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CHAPITRE II : LE TIMING DE RÉPLICATION

B. Timing de réplication et cancer

Nous venons de voir que le timing de réplication constitue une marque épigénétique à part entière, marqueur de l’identité cellulaire, soulignant l’importance de ce processus dans la « destinée » d’une cellule. De façon intéressante, plusieurs études ont montré que ce marqueur si robuste était altéré dans plusieurs maladies, maladies génétiques et surtout cancer présentent un timing de réplication altéré (Pour revue (Donley and Thayer, 2013)). Dans le syndrome de Roberts ou la maladie de Gilles de la Tourette (Barbosa et al., 2000; Greally et al., 2003), une désynchronisation entre la réplication des deux allèles de régions d’intérêt, qui sont synchrones chez le sujet sain a été observée. Une étude globale a aussi montré que les SNP, ou de nombreux gènes associés à des maladies telles le cancer ou Alzheimer (par exemple les oncogènes Cycline D1, FGF (« Fibroblast Growth Factor ») 3 et 4 ou APP (« Amyloid Beta (A4) Precursor Protein ») respectivement), sont situés dans des zones de transition du timing de réplication (Watanabe et al., 2002), zones dépourvues ou appauvries en origines de réplication et qui sont souvent le nid de sites fragiles. Mais la maladie pour laquelle le lien avec le timing de réplication est le plus décrit est certainement le cancer. En effet, de nombreuses études à la fin des années 1990, début des années 2000 ont aussi décrit une désynchronisation de la réplication de loci normalement synchrones dans les leucémies, mais aussi dans des lésions pré-cancéreuses ou dans les lymphocytes de patients atteints de tumeurs solides (Amiel et al., 1998a, 1999, 1998b; Cytron et al., 2011; Korenstein-Ilan et al., 2002). Dans le cancer du sein, certains gènes impliqués dans la pathologie (TP53, RAD51, ATM, PTEN, et cMYC) subissent un retard de timing, associé à une perte de leur expression (Fritz et al., 2013). En 2012, une étude sur le génome entier de plusieurs patients atteints de leucémie aigue lymphoblastique a montré que le timing de réplication, conservé entre des

lymphoblastes sains, et altéré sur l’ensemble du génome chez les patients avec une tendance à une avancée du timing chez la plupart d’entre eux. Si le timing de réplication entre les différents patients présente des différences substantielles, il existe des modifications communes à tous les patients, que les auteurs regroupent sous le nom d’« empreintes digitales pan-leucémiques ». Il est possible que ce soit les témoins d’évènements communs précurseurs dans la maladie, conservés au cours de la tumorigenèse. De façon intéressante, cette étude a aussi montré que de nombreux changements de timing associés à la maladie ont lieu près de sites de réarrangement ou translocations chromosomiques caractéristiques de la maladie, suggérant que la modification du timing pourrait favoriser la survenue de tels évènements (Ryba et al., 2012).

Le lien entre timing de réplication et instabilité génétique a été décrit à de nombreuses reprises. Tout d’abord, dans un contexte normal, les régions répliquées en fin de phase S sont beaucoup plus susceptibles aux mutations ponctuelles ou à la survenue de duplication génique (Donley and Thayer, 2013; Lang and Murray, 2011; Stamatoyannopoulos et al., 2009). De plus, des études suggèrent qu’une dérégulation du timing de réplication peut entrainer des problèmes dans la condensation des chromosomes, et par voie de conséquence une mauvaise ségrégation et des translocations en mitose (Breger et al., 2004; Loupart et al., 2000; Smith et al., 2001). Enfin, comme évoqué précédemment, les sites fragiles, dont l’expression constitue un évènement précoce dans la tumorigenèse sont souvent situés au niveau des régions des TTR. Ainsi, le timing de réplication et ses altérations peuvent jouer un rôle moteur dans l’instabilité génétique qui accompagne le développement tumoral, en alimentant le phénotype mutateur par mutations ponctuelles ou en favorisant les amplifications, délétions ou translocations chromosomiques.

Ainsi le timing de réplication est un programme robuste, marque épigénétique à part entière qui définit l’identité d’une cellule, mais aussi son « état de santé ». Sans que l’on puisse affirmer que son altération soit à l’origine du développement tumoral, ou si c’est la maladie qui induit des modifications, nul doute qu’il participe à la tumorigenèse. Et les résultats de Ryba et al. suggèrent que c’est un évènement qui survient à des stades précoces de la maladie.

Objectifs de mon travail de thèse.

Quand j’ai commencé ma thèse, mon projet visait à comprendre quel(s) rôle(s) pouvait jouer une ADN polymérase spécialisée, l’ADN polymérase Thêta (Polθ) dans la réplication génomique. En effet, comme nous le verrons plus tard, mon équipe a montré que cette ADN polymérase présente une signature toute particulière dans les cancers du côlon, du poumon et du sein (Allera-Moreau et al., 2012; Lemée et al., 2010; Pillaire et al., 2010). Nos recherches visaient donc à explorer, comme c’était le cas pour deux autres ADN polymérases spécialisées, les ADN polymérases eta (η) et Kappa (κ), si elle intervenait dans la réplication du génome en absence de stress exogène, et de quelle manière. Au fur et à mesure, les résultats expérimentaux nous ont orientés vers un versant complètement inattendu de la réplication : la régulation temporelle de l’activation des origines de réplication. Par la suite, j’ai donc continué à chercher ce qui pouvait influencer ce timing de réplication, programme si robuste, et pièce d’identité de la cellule. En particulier, compte tenu du lien particulier qui existe entre dérégulation du timing de réplication et cancer, j’ai cherché à évaluer l’impact que pouvait avoir le stress réplicatif, un des moteurs de la cancérogenèse, et caractéristique intrinsèque de la cellule tumorale sur ce programme temporel des origines de réplication.