, de l’ordre de 40% en pourcentage massique. Conjointement, d’autres éléments mineurs ou traces sont incorporés dans leur structure au fur et à mesure du dépôt, tels que par exemple le Li, le Mg, le Sr et l’U (Beck et al., 1992). L’incorporation de ces éléments dans le squelette, par exemple d’un corail, est directement liée au coefficient de distribution ou de partage de chacun des éléments, c’est-à-dire la capacité d’un élément à être soit incorporé dans un carbonate de calcium précipité, soit à rester dans la phase liquide, i.e. ici, le fluide endoplasmique. Il se définit comme tel :

Or, ce coefficient de distribution dépend directement de la température du milieu de vie de l’individu. Il devient alors intéressant de mesurer le rapport de certains de ces éléments mineurs ou traces par rapport au Calcium, élément chimique majeur et quasi-constant constituant le squelette. L’incorporation des éléments traces suit, dans une première approximation, une logique de fractionnement de Rayleigh, lequel dépend indirectement de la température. Ainsi, en mesurant précisément les concentrations de ces éléments rapportées à celle du calcium, il est possible de déterminer une température de précipitation, d’où leur potentiel comme puissants paléothermomètres. De plus, l’étude de certains éléments mineurs ou traces présente l’avantage, notamment par rapport au δ18O, que leur temps de résidence dans l’océan est souvent long, de l’ordre de quelques millions d’années, ce qui permet de retracer le climat et les environnements océaniques passés du Quaternaire sans que les reconstructions soient fortement affectées par des changements de composition d’eau de mer en réponse à la variabilité du volume des glaces.

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3.1. Le rapport Sr/Ca

C’est sur cette base qu’a notamment été développé dans les années 1970 le rapport élémentaire Sr/Ca, proxy largement utilisé dans les coraux, particulièrement pour les espèces tropicales (Weber, 1973; Smith et al., 1979; Corrège, 2006). En effet, le rapport Sr/Ca est inversement proportionnel à la température de l’eau dans laquelle le corail précipite (Weber, 1973; Smith et al., 1979; Shen et al., 1996; Sinclair et al., 1998; Fallon et al., 2003; Figure 11). Le Strontium possède un long temps de résidence dans l’Océan, de l’ordre de 3 à 5.106 années, suggérant un rapport Sr/Ca constant dans les eaux de mers au cours du temps pour les derniers cycles climatiques (Beck et al., 1992). La mesure du Sr/Ca permettrait, dès lors, de remonter directement à la température de précipitation du carbonate en s’affranchissant de la composition initiale de l’eau de mer, selon une équation linéaire de type :

Sr/Ca = a – b * SST(°C)

Des premières calibrations ont été établies en ce sens, permettant de retracer la température des eaux de surface avec une précision, dans un premier temps, de l’ordre de ± 3.0°C (Weber, 1973; Smith et al., 1979; de Villiers et al., 1995). L’amélioration des techniques de mesures, notamment le développement des spectromètres optiques ou de masse à source Plasma (ICP-OES, ICP-MS, TIMS), a d’abord permis de réduire les incertitudes analytiques (Beck et al, 1992), avant de développer, dans un deuxième temps, des calibrations plus précises réduisant ainsi les incertitudes sur les reconstructions de températures, pouvant atteindre ± 0.3°C dans certaines études (Alibert and McCulloch, 1997). Cela rend l’utilisation du Sr/Ca dans les coraux particulièrement adaptée pour étudier les perturbations locales à hautes résolutions, telles que l’étude des impacts liés au phénomène ENSO (Alibert and McCulloch, 1997; Zinke et al, 2019).

De même, l’étroite corrélation observée entre le Sr/Ca et le δ18O dans les coraux suggère la possibilité, via l’utilisation du Sr/Ca comme traceur de la température, d’isoler le paramètre

température enregistré par les isotopes de l’oxygène, lequel devient alors un potentiel outil pour

retracer l’évolution de la composition isotopique de l’eau et la variabilité de salinité des eaux de surface au cours des cycles climatiques du Quaternaire (Beck et al., 1992; Gagan, 1998).

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Figure 11. Relation entre le Sr/Ca mesurés sur des coraux tropicaux et la température de l'eau. Figure extraite de Alibert

and McCulloch (1997).

