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Intérêts du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires 1. Etudes ayant motivées la thèse

Synthèse Bibliographique : l’intérêt du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires

III. Intérêts du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires 1. Etudes ayant motivées la thèse

Les mécanismes d’incorporation des ions Mg2+ et Li+ au sein du squelette restent encore mal compris, et différentes hypothèses ont été évoquées. Parmi celles-ci, une substitution directe avec les ions Ca2+ est souvent retenue (Okumura and Kitano, 1988). Cette hypothèse ne paraît pas évidente du fait de la différence de rayon ionique entre le Mg2+ (0,89 Å) et le Li+ (0,92 Å) d’une part, et le Ca2+ (1,12 Å) d’autre part (Shannon, 1976). Il se peut donc que le Mg2+ et le Li+ soient directement incorporés dans le réseau cristallin via des discontinuités cristallines ou des interstices (Montagna et al, 2014). Toutefois, malgré les incertitudes sur leur incorporation, leur rayon ionique très similaires suggère que leur mécanismes d’incorporation sont problement similaires.

Bryan and Marchitto (2008) ont été les premiers auteurs à s’être penchés sur les processus d’incorporation du Li et du Mg pour expliquer les différents écarts de réponse observés entre le rapport Mg/Ca et la température, pour différentes espèces de foraminifères, de type aragonitique ou calcitique. Ils ont mis en évidence que le Li et le Mg avaient des comportements assez similaires, du fait d’un coefficient de distribution (D) comparable pour ces deux éléments, tous deux très inférieurs à 1 (Marriott et al., 2004), indiquant une préférence à rester dans la solution de calcification plutôt que d’être précipité par le carbonate. Ils ont donc avancé l’hypothèse que si les comportements du Li et du Mg étaient similaires dans les processus de biominéralisation, leurs rapports pouvaient permettre de s’affranchir et de corriger les possibles effets de saturation et de calcification qui entraînent du fractionnement élémentaire. Ils ont alors établi que le ratio Li/Mg mesuré dans l’espèce aragonitique H. elegans permettait de retracer plus précisément les températures (erreur

standard SE = ± 1.4°C) que le seul proxy Mg/Ca (SE = ± 4.5°C).

Sur ce fait, Case et al. (2010) ont repris ces résultats prometteurs sur des squelettes aragonitiques de coraux, afin d’évaluer l’application de ce proxy au-delà des seuls foraminifères. Ils ont démontré, par une approche à haute résolution par LA-ICP-MS sur des coraux d’eaux profondes de la famille

Caryophyllidae, que le Li et le Mg se comportaient de manière similaire dans le squelette à échelle

microstructurale, avec des pics observés dans les centres de calcifications, où la concentration en éléments traces pouvait doubler par rapport aux fibres d’aragonites environnantes. Ce comportement souligne les risques et limites des proxys usuellement utilisés, e.g. les rapports élémentaires Métal/Ca (où le Métal peut représenter le Li, le Mg, le Sr, etc.) ou les rapports

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isotopiques tels que le δ18O, biaisés par des processus internes à la calcification encore mal contraints et répertoriés dans le terme général d’effets vitaux. Toutefois, du fait de la similarité du comportement entre le Li et le Mg, Case et al. (2010) ont démontré que le rapport Li/Mg permettait de réduire la variabilité due aux microstructures. Dès lors, cela a suggéré que le rapport Li/Mg dans ces coraux était principalement dépendant de la température (R² = 0.82) avec une erreur estimée sur les reconstructions de températures de l’ordre de ± 1.6°C sur ces coraux profonds.

