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Synthèse Bibliographique : l’intérêt du Li/Mg dans les coraux scléractiniaires

II. Les proxies : traceurs des paléotempératures de l’océan

1. Les traceurs isotopiques

1.1. L’oxygène-18

Les isotopes stables de l’oxygène peuvent être utilisés comme traceurs des températures, en mesurant le δ18O des carbonates par exemple. Le δ18O est l’abondance relative du rapport isotopique

18O/16O dans le carbonate par rapport au rapport isotopique d’un standard de référence, Vienna

Peedee Belemnite (V-PDB). Son utilisation a rapidement été considérée comme un puissant

paléothermomètre des océans. Les études pionnières de Urey (1947), suivie d’Epstein et al. (1951, 1953), ont en effet montré une relation directe et inversement proportionnelle entre l’abondance relative de 18O enregistrée par des foraminifères et la température de leur environnement lors de leur croissance. Une première calibration a permis de relier, pour un rapport isotopique δ18O mesuré, une température d’eau de mer, selon une équation de type :

T°C = f (δ18Ocarbonate, δ18Oseawater)

L’étude des isotopes de l’oxygène comme paléothermomètre a par la suite été étendue à d’autres biocarbonates tels que les coraux tropicaux (Weber and Woodhead, 1972; Dunbar et al., 1994; Quinn et al., 1996; Juillet‐Leclerc and Schmidt, 2001), montrant là aussi une étroite corrélation entre les valeurs δ18O mesurées dans les squelettes aragonitiques des coraux et la température du milieu où ces biocarbonates se sont formés. De nombreuses calibrations s’en sont suivies (Wellington et al., 1996; Juillet‐Leclerc and Schmidt, 2001; Marchitto et al., 2014), montrant le véritable potentiel des isotopes stables dans les reconstructions de températures à partir de l’ensemble des carbonates marins.

Ce paléothermomètre a été étendu aux coraux profonds, ceux-ci présentant l’avantage de ne pas être impactés par l’activité photosynthétique des algues symbiotiques qui pourraient perturber le signal isotopique. Smith et al. (2000) a établi une méthode reliant le δ18O et le δ13C enregistré par le squelette des coraux profonds. Pour chaque individu, ils établissent une droite de régression reliant le δ18O et le δ13C mesuré dans le corail. A partir de la valeur mesurée en δ13C du carbone inorganique

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dissous (DIC) de l’eau de mer, ils obtiennent un point sur la droite de régression pour lequel le δ13C enregistré par le corail est égal au δ13C du DIC. Cette valeur donne l’équilibre isotopique, c’est-à-dire la zone spécifique du corail où ses teneurs en isotopes du carbone et de l’oxygène (nommé δ18Oi) sont en équilibre avec l’eau de mer. En soustrayant la valeur du δ18O de l’eau de mer à cette valeur δ18Oi, Smith et al. (2000) obtiennent une valeur directement reliée à la température, dont l’équation est du même type que celle développée par Epstein et al. (1953), et applicable cette fois-ci aux coraux profonds (Figure 7). Toutefois, cette méthode ne tient pas compte des fractionnements isotopiques résultant des hétérogénéités microstructurales du squelette corallien. C’est pourquoi elle a été peu développée par la suite (Lutringer et al., 2005). L’incertitude sur les reconstructions de températures est estimée à ± 1.5°C.

Figure 7. Méthode de Smith et al. (2000). A partir de la valeur δ13Caragonite = δ13CDIC, la droite de régression permet de

remonter à une valeur δ18O à l’équilibre isotopique avec l’eau de mer, nommé δ18Oi. Cette valeur est directement dépendante de la température. (PDB = Pee Dee Belemnite)

Cependant, la température reconstruite à partir des valeurs δ18Ocarbonate est dépendante de la composition isotopique de l’eau de mer (δ18Oseawater), qui dépend elle-même du volume de glaces et du taux de précipitation/évaporation. Ainsi, établir une relation directe entre le δ18O mesuré sur le squelette carbonaté et la température de calcification revient à estimer que la composition isotopique de l’eau de mer est restée constante au cours du temps. Or, il a été démontré que le rapport isotopique de l’oxygène de l’eau de mer (δ18Oseawater) varie en réponse aux changements climatiques responsables des changements de volume de glaces, en lien avec les paramètres

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orbitaux. Ainsi ces changements ou processus liés au cycle de l’eau induisent un changement du rapport isotopique enregistré par les carbonates (Shackleton, 1967). Utiliser l’isotopie de l’oxygène sur les carbonates comme paléothermomètre impose de connaître ou d’estimer précisément, selon le bassin et la période climatique étudiée, la composition isotopique de l’eau de mer à l’instant de vie des biocarbonates, compliquant ainsi l’application de ce paléothermomètre.