Malgré les capacités du rapport Sr/Ca pour retracer les températures océaniques, il apparait que les valeurs mesurées dans les coraux tropicaux présentent une dépendance à la température jusqu’à trois fois plus sensible que celle mesurée pour l’aragonite non biogénique (Gaetani and Cohen, 2006), suggérant des effets biologiques sur l’incorporation du Sr. Ces effets biologiques sont regroupés sous le terme général d’effet vital, qui viennent ajouter au simple signal environnemental un signal physiologique en lien avec les processus de biominéralisation, pouvant biaiser l’utilisation des paléothermomètres (de Villiers et al., 1994, 1995). Il en résulte que les coefficients de partages du Sr/Ca corallien, dont le squelette aragonitique est biogénique, diffèrent des coefficients de partage de l’aragonite inorganique étudiée en laboratoire (Kinsman and Holland, 1969; de Villiers et al., 1994; Figure 12). De plus, de nombreux exercices de calibration ont montré que le Sr/Ca variait différemment selon l’espèce étudiée, avec des pentes et des ordonnées à l’origine spécifique à chaque étude (Corrège, 2006 et références incluses). Outre le fait que le choix de la base de données de SST selon les études puisse induire une variabilité des calibrations, l’amplitude de cette variabilité suggère un fort effet vital propre à chaque espèce, voire au site d’échantillonnage, et impose d’établir pour chaque étude une calibration spécifique. Ces effets biologiques ont été attribués à différents facteurs, tels que la présence de microstructures qui régit, selon l’espèce, la proportion de centres de calcification (Center of Calcification, COC) et de fibres d’aragonites, lesquels fractionnent différemment les rapports élémentaires ou isotopiques lors de leur formation (Rollion-Bard et al., 2010; Rollion-Bard and Blamart, 2015). Ainsi les éléments traces ne sembleraient pas suivre un fractionnement à l’équilibre dans les COC, compliquant l’utilisation du proxy Sr/Ca dans ces zones

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particulières. Selon les espèces de coraux, massives ou branchues, les taux de croissance et de calcification, variables avec les saisons et l’activité symbiotique liée aux algues, peuvent également avoir un impact sur le ratio Sr/Ca du squelette (Weber, 1973; de Villiers et al., 1994, 1995; Cohen et al., 2001; Gaetani and Cohen, 2006), biaisant potentiellement les reconstructions de températures. Toutefois, Swart et al. (2002) n’ont pas relevé de changement significatif du rapport mesuré malgré une variation du taux de croissance d’un facteur 2 entre les étés et les hivers. Ils ont attribué les possibles variations du Sr/Ca à des influences d’échantillonnages, toutefois, les effets du taux de croissance et la cinétique de formation de l’aragonite selon les microstructures sur les reconstructions à partir du proxy Sr/Ca et plus généralement des traceurs géochimiques inorganiques restent à ce jour peu contraints.

Finalement, les plus récentes études axées sur la calibration du Sr/Ca estiment les incertitudes de reconstruction de la température de l’ordre de ± 1.0°C à 95% de confiance (DeCarlo et al., 2016).

Figure 12. Figure extraite de de Villiers et al. (1994) illustrant à la fois les effets d’espèces et l’effet vital. Les différences de corrélation entre le coefficient de partage du Sr/Ca et la température selon les espèces étudiées montrent la nécessité d’effectuer une calibration propre à chaque espèce. L'écart entre les calibrations faites à partir de coraux biogéniques et celle faite à partir de l’aragonite inorganique (tirée de Kinsman and Holland, 1969) témoigne de l’effet vital, c’est-à-dire du contrôle biologique lors de l’incorporation du Sr dans le squelette corallien.

