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<<La même entreprise que Montaigne ... JJ

Il est étrange que le parti pris résolument solipsiste affi-ché par Rousseau à l'époque des Rêveries le conduise comme malgré lui à revivre l'expérience d'un autre. Au moment où Rousseau, lassé de toute relation à ses semblables, apparaît décidé à ne plus se nourrir que de sa propre substance dans une sorte de mouvement d'autodévoration spirituelle, sur-git dans sa vie un accident presque mimétique de celui que raconte Montaigne au livre II des Essais. Rousseau est ren-versé par un animal, perd connaissance et revient à lui dans un sentiment de bonheur extatique. Cet événement, où Rousseau répète Montaigne sans paraître le remarquer, fait la matière de la« Deuxième promenade».

La «Première promenade» a pourtant opéré une sorte de tabula rasa affective et intellectuelle. Elle a prétendu délier Rousseau de toute relation à l'altérité:

Tout ce qui m'est extérieur m'est étranger desormais. Je n'ai plus en ce monde ni prochain, ni semblables, ni frères1

Rousseau se situe désormais dans une position d'excep-tion tout à la fois catastrophique et toute-puissante,

persé-1. Œuvres complètes, I, Paris, Pléiade, Gallimard, 1959, p. 999.

cuté pour sa singularité mais élu par elle, «mortel infor-. tuné » mais «impassible comme Dieu même»infor-. Il ne

devrait plus y avoir pour lui de société qu'intime: cette société duelle qu'instaure la remémoration, l'écriture et la rêverie, où la division de soi n'a d'autre finalité que de permettre une relation de soi à soi, un commerce inté-rieur. Cette indépendance absolue, conquise du fait de la méchanceté des hommes, devrait le soustraire à toute imi-tation existentielle ou littéraire. De fait, Rousseau éprouve le besoin de dégager l'originalité des Rêveries et c'est tout naturellement aux Essais qu'il les rapporte pour mieux les en distinguer:

Je fais la même entreprise que Montagne, mais avec un but tout contraire: car il n'écrivait ses essais que pour les autres et je n'écris mes rêveries que pour moi1

Voici donc Montaigne (trop «frère», trop «sem-blable», trop «prochain »2 ?) comme souvent chez Rous-seau en position de repoussoir. On sait que RousRous-seau, qui n'a cessé toute sa vie de fréquenter les Essais, reproche volontiers à Montaigne l'irresponsabilité de son scepti-cisme ou la sincérité trop sélective et avantageuse de son autoportraie. Cependant, Rousseau n'a jamais été aussi proche de Montaigne que dans Les Rêveries. Et c'est à lui d'être sinon insincère, tout au moins dépourvu de clair-voyance dans sa relation au grand aîné. L'accent n'est pas mis sur des ressemblances qui sautent pourtant aux yeux:

1. Ibid., p. 1001.

2. On sait que Rousseau, qui emprunte un exemplaire des Essais peu avant 1776, n'a cessé sa vie durant de relire Montaigne. Cf. Marcel Raymond, O.c., 1, p. LXXXI.

3. Cf. par exemple Les Confessions, livre X: «J'avois toujours ri de la fausse naïveté de Montagne qui faisant semblant d'avouer ses défauts a grand soin de ne ,s'en donner que d'aimables ... » (O.c., 1, p. 516) ou l'apostrophe d'Emile: « 0 Montaigne ! toi qui te piques de franchise et de vérité, sois sincère et vrai si un philosophe peut l'être, et di-moi s'il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d'être clément, bienfaisant, généreux? où l'homme de bien soit méprisable et le perfide honoré?» (O.c., IV, p. 599).

la proximité thématique de la «Deuxième promenade»

avec l'épisode si remarquable de la chute de Montaigne au chapitre 6 du II• livre des Essais; et l'analogie de compo-sition entre les deux textes, cette «allure à saut et à gam-bades» qui dans la « promenade» comme dans l' « essai»

épouse l'imprévu de l'événement et les revirements de la pensée. Rousseau n'admet de ressemblance que pour mieux faire apercevoir une opposition de fonction : l'« essai» n'est que pour autrui alors que la« promenade»

n'est que pour soi. La «promenade» devrait en quelque sorte absorber son propre lecteur, l'introjecter, tandis que l'« essai» ne cesse de le viser comme une extériorité sur laquelle il se règle. Il y a évidemment là pour Rousseau plus qu'un jugement littéraire: un ensemble d'implica-tions éthiques. Le désir d'autrui que manifeste Montaigne corrompt intimement son projet et c'est précisément de cette corruption qu'il importe de se distinguer.