Raddatz et al. (2013) ont alors poursuivi ces travaux et ont montré que le rapport Li/Mg permettait de réduire significativement l’incertitude des températures reconstruites à partir des coraux profonds de genre Lophelia pertusa, par rapport au Sr/Ca traditionnellement utilisé dans les coraux tropicaux. En effet, la dispersion des mesures de Sr/Ca pour une température donnée, et la multiplicité existante des calibrations pour le Sr/Ca due à des effets d’espèce, étaient des sources potentielles d’erreurs significatives pour les paléo-reconstructions. Cette étude a donc révélé que le rapport Li/Mg permettait de réduire ces marges d’erreurs en ayant une convergence des calibrations quelque-soit l’espèce, et présentait l’avantage d’être applicable aux coraux d’eaux froides, permettant de retracer les températures des eaux intermédiaires et profondes avec une précision de l’ordre de ± 1.5°C.

L’étude d’Hathorne et al. (2013) a confirmé ce potentiel de reconstructions climatiques pour les eaux chaudes de surface à partir du rapport Li/Mg, cette fois-ci pour le genre tropical Porites spp. La relation entre le rapport Li/Mg et la température de l’eau de mer étant similaire aux précédentes études sur des carbonates de type aragonitique (coraux profonds). Ces auteurs ont suggéré l’existence d’une seule et unique relation exponentielle multi-espèces, applicable aussi bien aux coraux profonds (indépendants des zooxanthelles) présents dans les eaux froides intermédiaires, qu‘aux coraux tropicaux vivant en symbiose avec les zooxanthelles. Parallèlement, Montagna et al. (2014) ont confirmé la relation exponentielle unique pour plusieurs espèces. Celle-ci est similaire à celle publiée par Hathorne et al. (2013) avec un rapport Li/Mg dans le squelette aragonitique des coraux variant de l’ordre de 4,5 % par degré Celsius, permettant de retracer des paléo-températures avec une incertitude générale de ± 0.9°C (Figure 15). Cette calibration a été établie pour des températures comprises entre 0,75°C et 28°C à partir de coraux profonds prélevés en Antarctique et en Atlantique Nord, des coraux méditerranéens pour les températures intermédiaires et des coraux tropicaux. Cette étude montre également la faible influence de la salinité ou du taux de calcification sur le proxy, mais suggère un possible biais microstructural, avec une légère variabilité observée entre les COC et les fibres, confirmant les premières observations de Case et al. (2010).

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Figure 15. Calibration multi-espèces du rapport Li/Mg mesuré dans des coraux tropicaux, tempérés et profonds, en fonction de la température (Montagna et al, 2014).

Dans le cadre de leurs études axées sur les processus de biominéralisation, Rollion-Bard and Blamart (2015) ont par la suite mis en évidence que les microstructures, et en particulier l’enrichissement systématique des éléments Na, Li et Mg dans les COC, pouvait être à l’origine de potentielle source d’erreur dans l’utilisation du proxy Li/Mg dans les coraux. Ils énoncent alors les différentes hypothèses qui expliqueraient l’incorporation du Li et du Mg dans le carbonate pouvant expliquer ces effets de microstructures. Ils retiennent parmi ces hypothèses que, compte-tenu de la corrélation positive des éléments traces dans les COC, leur incorporation serait principalement due à un effet cinétique, qui aurait pour effet de favoriser le piégeage du Li et du Mg lors des phases de croissances rapides, i.e. lors de la genèse des COC. La température jouerait alors un rôle indirect dans les vitesses de croissance par le jeu de la cinétique, rendant possible, mais questionnable, l’utilisation du proxy Li/Mg à des fins de reconstructions climatiques précises.

Plus récemment, Fowell et al. (2016) ont montré une divergence des reconstructions de températures à partir du rapport Li/Mg entre les environnements tropicaux « forereef », qui correspond à l’océan ouvert, et « backreef », qui correspond au lagon, avec de plus grandes incertitudes associées à l’environnement backreef. Cela suggère que d’autres facteurs que la seule température peuvent modifier le rapport Li/Mg dans les coraux tropicaux et expliquer cette disparité selon la localisation du récif dans le lagon. Parmi les hypothèses, la différence de taux d’extension