1.2. Les Clumped Isotopes

Les « clumped isotopes », traceurs mis en œuvre plus récemment, se basent sur la composition isotopique des molécules de CO32- qui composent les carbonates, tant aragonitiques (coraux, bénitiers, quelques espèces de foraminifères) que calcitiques (foraminifères). Plus particulièrement, ils mesurent l’abondance excessive – par rapport à celle attendue, du degré de liaison entre les isotopes lourds 13C-18O par rapport à ses isotopologues de carbonate normalement attendus, et distribués de manière aléatoire (par exemple 12C-18O-16O2 ; 12C-16O-16O2 ; 13C-16O-16O2). Lorsque les carbonates précipitent, ils auront tendance à favoriser les liaisons lourdes par rapport à ses isotopologues. Or, ces liaisons en excès sont directement dépendantes de la température (Urey, 1947). Ainsi, leur mesure, i.e. le Δ47, est proportionnel à la température de cristallisation des carbonates, arguant de son potentiel pour reconstruire les paléo-environnements (Urey, 1947; Schauble et al., 2006). De ce constat, Ghosh et al. (2006), suivis par Eiler (2007) ont établi une calibration permettant de relier, pour chaque mesure de Δ47 effectuée sur les carbonates inorganiques et biogéniques, une température de leur environnement de croissance.

L’avantage des clumped isotopes est son lien direct avec la température, non impacté par la composition initiale de l’eau de mer (à l’inverse des valeurs δ18O) ou la quantité de carbone inorganique dissous. Les récentes études tendent à montrer que cette méthode est indépendante du pH (Tripati et al., 2010), de la salinité ou encore de l’espèce étudiée (Grauel et al., 2013; Peral et al., 2018), ce qui présente une plus-value certaine devant les autres traceurs isotopiques ou élémentaires. Enfin, les calibrations faites sur les foraminifères biogéniques, tant planctoniques que benthiques, sont similaires aux calibrations sur des carbonates inorganiques (Ghosh et al., 2006; Tripati et al., 2010), présageant d’un processus purement thermodynamique s’affranchissant des interférences biologiques et physiologiques (processus de biominéralisation, cinétique de croissance,

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En revanche, malgré leur fort potentiel théorique comme paléothermomètre, les clumped isotopes, souffrent aujourd’hui d’une grande incertitude sur les températures reconstruites, estimées à ± 2°C (1σ) (Ghosh et al., 2006). Ce manque de précision, avant tout associé à des incertitudes analytiques, justifie les travaux de développement en cours, et rend difficile leur utilisation pour des reconstitutions tropicales où l’amplitude saisonnière ou la différence de température entre le dernier maximum glaciaire (LGM) et l’Holocène est sensiblement similaire à cette incertitude. Notons toutefois que cette incertitude a été récemment réduite à ± 1 °C (Peral et al., 2018; Figure 8) à la faveur d’une amélioration de la précision des techniques de mesures. Toutefois, ces méthodes d’analyses imposent une quantité non négligeable de matériel, de l’ordre de quelques mg, rendant fastidieux le comptage des foraminifères afin d’avoir une quantité suffisante de CaCO3 à analyser. Seule une amélioration de la sensibilité et de la précision des techniques analytiques permettrait non seulement de réduire la quantité nécessaire de carbonate à analyser, mais également de réduire les marges d’erreurs sur les reconstructions de températures. Enfin, bien que la méthode ait révélé son potentiel à partir des foraminifères, il semble que des effets vitaux limitent leur utilisation à partir du squelette en aragonite des coraux. Les incertitudes associées à ces traceurs dans les coraux restent à ce jour mal expliquées et nécessitent de futures études approfondies sur des coraux de culture, élevés à températures contrôlées (Ghosh et al., 2006; Tripati et al., 2010).

Figure 8. Figure extraite de Peral et al. (2018). Calibration des mesures en Δ47 en fonction des températures d'échantillonnage. En bleu, régression linéaire à partir de l’étude sur des foraminifères issus de l’étude de Peral et al.

(2018). En vert, comparaison avec une étude sur des foraminifères issus de Breitenbach et al. (2018). L’amélioration des

marges d’erreurs est identifiable entre les deux courbes, l’erreur estimée sur les reconstructions de température étant de l’ordre de ± 1°C (95% de confiance) sur l’étude de Peral et al. (2018).

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