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3.2. Le rapport Mg/Ca

A l’instar du Sr/Ca, l’incorporation du Mg, un autre élément alcalino-terreux, dans le squelette des carbonates marins est supposée se substituer au Ca lors de la calcification, en fonction de son coefficient de partage. C’est la relation directe observée entre le coefficient de partage du Mg et la température qui a permis de proposer le Mg/Ca dans les carbonates biogéniques comme un potentiel traceur des température des eaux de surface (sea surface temperature, SST) (Mitsuguchi et al., 1996, 2001; Sinclair et al., 1998). De plus, le long temps de résidence du Mg dans l’océan présente là-encore un avantage considérable dans le cadre des reconstructions climatiques du Quaternaire. D’abord utilisé dans les coraux (Mitsuguchi et al., 1996, 2001; Sinclair et al., 1998; Watanabe et al., 2001; Bryan and Marchitto, 2008), des études se sont ensuite étendues aux foraminifères (Elderfield and Ganssen, 2000; Elderfield et al., 2006). Le Mg enregistre toutefois une forte variabilité intra-cristalline, étant largement dépendant des effets de diagénèse type transformation en calcite, considérablement enrichie en Mg, et qui caractérisent l’hétérogénéité du squelette corallien (Sinclair et al., 1998). Watanabe et al (2001) ont montré qu’un nettoyage chimique de l’aragonite entraînait jusqu’à 40% d’élimination du Mg contenu dans le squelette. Cela suggère qu’au moins 40% du Mg contenu dans l’aragonite n’est pas substitué au Ca, mais est directement lié à la matière organique ou à la surface du cristal, facilement dissoute lors d’un nettoyage. De plus, le Mg est dépendant des microstructures (COC vs fibres). Les analyses réalisées à hautes résolutions par spectrométrie de masse couplée à un système d’ablation laser LA-ICP-MS ont mis en évidence cette hétérogénéité du rapport Mg/Ca dans le corail, rendant complexe l’utilisation de Mg/Ca dans les coraux comme paléo-traceur de la température (Sinclair et al., 1998; Rollion-Bard and Blamart, 2015). Shragg (1999) avait déjà émis de sérieux doutes sur l’utilisation du Mg/Ca, illustrant sa faible corrélation avec le Sr/Ca, montrant de fait que la température n’est pas le seul facteur influant sur le Mg/Ca. Toutefois, des études postérieures ont relevé que si l’on se focalise sur les fibres d’aragonite, il y a une étroite corrélation entre ces deux proxies, mais qu’effectivement cette covariation n’est plus valable dans les COC. Cela suggère un autre mécanisme que le fractionnement de Rayleigh pour contrôler l’incorporation des éléments traces dans ces zones particulières, tant pour les coraux de surface (Meibom et al., 2006) que pour les coraux profonds (Gagnon et al, 2007; Case et al., 2010; Rollion-Bard and Blamart, 2015).

De même, des effets d’espèces ont également été observés, nécessitant des calibrations propres à chaque espèce, voire à chaque colonie ; un constat observé tant sur les coraux (Fallon et al., 2003, 1999; Figure 13) que sur les foraminifères (Lea et al, 2003; Rosenthal et al., 2004; Elderfield et al., 2006; Bryan and Marchitto, 2008).

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La très large variabilité du Mg/Ca dans les coraux attribués à ces effets vitaux rend difficile l’exploitation de ce paléothermomètre avec, à ce jour, de trop grandes incertitudes de reconstruction.

Figure 13. Figure extraite de Fallon et al. (2003) montrant la relation entre le rapport Mg/Ca mesuré dans le squelette aragonitique de coraux tropicaux et la température de calcification. La large variabilité observée ici avec les études précédentes, de même que les disparités entre les différents sites, témoignent des effets vitaux majeurs en jeu qui expliquent la forte incertitude sur les reconstructions de températures à partir du proxy Mg/Ca.

3.3. Le rapport U/Ca et Sr-U

Min et al. (1995) ont observé une relation inversement proportionnelle entre le rapport U/Ca mesuré dans le squelette aragonitique et la température de cristallisation. Ces auteurs ont émis l’hypothèse que ce rapport peut être utilisé à des fins de reconstructions paléoclimatiques. Sa forte corrélation observée avec le Sr/Ca a renforcé l’idée que l’U/Ca pouvait être utilisé comme paléothermomètre, jusqu’à une échelle saisonnière. Toutefois, il existe une forte variabilité des températures reconstruites pour une seule valeur d’U/Ca, suggérant que d’autres mécanismes que la température influent ce rapport enregistré par le squelette corallien (Shen and Dunbar, 1995; Fallon et al., 2003). Plus récemment il est apparu que d’autres paramètres physico-chimiques tels que le pH et la teneur en ions carbonates CO32- dans la solution de calcification étaient les principaux forçages de l’U/Ca, faisant de ce rapport un traceur plus appliqué aux reconstructions de pH et de taux de