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entre les coraux en contexte forereef ou en contexte backreef a été avancée. Afin de corriger ces effets générant des incertitudes sur le proxy à partir des coraux tropicaux, et après avoir souligné le comportement similaire du Sr/Ca et du Li/Mg dans les différentes reconstructions climatiques, les auteurs ont testé une approche multi-proxy, combinant le Sr/Ca et le Li/Mg, afin de conserver l’unique influence de la température. Ces travaux ont révélé que l’approche multi-proxy permettait de limiter les disparités observées entre les environnements forereef et backreef, et de réduire les incertitudes de reconstruction en backreef, passant de ± 2.7°C, en utilisant le Li/Mg seul, à ± 1.8°C, en combinant le Li/Mg et le Sr/Ca. Ce travail démontre le fort potentiel de l’approche multi-proxy afin de limiter les potentiels biais de reconstruction climatique.

2. Avantages, limites et défis du rapport Li/Mg pour reconstruire la température

L’ensemble de ces études montre que l’émergence du paléothermomètre Li/Mg, dont le développement récent nécessite d’être mieux contraint pour être utilisé, répond à une forte attente de réduction des marges d’erreurs associées aux quantifications précises des températures océaniques passées à partir des proxies déjà existants. De par leur coefficient de partage et leurs propriétés géochimiques similaires, la normalisation du Li/Ca et du Mg/Ca, i.e. le ratio Li/Mg, permettrait de s’affranchir de l’effet biologique et suggère une relation directe à la température d’eau de mer dans laquelle le squelette corallien s’est construit. Ce proxy présente l’avantage d’avoir une courbe de calibration unique, sous forme exponentielle, qui s’applique à une multitude d’espèces dans une large gamme de température, de 1°C à 28°C, ce qui enrichi considérablement le champ des proxies usuellement utilisés pour les coraux scléractiniens. Aussi, le Li/Mg dans les coraux profonds a démontré sa capacité à retracer fidèlement les températures des masses d’eau de sub-surface, intermédiaires, voire profondes, au-delà de 1000 mètres (Montagna et al., 2014), ce qui était jusque-là difficile par l’utilisation des autres traceurs, qu’ils soient biologiques, isotopiques ou élémentaires. Cette avancée permet aujourd’hui d’envisager non seulement des reconstructions affinées des changements passés de température de surface tropicales, mais aussi des reconstructions des eaux intermédiaires et des hautes latitudes en incluant ainsi ces nouvelles données dans les modèles climatiques afin d’améliorer la compréhension des processus océaniques en jeu lors des changements climatiques.

En dépit de ces nombreux avantages, plusieurs incertitudes demeurent pour utiliser sereinement le Li/Mg dans les coraux. Premièrement, de par le caractère exponentiel de la calibration, il convient de mieux contraindre les valeurs extrêmes, i.e. tester la robustesse et la reproductibilité du proxy

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notamment pour de nouvelles espèces de coraux d’eaux très froides (< 1°C), mais également sur des coraux tropicaux dont les rapports élémentaires varient peu avec la température (> 25°C). Ensuite, malgré une erreur estimée sur les reconstructions de températures de l’ordre de ± 0.9°C (Montagna et al., 2014), ces incertitudes ont récemment été revues à la hausse pour les coraux tropicaux (Fowell et al., 2016). De possibles biais ont été mis en évidence, notamment liés à la variabilité microstructurale et aux cinétiques de croissance qui joueraient un rôle dans l’incorporation du Li et du Mg, et qui ne dépendraient pas uniquement de la température (Hathorne et al, 2013 ; Rollion-Bard and Blamart, 2015 ; Marchitto et al, 2018). Enfin, bien qu’aujourd’hui plusieurs études aient contribué au développement du proxy, à ce jour, peu d’applications originales de reconstruction de la température océanique ont été publiées à partir des coraux fossiles profonds (Montero-Serrano et al., 2013; Tisnérat-Laborde et al., 2013; Bonneau et al., 2018) ou des coraux tropicaux (Chen et al., 2019).