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1.2 Forme et fonction de l'intonation dans la Théorie Métrique-Autosegmentale 14

1.3.2 Tons périphériques et constituance prosodique

Outre les accents mélodiques, la grammaire de Pierrehumbert génère les tons périphé-riques, tels que les tons de frontières (L% et H%) et les accents de phrase (L- et H-).

Les tons de frontières marquent la n d'unités prosodiques larges, les syntagmes intona-tifs (intonational phrases). Dans Pierrehumbert (1980), l'accent de syntagme est déni comme l'accent qui suit immédiatement l'accent nucléaire. Cette dénition est inspirée de celle d' accent d'enoncé (sentence accent) donnée par Bruce dans son travail de thèse sur le suédois (Bruce, 1977). En particulier, Bruce (1977) a trouvé que dans le suédois de Stoccolme, le contour intonatif des armations est caractérisé par un ou plusieurs accents de mot (c'est-à-dire, des accents spéciés au niveau lexical) suivi immédiatement par une montée de f0 et par une descente à la n de l'unité intonative. Cette montée de f0 est utilisée comme la preuve empirique de la présence du sentence accent, spécié au niveau intonatif et distinct de la descente nale (terminal juncture fall).

Beckman & Pierrehumbert (1986) ont successivement reformulé la dénition de l'ac-cent de syntagme adoptée par Pierrehumbert (1980) en admettant qu'il marque la n d'un constituant prosodique de rang inférieur au syntagme intonative, le syntagme inter-médiaire. Les constituants prosodiques sont structurés de façon hiérarchique, et puisque le syntagme intermédiaire est de rang inférieur au syntagme intonatif, il ne peut pas le dominer. Cela est en accord avec le principe de l'étagement strict (Strict Layer Hypothesis, Selkirk (1984)). Il faut noter cependant que, bien que l'accent de syntagme soit

généra-lement accepté pour la description de l'intonation du suédois, son statut dans d'autres langues est assez controversé. Par exemple, Ladd (1983) critique l'adoption de l'accent de syntagme pour l'anglais car chez Pierrehumbert (1980) l'existence de ce ton semble être motivée par de raisons théoriques internes (notamment, le besoin d'admettre un accent descendant H*+L, responsable de l'abaissement local de la hauteur des tons ou downs-tep). De l'autre côté, d'autres études ont rejeté la notion d'accent de syntagme, telles que Gussenhoven (1988) pour le hollandais et l'anglais et Féry (1993) pour l'allemand. Plus récemment, l'existence de l'accent de syntagme a été empiriquement prouvée par Grice et al. (2000) pour plusieurs langues de l'Europe de l'Est.

En italien, les tons de frontières ont été aussi attestés par des études dans le cadre métrique-autosegmental (voir Grice et al. (2005) pour un résumé). Ce ton marque la frontière droite de syntagmes intonatifs et il peut être haut ou bas. En particulier, un ton bas L% marque la n du syntagme intonatif des armations et des questions oui/non du napolitain (D'Imperio, 2000; Grice et al., 2005). L'accent de syntagme en napolitain a aussi été conrmée par D'Imperio (1997, 2001, 2002a). En italien napolitain, l'accent montant nucléaire est suivi par un mouvement descendant (g. 1.1). De plus, dans les questions, l'accent nucléaire en position non-nale de syntagme intonatif peut être suivi par d'autres accents post-focaux. Ce phénomène est le même que celui observé en suédois (Bruce, 1977), langue qui admette aussi, comme mentionné précédemment, l'accent de syntagme. A partir de la constatation de cette similarité, D'Imperio (2001) a montré que les questions du napolitain sont caractérisées par un accent de syntagme, analysé comme un ton complexe HL- et ancré à la dernière syllabe tonique du constituant focalisé. Lorsque la syllabe qui porte l'accent nucléaire est la dernière syllabe tonique du constituant, le ton complexe HL- suit immédiatement l'accent nucléaire et la conséquence de ce voisinage est que le ton H de l'accent nucléaire L*+H et le ton H de l'accent HL- sont réalisés comme un seul pic accentuel (g. 1.14, en haut). Lorsque la syllabe accentuée n'est pas en position nale de constituant, le ton HL- est visible dans la trace acoustique comme un mouvement séparé de l'accent nucléaire : la n de la montée nucléaire est alignée avec la syllabe accentuée, tandis que le début de l'accent de syntagme est ancré à la dernière syllabe tonique. Le plateau haut entre ce deux points est le résultat d'une simple

interpolation (g. 1.14, en bas). La présence d'un ton complexe HL- est postulée aussi pour les armations (D'Imperio, 2000).

Figure 1.14 Forme d'onde, courbe de f0 et étiquetage tonal pour les phrases Vedrai MAMMA domani ? (Verras-tu maman demain ?, panneau en haut) et Vedrai LA BELLA MANO DI MAMMA domani ? (Verras-tu la jolie main de maman de-main ?, en bas). Les lettres majuscules indiquent la taille du constituant focalisé. Dans les deux cas, l'accent de syntagme est suivi par un accent postnucléaire downstepped, étiqueté comme !H*. Tiré de D'Imperio (2002a), p. 48.