A vrai dire une telle distinction est absolument sans preuves (comment soustraire intrinsèquement un écrit à autrui - c'est-à-dire à la relation, quand toute parole est institution d'une relation?). Et son énonciation entraîne un paradoxe pragmatique : affirmer le solipsisme d'un texte en un texte, c'est nécessairement le faire pour autrui, réintroduire celui-là même qu'il s'agissait d'exclure. Rous-seau situe donc sa relation à Montaigne sur fond d'une double dénégation: générale d'abord (les «promenades»

sont absolument« solitaires» et sans autre) et particulière ensuite (les «promenades» constituent le contraire de l'« essai» montaignien). Rousseau, cependant, s'illu-sionne. Ses «promenades» se donnent en exemple à autrui et se souviennent de Montaigne, fût-ce pour en infléchir la leçon. A la décharge de Rousseau, il faut reconnaître que la méthode même des« rêveries» l'expose à la rencontre involontaire d'autrui. Il y a dans Les Rêve-ries une méthode de la non méthode qui préfigure la libre association et l'allure déambulatoire de certaines autobio-graphies «automatiques» du xx• siècle. Rousseau promet

de dire ce qu'il a pensé « tout comme il ~ui] est venu et . avec aussi peu de liaison que les idées de la veille avec celles du lendemain». Du coup l' «informe journal de

"ses" rêveries» renonce non seulement à toute organisa-tion logique des idées mais aussi à la distincorganisa-tion entre idées propres et idées extérieures :

Du reste toutes les idées étrangères qui me passent par la tête en me promenant y trouveront egalement leur place1

Rien ne dit qu'elles pourront encore être reconnues comme étrangères. La «rêverie» n'est pas en mesure de faire la part du moi et de l'autre dans ce qui constitue son tissu. En fait, elle est profondément indifférente à une telle discrimination. Dans l'espace de la rêverie toute pen-sée, d'où qu'elle vienne, se donne avec une même valeur d'appropriation subjective. En ce sens, dans la «rêverie», on peut baigner dans les pensées d'autrui tout en demeu-rant parfaitement soi-même.

S'il est banal, et même inévitable, de penser les pensées d'autrui tout en les considérant comme «propres», il est plus singulier de vivre en première personne un accident déjà vécu et raconté par un autre. La «Deuxième prome-nade», juste après avoir établi le succès d'une méthode de contemplation qui cherche « toute sa pâture au dedans de soi», et s'alimente du ressouvenir de rêveries anciennes, bifurque soudain pour narrer un «accident imprévu» sur-venu le 24 octobre 1776, accident qui, dit Rousseau,

« vint rompre le ftl de mes idées et leur donner pour quelque temps un autre cours ». Après avoir herborisé dans les sentiers des hauteurs de Ménilmontant, Rousseau redescend vers Paris dans un paysage automnal qui entre-tient en lui des pensées tristes et consolantes. Soudain,

«au fort de [sa] rêverie», surgit un gros chien danois« qui s'élançant à toutes jambes devant un carrosse» fond sur lui sans pouvoir l'éviter et le renverse. Rousseau ne

1. O.c., 1, p. 1000.

revient à lui que plus tard, « entre les bras de trois ou quatre jeunes gens» qui lui racontent les détails de l'acci-dent. Mais bien plus important que ces détails est l'état extatique de renaissance à la vie qu'il éprouve alors.

