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1.3. Toxicité du mercure : impact sur les organismes vivants

Chapitre I. Etat des connaissances

I- 1.3. Toxicité du mercure : impact sur les organismes vivants

I-1.3.1. Toxicité des ETM en général et du mercure en particulier

La toxicité aiguë d’un ETM pour un organisme dépend de plusieurs facteurs : - sa forme chimique (spéciation),

- la façon dont il est absorbé (ingestion, inhalation…),

- le type d’organisme dans lequel il se trouve (plantes, animaux…), - l’âge de l’organisme et son état de développement,

- son accumulation dans certains tissus, glandes ou organes de l’organisme.

La toxicité des ETM dépend également de plusieurs paramètres environnementaux modifiant leur spéciation en solution. Parmi ces paramètres, on peut citer notamment le pH dont une augmentation entraîne la précipitation des cations métalliques sous forme d’hydroxydes ou d’oxydes de métaux insolubles. Il en résulte une diminution de la toxicité car les précipités formés sont généralement moins disponibles et moins toxiques que les cations métalliques libres (Bliefert & Perraud, 2001).

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Le mercure est particulièrement toxique sous toutes ses formes et dans tous ses états chimiques, mais la forme la plus toxique est le méthylmercure (MeHg). Cet élément est

responsable de nombreuses conséquences néfastes sur les écosystèmes naturels et sur tous les organismes vivants : des microorganismes jusqu’aux animaux aquatiques et terrestres, impactant également l’homme de manière directe ou indirecte.

I-1.3.2. Toxicité du mercure vis-à-vis des écosystèmes I-1.3.2.a. Microorganismes : impact et résistance

Il a été démontré que des concentrations élevées en ETM dans les sols affectent les communautés microbiennes de façon significative, ainsi que les processus écologiques associés (cycles C, N, et P entre autres) (Oliveira & Pampulha, 2006; Philippot et al., 2008). Différentes études ont montré que la présence de mercure ionique (Hg2+) affecte durablement l’activité et la structure des communautés bactériennes dans les sols tempérés agricoles (Ranjard, 1997; Müller et al., 2002, 2001a; Rasmussen, 2001), forestiers (Frey & Rieder, 2013) et également dans les sols tropicaux (Harris-Hellal, 2008, 2009). Cependant, une résilience rapide de la diversité fonctionnelle de ces communautés a été observée dans l’étude de Harris-Hellal et al. (2009), montrant une capacité d’adaptation des communautés bactériennes dans les sols guyanais. Chez les bactéries, la forme Hg2+ est particulièrement toxique : elle se fixe aux groupements sulfhydriles de protéines membranaires et inhibe la synthèse de macromolécules. De plus, les ions mercuriques se fixent aux nucléotides et impactent les mécanismes de la transcription et de la traduction (Mathema et al., 2011).

En réponse à cette toxicité, plusieurs souches bactériennes ont développé des systèmes de résistance au mercure (Osborn et al., 1997). Les gènes responsables de cette

résistance sont souvent regroupés en un opéron, appelé l’opéron mer. Ce système génétique est le seul système bien connu parmi les systèmes bactériens de résistance métallique avec un taux important de transformations de sa cible toxique : le mercure (Mathema et al., 2011). Ces mécanismes de résistance impliquent la transformation chimique du mercure par réduction, par méthylation ou déméthylation, conduisant à des formes moins toxiques et/ou plus volatiles que les groupements d’origine. En particulier, les gènes mer A et mer B de l’opéron mer codent pour la mercure réductase qui permet de réduire le mercure sous forme Hg2+ en Hg0 et la mercure lyase qui hydrolyse la liaison entre mercure et composé organique (C-Hg) des composés organo-mercuriels comme le méthylmercure (Barkay et al., 2003) (Figure 3).

20 Figure 3. Schématisation et organisation type de l’opéron mer. Mer A : mercure réductase, réduction du Hg2+ en Hg0. Mer B : organomercure lyase, hydrolyse la liaison C-Hg. Mer T : transport du mercure dans la cellule. Mer P : transport du mercure périplasmique. Mer R : régulation de l’opéron, se fixe à l’ADN de l’opérateur (O) et inactive la transcription de l’opéron. Mer D : impliqué dans la régulation (schéma de

Harris-Hellal, 2008).

L’intérêt des propriétés des gènes mer a été démontré depuis plus de 20 ans pour le traitement du mercure dans les eaux usées. A ce jour, différentes approches ont été utilisées, utilisant des opérons mer de souches bactériennes naturellement résistantes ou transformés afin d’éliminer le mercure dans les effluents industriels et l’environnement contaminé (Barkay et al., 2003).

I-1.3.2.b. Plantes

Le transfert des ETM du sol vers les racines des plantes est lié à leur réactivité dans la matrice du sol, ainsi qu’à leur concentration et leur spéciation dans la solution du sol (Kabata-Pendias, 2001). Les plantes supérieures exposées au mercure voient plusieurs processus métaboliques affectés : diminution de la photosynthèse, de la transpiration, de l’absorption de l’eau, de la synthèse de chlorophylles et en conséquence, une diminution de la production primaire. De plus, le mercure accumulé dans les racines inhibe l’absorption de K+ et de nutriments comme le magnésium (Boening, 2000; Kabata-Pendias, 2001).