Au-delà du débat sur le statut phonologique de l'accent de syntagme, il faut spécier que le type et le nombre des niveaux prosodiques (et donc, de tons périphériques) varient aussi selon la langue considérée. Nous avons vu que dans la description de l'anglais ef-fectuée par Pierrehumbert (1980), il y a deux niveaux prosodiques. Cependant, d'autres

études ont montré l'existence d'un troisième niveau de constituance, de rang inférieur au syntagme intermédiaire et signalé par un événement tonal dièrent de l'accent de syn-tagme : le synsyn-tagme accentuel (Accentual Phrase). Par exemple, en japonais le synsyn-tagme accentuel est le domaine de l'accent culminatif, de sorte que chaque mot prosodique est signalé par la présence de tons périphériques à ses frontières gauche et droite (Beckman

& Pierrehumbert, 1986; Pierrehumbert & Beckman, 1988). Des preuves empiriques pour l'existence du syntagme accentuel ont été fournies pour le coréen (Jun, 1993) et même pour une langue romane, le français (Jun & Fougeron, 2000, 2002). En particulier, selon Jun & Fougeron (2002), le syntagme accentuel (appelé également unité rythmique par Di Cristo & Hirst (1993)) est composé d'au moins un mot prosodique associé à l'accent -nal, et il est marqué au niveau tonal par un ton de périphérie complexe montant (/LHi/).

L'existence du syntagme accentuel dans les langues à accent dynamique (c'est-à-dire, dans les langues dans lesquelles la proéminence accentuelle est signalée par plusieurs indices outre laf0, tels que l'allongement de la durée segmentale et l'augmentation de l'intensité) est plus problématique. Beckman & Pierrehumbert (1986) abordent explicitement cette question pour la langue anglaise. Bien que certains travaux dans le cadre de la phonolo-gie métrique puissent suggérer l'existence du syntagme accentuel en anglais, Beckman &

Pierrehumbert (1986) admettent qu'aucune preuve empirique de la présence de marques tonales n'a été trouvée pour ce constituant.

L'existence du syntagme accentuel dans les langues à accent dynamique a été attestée par Hellmuth (2004, 2007) pour l'arabe du Caire. En arabe du Caire, chaque mot proso-dique est accentué. Hellmuth (2004) a également suggéré que ce dialecte est caractérisé par deux niveaux de constituance prosodique au dessous du mot prosodique, le syntagme intermédiaire et le syntagme accentuel3. Le syntagme accentuel est composé minimale-ment par deux mots prosodiques, et il est signalé au niveau tonal par l'abaisseminimale-ment des valeurs de f0 à la n du constituant (nal lowering) ainsi que par la remise à niveau au début du syntagme accentuel successif (pitch reset).

3. Plus précisément, Hellmuth (2004) appelle ces constituants, respectivement, Syntagme Phonolo-gique Majeur (Major Phonological Phrase, MaP) et Syntagme PhonoloPhonolo-gique Mineur (Minor Phonological Phrase, Mip). Cette dénomination est due au fait que le travail de Hellmuth s'inscrit dans des récents développements de la Théorie de la Phonologie Prosodique (Selkirk, 2000), où le MiP et le MaP sont équivalents au syntagme intermédiaire et au syntagme accentuel de la Théorie AM.

L'italien napolitain présente aussi une situation très intéressante, qui peut être com-parée à celle du japonais, du français ou de l'arabe du Caire. Les phrases illustrées dans la g. 1.1 ont été lues comme un seul syntagme intonatif, contenant un seul syntagme intermédiaire. La n du syntagme intermédiaire est signalée par le mouvement descen-dant qui suit l'accent nucléaire montant LH réalisé sur nana. De plus, la région entre l'accent prénucléaire et l'accent nucléaire semble être caractérisée par la présence d'un ton additionnel. En particulier, dans les armations, l'accent prénucléaire montant sur mamma est suivi par une chute de laf0 jusqu'à la création d'un coude bas dans le verbe vuole. Dans les questions, la région suivante le premier accent mélodique ore à une forme parabolique, dont le point d'inexion semble lui aussi être réalisé à la n du mot proso-dique. Ce patron intonatif est très diérent de celui illustré dans la g. 1.15, où la phrase a été prononcée avec une focalisation avancée sur La mamma. Dans cette gure, le mot mamma porte un accent nucléaire qui est spécié comme L+H* dans les armations et comme L*+H dans les questions. Il faut noter en fait que l'alignement du pic est, dans cette gure, beaucoup plus avancé que l'alignement de l'accent prénucléaire montré dans la 1.1 : le pic nucléaire est réalisé à l'intérieur (dans les armations) et à la n (dans les questions) de la voyelle tonique de mamma, tandis que le pic prénucléaire est réalisé dans la syllabe post-tonique suivante dans les deux modalités intonatives. Comme on s'y attendait, l'accent de syntagme est réalisé comme un mouvement descendant raide et son alignement est diérent selon la modalité intonative : la n de la descente est en fait réa-lisée dans la syllabe post-tonique dans les armations et après la n de La mamma dans les questions. Cela suggère que le mouvement tonal après l'accent prénucléaire dans les gg. 1.1 et 1.2 peut être attribué à la présence d'un ton diérent de l'accent de syntagme.

Cette hypothèse sera mieux explorée dans le chapitre 4.

Figure 1.15 Spectrogramme, courbe def0 et étiquetage tonal pour la phrase La mamma vuole vedere la nana (la maman veut voir la naine), lue comme une ar-mation à focalisation étroite (en haut) et une question oui/non (en bas). La position du focus est avancée. Locuteur DD.