La nuit s'avançait. J'apperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette prémiére sensation fut un moment déli-cieux. Je ne me sentois encor que parlà. Je naissois dans cet instant à la vie, et il me sembloit que je remplis sois de ma legere existence tous les objets que j'appercevois. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien; je n'a vois nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venoit de m'arriver;

je ne savais ni qui j'étois ni où j'étois; je ne sentois ni mal, ni crainte, ni inquietude. Je voyois couler mon sang comme j'aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m'appar-tint en aucune sorte. Je sentois dans tout mon être un calme ravis-sant auquel chaque fois que je me le rappelle je ne trouve rien de comparable dans toute l'activité des plaisirs connus1

Ce récit apparemment si personnel, si précis et si singulier dans les sensations qu'il décrit, nous devons pourtantle rap-porter, dans la filiation de Montaigne2, à une tradition nais-sante du récit d'expérience. On pourrait en nommer les séquences essentielles31 /Le récit procède d'une syncope, au double sens physiologique et temporel du terme: «Je ne sentis ni le coup, ni la chute, ni rien de ce qui s'ensuivit jus-qu'au moment où je revins à moi. Il était presque nuit quand je repris connaissance. Je me trouvai entre les bras de trois ou quatre jeunes gens qui me racontérent ce qui venait de

1. Ibid., p. 1005.

2. La relatiol} à l'essai II, 6 de Montaigne a été relevée par Robert Osmont, Etude psychologique des «Rêveries», Annales de la société jean-jacques Rousseau, t. XXIII, 1934. Cf. aussi Marcel Raymond, O.c., 1, p. 1005, n. 2; et plus récemment le rapide rapprochement de Giorgio Agamben dans Enfance et histoire (1978), Paris, Payot, 1989, p. 50-53.

3. La validité d'une telle grille narrative pourrait, me semble-t-il, être éprouvée avec succès sur des récits beaucoup plus récents, comme par exemple celui de la blessure dans Le G~~errier appliqué de Jean Paulhan, Paris, Gallimard, 1982 (1916), «L'Imaginaire», p. 85.

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m'arriver» écrit Rousseau, faisant écho à Montaigne(« et me fis redire plusieurs fois où j'aloy, d'où je venoy, à quelle heure cela m'estait advenu, avant que de le pouvoir conce-voir»). Cette perte de conscience amène le sujet de l'expé-rience à recourir au récit d'autrui pour rétablirle fù rompu de son existence. La lacune existentielle n'est donc comblée qu'au prix d'un discours rapporté qui institue le moi en

«deuxième personne». 2/Cette désubjectivation gramma-ticale redouble en fait une mort à soi-même ressentie du fait de l'événement traumatique. Le sujet de l'expérience éprouve en effet un sentiment extatique associé à un détache-ment de tous ses intérêts vitaux: «je n'avoy affliction ny pour autruy ny pour moy: c'estoit une langueur et une extreme faiblesse, sans aucune douleur» dit Montaigne. Et Rousseau après lui évoque un« sentiment délicieux». L'un se laisse couler doucement, l'autre assiste paisiblement à l'épanchement de son sang. Cette indifférence à la blessure fait contraste avec l'effroi clairement lisible dans le regard d'autrui. Montaigne évoque ainsi les lamentations de sa famille à son arrivée, tandis que Rousseau note :

Les cris de ma femme en me voyant me firent comprendre que j'étais plus maltraité que je ne pensois1

Le détail complet de ses blessures ne lui apparaîtra clai-rement que le lendemain. 3 /Devenu étranger à lui-même, et comme dédoublé, le sujet de l'expérience accomplit des actes dont il n'a pas la conscience pleine. On pourrait par-ler là d'une aliénation en « 3< personne »2On se souvient de Montaigne encore évanoui entrouvrant son pourpoint, ou commandant inconsciemment qu'on donne un cheval à sa femme.