La disponibilité du mercure organique ou inorganique du sol est faible pour les plantes. Le mercure à tendance à s’accumuler dans les racines ; les racines fonctionnent

comme une barrière pour l’absorption du mercure. En conséquence, la translocation du mercure des racines vers les parties aériennes est presque nulle. Malgré des concentrations importantes de mercure dans le sol, elles restent faibles dans les plantes (Patra & Sharma,

21 2000). Dans des cultures comme le maïs, le mercure est stocké dans les racines, ce qui réduit les risques de contamination pour l’homme (Peralta-Videa et al., 2009).

La source la plus importante de contamination dans l’agriculture concerne l’utilisation de composés mercuriels organiques pour l’enrobage des semences afin de prévenir les maladies liées aux champignons. Les problèmes liés au traitement des graines augmentent directement avec la proportion de composés mercuriels appliqués (Patra & Sharma, 2000). Ces traitements ont été à l’origine d’une tragédie en Irak dû à la consommation de graines d’orge et de blé traitées (Veiga & Baker, 2004).

I-1.3.2.c. Organismes aquatiques : impact et accumulation

L’impact du mercure sur la chaîne trophique aquatique a été étudiée des invertébrés aquatiques jusqu’aux poissons carnivores situés en fin de chaîne alimentaire. Les poissons sont les organismes les plus étudiés car ils représentent la voie d’exposition la plus

importante pour les humains (SETAC, 2007). Dans le bassin amazonien en particulier, de

nombreuses études se sont intéressées à cette problématique depuis les années 1990 car les populations locales consommant les poissons en fin de chaîne alimentaire se sont révélées être fortement contaminées par le MeHg (Carmouze et al., 2001; Boudou et al., 2006). En effet, il est préférentiellement accumulé dans les tissus musculaires des poissons, et ce tout au long de la chaîne trophique (Peralta-Videa et al., 2009). La paroi intestinale des poissons est une barrière efficace au chlorure de mercure, mais est perméable au MeHg. Cette forme organique du mercure peut représenter jusqu’à 50% du mercure accumulé, dépassant largement les recommandations de l’OMS (Boening, 2000; Carmouze et al., 2001).

Le méthylmercure est bioamplifié le long de la chaîne trophique. Ainsi, les poissons

carnivores situés en fin de chaîne trophique, comme l’espadon et le thon, contiennent les concentrations de méthylmercure les plus importantes dans leurs tissus. Le transfert du MeHg dans les niveaux trophiques élevés de la chaîne trophique aquatique se fait presque entièrement par ingestion alimentaire. Cependant, l’accumulation du mercure via l’absorption directe de l’eau peut être importante pour certains organismes situés en bas de la chaîne trophique, comme le phytoplancton et le zooplancton. De plus, il est important de noter que la fraction de MeHg peut varier considérablement entre les différents niveaux trophiques. Des études sur différents organismes invertébrés aquatiques (moules, crabes, crevettes) rapportent des taux variant de 10% à plus de 90% du mercure total. Aussi, il est primordial de déterminer le taux de MeHg plutôt que le mercure total dans les échantillons biologiques afin d’évaluer les risques de toxicité (SETAC, 2007).

22 L’accumulation significative du mercure dans les organismes aquatiques a valu leur utilisation comme bioindicateurs de contamination du milieu aquatique par le mercure. Les poissons piscicoles servent d’indicateurs de contamination pour la consommation humaine, alors que les moules servent d’indicateurs de contamination des cours d’eau. Les variations de MeHg mesurées dans les organismes aquatiques reflètent les variations des processus affectant la méthylation bactérienne du mercure dans l’eau (SETAC, 2007).

I-1.3.2.d. Organismes terrestres : impact et accumulation dans la chaîne trophique Peu d’études à ce jour se sont intéressées à l’impact du mercure sur les organismes terrestres. Certains invertébrés du sol (limaces, escargots, scarabées, vers de terre), ainsi que des oiseaux et des mammifères ont été étudiés (Boening, 2000). Tous ces organismes sont sensibles à des doses plus ou moins élevées de mercure et leur croissance se trouve affectée par la présence de mercure dans les sols. Des symptômes importants ont été observés tels que des lésions cérébrales et des perturbations des récepteurs moteurs et sensoriels en réponse à des ingestions quotidiennes de mercure à partir de 1 ppm, sous forme organique et/ou inorganique (Boening, 2000). De plus, le mercure est préférentiellement accumulé sous sa

forme méthylée comme pour les organismes aquatiques décrits précédemment.

L’impact du mercure sur les vers de terre est développé dans le paragraphe I-3.4.1. En effet, ils représentent la biomasse la plus importante dans les sols et servent de nourriture pour des organismes supérieurs, comme les oiseaux et les taupes, d’où leur importance dans la chaine trophique terrestre.