Je demandai où j'étais; on me dit, à la haute borne; c'était comme si l'on m'eut dit au mont atlas. Il fallut demander succes-sivement le pays, la ville et le quartier où je me trouvais. Encor

1. O.c., I, p. 1006.

2. Tel est selon Agamben, op. cit., le critère même de l'« expérience».

cela ne put-il suffire pour me reconnoitre ; il me fallut tout le trajet de là jusqu'au boulevard pour me rappeller ma demeure et mon nom1

écrit Rousseau. 4 /Le souvenir rétrospectif de l'imminence accidentelle revient avec une précision hallucinatoire et figée. Les circonstances de l'accident se représentent dans leur caractère instantané, qui a suspendu toute tempora-lité des affects, en particulier de frayeur.« ... J'avoy vu [ce cheval] à mes talons et me tins pour mort, mais ce pense-ment avait esté si soudain que la peur n'eut pas loisir de s'y engendrer» note Montaigne. Et Rousseau revoit de même le chien fonçant sur lui et se remémore la pensée qu'il eut alors du mouvement nécessaire pour l'éviter sans qu'il ait eu le temps d'en ébaucher l'éxécution.

Toutes les séquences du récit d'expérience proposent donc des variations autour d'un même thème: celui d'une désubjectivation passagère mais profonde. Rien d'étonnant donc si dans cet effacement de l'identité propre tous peuvent se retrouver. Là où le sujet n'est plus lui-même, l'expérience de l'un est aussi bien celle de l'autre. Il y a moins identification de Rousseau à taigne que partage d'une désidentification dont Mon-taigne a tracé la voie. La « rêverie» déjà accueillante à l'anonymat des pensées l'est plus encore à l'impersonna-lité de l'expérience. Il n'en reste pas moins qu'en un point, il faut rendre jus ti ce à Rousseau : Les Rêveries ne sont pas Les Essais, la chute de Rousseau ne se confond pas avec celle de Montaigne, aussi proches soient-elles anecdotiquement. Il se peut que l'une et l'autre aient pour fond un analogue dessaisissement de la subjectivité, qui est indissociable de toute expérience. Mais la signifi-cation que prend leur expérience réciproque dans le contexte philosophique et imaginaire de leur œuvre est sensiblement différent.

1. O.c., 1, p. 1006.

Une simple analyse des mouvements élémentaires qui marquent dans chaque cas le retour à la vie traduit déjà une différence de posture existentielle. Chez Montaigne, on s'en souvient, l'impulsion première vise à «pousser hors» une vie qui semble ne demander qu'à glisser au-delà d'elle-même. Se laissant couler doucement, Montaigne semble, du fait de sa chute, rejoindre un flux héraclitéen. Le mouve-ment imaginaire qu'esquisse Rousseau tombé est plus com-plexe. L'épanchement n'y tient qu'une place secondaire: de fait il n'est plus éprouvé comme un mouvement de l'être tout entier, il est limité au seul écoulement du sang, et aperru, objectivé, comme un spectacle extérieur presque aussi indifférent que celui d'un ruisseau. En revanche, le mouvement intérieur véritablement premier dans l'après chute de Rousseau est fait d'allégement et d'élévation («il me semblait que je remplissais de ma legere existence tous les objets que j'apercevais»). Imaginairement, Rousseau se sent échapper à la pesanteur et jouir d'une expansion qui gagne jusqu'aux étoiles et les pénètre. Il est bien près alors de ressembler au dieu de Newton, cet être incorporel qui constitue la durée etl'espace en existant toujours et partout, qui emplit l'espace infini comme si c'était son sensorium, et qui «voit intimement les choses elles-mêmes et les perçoit parfaitement et les comprend entièrement par leut; présence immédiate àlui-même»1

Le nouveau Dédale

La chute de Ménilmontant est donc pour Rousseau l'occasion d'une vive compensation imaginaire. Rousseau s'investit après-coup des pouvoirs quasi divins qui auraient pu le mettre au-dessus de tout risque de chute.

Ainsi, il réalise - mais trop tard - la dernière pensée lucide qu'il ait eu avant l'accident. Rousseau affirme en

1. Alexandre Newton, Optice ... , III, qu. 20 (Londres, 1706) cité et tra-duit par Alexandre Koyré, Du Monde clos à l'univers infini, p. 252.

effet avoir été saisi, face à l'imminence du choc, d'une idée «plus prompte que l'éclair» :

Je jugeai que le seul moyen que j'avois d'éviter d'être jetté par terre étoit de faire un grand saut si juste que le chien passât sous moi tandis que je serois en l'air1