Concernant les oiseaux, des concentrations élevées en mercure ont été mesurées dans les zones où le MeHg est utilisé comme fongicides sur les graines (Rand, 1995). Chez ces organismes, le mercure est accumulé préférentiellement dans le foie et les reins et majoritairement sous forme de MeHg (Wolfe et al., 1998; Boening, 2000). Une autre étude a montré que la concentration moyenne augmentait avec le niveau de réseau trophique de l’oiseau variant de 6 µg Hg g-1

accumulés pour les végétariens à 40 µg Hg g-1 pour les piscivores. Les oiseaux se nourrissant d’invertébrés ont accumulés des quantités de mercure intermédiaires (12 µg Hg g-1) (Zilioux et al., 1993).

Le peu d’études publiées à ce jour ne permettent pas de fixer de seuil critique de contamination pour l’environnement terrestre. En effet, l’accumulation du mercure dans la

chaîne trophique terrestre a été jusqu’à ce jour beaucoup moins étudiée que pour les milieux aquatiques. Pourtant, le mercure, qui est préférentiellement fixé dans le sol, est en contact permanent avec les organismes terrestres et pourrait entrer dans la chaîne alimentaire terrestre.

23 I-1.3.3. Toxicité du mercure vis-à-vis de l’homme

Le mercure est considéré par l’OMS comme l’un des dix produits chimiques extrêmement préoccupants pour la santé publique. La toxicité du mercure chez l’homme

peut se manifester suite à différents modes d’exposition : (i) l’inhalation de vapeurs de mercure et (ii) l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. L’inhalation des vapeurs a lieu majoritairement sur les chantiers d’orpaillage où les amalgames de mercure sont chauffés afin de récupérer l’or extrait. Le mercure chauffé se volatilise et regagne l’atmosphère sous forme de gaz Hg0. Le second cas concerne principalement les populations locales vivant près des cours d’eau et consommant les produits de la pêche contaminés au mercure (Veiga et al., 1999; Ekino et al., 2007; Bravo et al., 2010). Les poissons carnivores en fin de chaîne alimentaire concentrent le plus de mercure dans leurs tissus (Boudou et al., 2006).

La toxicité du mercure sous sa forme gazeuse (Hg0) commence par les voies respiratoires, pour se solubiliser dans le plasma, le sang et l’hémoglobine. Via le sang, il atteint les reins, le cerveau et le système nerveux. Le risque chez les femmes enceintes est aussi présent car le mercure se déplace facilement au travers du placenta pour atteindre le fœtus. Même après la naissance les risques perdurent car le lait maternel peut également être contaminé.

Plusieurs cas de contamination de populations humaines ont été recensés dans le monde. Les plus tristement connus sont le drame de la Baie de Minamata au Japon dans la fin

des années 1950, celui en Irak en 1972 pour des semences contaminées et celui qui se poursuit aujourd’hui dans la région amazonienne et notamment en Guyane, causant de nombreux symptômes et décès.

La contamination de la baie de Minamata, au Sud-Ouest du Japon sur l’île de Kyushu, est liée à une usine de fabrication d’acétaldéhyde dont l’une des étapes de la synthèse conduit à la génération de MeHg. Ce dernier a été rejeté directement dans la baie et s’est bioaccumulé dans les organismes aquatiques (5 à 37 µg Hg g-1). Les habitants de la baie qui ont consommé ces poissons, ont présenté des symptômes tels que la perte de l’audition, une réduction du champ visuel, une diminution de la sensibilité au toucher ou encore une perte de coordination au niveau des membres. Tous ces symptômes ont été déclarés comme étant la conséquence de l’intoxication au MeHg et sont regroupés sous l’appellation « maladie de Minamata » (Ekino et al., 2007).

En Guyane française, plus de 50 % de la population vit au bord des fleuves, comme c’est le cas des amérindiens Wayanas qui habitent sur les bords du fleuve Maroni. Des études faites sur ces populations à partir de 1994 ont montré une intoxication au mercure en analysant les taux de mercure présents dans leur sang et leurs cheveux (Charlet & Boudou, 2002). Ces

24 habitants présentent des taux de mercure dans le sang de 11,4 μg g-1, dépassant largement les valeurs recommandées par l’OMS (5 μg g-1). Il est important de noter que plus de 90 % de ce mercure est sous la forme organique (MeHg). De grandes quantités de poisson sont consommées par les Wayanas, et notamment des poissons carnivores situés en fin de chaîne trophique. L’intoxication de ces populations par le mercure est chronique, bien que les quantités quotidiennes de poisson ingérées ne soient pas aussi élevées que celles de Minamata au Japon.

De nos jours, la population humaine est exposée à trois différentes formes de mercure : les vapeurs de mercure émises par les amalgames dentaires, le MeHg naturellement bioaccumulé dans les poissons, et un composé d’éthylmercure, le thimerosal, qui est utilisé dans certains vaccins destinés aux enfants (Diez et al., 2008).