Sans doute faut-il yvoir une réaction de défense, en forme de déni de réalité, par laquelle Rousseau s'accorde une capa-cité d'envol et se figure suspendu dans les airs au moment où il est clair que plus rien ne peut éviter sa chute. Mais l'ur-gence du péril a peut-être ranimé un désir plus ancien. Dans un texte intitulé Le Nouveau Dédale, longtemps attribué à Rousseau, et daté de 1742, l'auteur s'interroge: « ... Est-il bien vrai que l'impossibilité de monter dans les airs, soit démontrée ?»2 Grimm, de son côté, n'affirme-t-il pas dans une lettre du 15 juin 17 62 de sa correspondance littéraire que Rousseau à l'époque de son arrivée à Paris« s'occupait d'une machine avec laquelle il comptait apprendre à voler» ? Le Nouveau Dédale fait l'apologie de la« navigation aérienne» et invite à explorer la «route des airs». L'auteur envisage d'abord plaisamment de prendre modèle sur le procédé qui a si bien réussi à Dédale (sinon à Icare), en s'attachant aux bras des ailes ointes d'huile. II commente:

Jusqu'ici tout va le mieux du monde, et ces imaginations n'ont assurément rien que de fort joli. Le mauvais est que les idées des projets les moins possibles sont justement celles qui nous amusent davantage3

Pour autant l'auteur ne se décourage pas dans ses rêve-ries spatiales. Plus sérieusement, il propose de s'inspirer

1. O.c., p. 1005.

2. Cet essai sur la «navigation aérienne», publié en 1801 par La Gazette nationale fut présenté comme un ensemble de fragments, transcrits à partir d'un manuscrit de Jean-Jacques Rousseau daté de 1742. Sur tout cela, cf. Jean-Jacques Rousseau, Le Nouveau Dédale, édition critique de Jean Wirz, in Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, XXXVIII (1975), ainsi que la reproduction de

l'édition de 1801, et l'introduction d'Edmond Petit, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne (1994).

3. Le Nouveau Dédale, édition de 1801, p. 12.

de la machine volante imaginée par Honoratus Fabri1 -machine- qu'on pourrait décrire comme une sorte de fusée à air comprimé, que son inventeur pense pouvoir adapter au transport aéronautique :

Alors en suspendant une chaise à ce tube, un homme qui s'y assiéra sera infailliblement élevé en haut; et si l'on ajoute à cela un gouvernail avec quelques soufflets par lesquels on puisse de nouveau insérer l'air dans le tube, avant que le premier soit ecoulé, vous pourrez impunément voler dans les airs aussi long-tems qu'il vous plaira.

L'auteur ajoute:

Mais sans entreprendre de réfuter sérieusement un pareil pro-jet, j'avouerai seulement que serois curieux de voir un autre tube assez fort pour enlever un homme ; mais le comble de mon admi-ration seroit de voir cet homme se promener longtems à droite et à gauche par le milieu des airs, avec un instrument qui cependant n'aurait d'autre force que pour monter continuellement2

Passant sur son scepticisme, il réaffirme la vivacité de son désir.

Ces naïves spéculations aériennes offrent une version littérale et positive des élans célestes caractéristiques du Rousseau de la maturité. Effectivement chez Rousseau, tout essor intellectuel est figuré en termes de mouvement ascensionnel. Les premières lignes du Discours sur les sciences et les arts (1750) métaphorisent dans ce registre le progrès technique de l'humanité :

C'est un grand et beau spectacle de voir l'homme sortir en quelque maniere du néant par ses propres efforts; ( ... ) s'élever au-dessus de soi-même; s'élancer par l'esprit jusques dans les régions célestes ; parcourir à pas de Géant ainsi que le Soleil, la vaste étendue de l'univers ... 3

Et de même, dans la 3e Lettre à Malesherbes, du 26 jan-vier 1762, Rousseau décrit ses contemplations botaniques

1. Physica, id est Scientia Rerum Corporearum (1671) 2. Le Nouveau Dédale, p. 12-13.

3. O.c., III, p. 7.

comme une rêverie cosmique: «j'aimais à me perdre en

comme une rêverie cosmique: «j'aimais à me perdre en

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