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La thapsigargine et ses analogues : un traitement en phase d’essais cliniques

Cette nouvelle classe de molécules dérive de la TG, extraite d’une plante (Thapsia garganica), elle possède un potentiel anti-tumoral très intéressant pour plusieurs raisons. Premièrement, contrairement à la plupart des agents utilisés en chimiothérapie qui visent les cellules dans leur état mitotique, la TG a l’avantage de cibler à la fois les cellules en prolifération mais également les cellules quiescentes (Christensen et al., 2009; Denmeade and Isaacs, 2005). Cette caractéristique s’avère être très pertinante dans le cas, du cancer de la prostate où les cellules cancéreuses présentent un taux de prolifération très faible avec un grand nombre de cellules quiescentes. La TG étant très cytotoxique, cette stratégie d’induction de l’apoptose était impossible sans un signal d’adressage. Pour cette raison, cette même équipe de chercheur a élaboré, en 2003, un analogue de la TG modifiée chimiquement. Il s’agit du G-202 (Denmeade et al., 2003) aujourd’hui exploité par la compagnie GenSpera

(USA). Cet analogue a rendu possible le couplage d’un peptide de « transport » qui est un substrat pour la protéase PMSA (prostate membrane-spécifique antigène). Le G-202 (schéma 12) devient alors une pro-drogue non toxique et ce n’est que sous l’action protéolytique de la PMSA, qui permet de libérer le peptide, que le G-202 devient alors perméable et pénètre dans les cellules tumorales pour les détruire. La PMSA est surexprimée notamment dans les cancers hépatiques, prostatiques et d’autres tumeurs solides ce qui ouvre la voie à de nombreuses possibilités d’utilisation (Figure 1). En effet la molécule G-202 est actuellement en cours d’évaluation clinique (Phase II) pour traiter des patients atteints de cancers prostatiques en échappement thérapeutique mais également hépatique, mamaire et du colon. Le G-202 cible également les cellules endothéliales tumorales ce qui permettre la destruction des vaisseaux sanguins environnants la tumeur. Cette action anti-angiogénique peut s’avérer un avantage supplémentaire dans le traitement des cancers solides.

Figure 1 : Expression de la PSMA (Prostate Specific Membrane Antigen) dans des échantillons de différents cancer. HCC : Hepato carcinoma cancer, Mes: Mesothelioma ,OC Ovarian cancer, RCC: Renal Carcinoma Cancerl, BrC : Breast Cancer, Mel : Melanoma and BC: Bladder Cancer. N (nombre d’échantillons de patients). figure adaptée d’une présentation de GENSPERA Corporate overview July 2014.

Schéma 12. Structure de la prodrogue G-202 (21) et le composé antitumoral sous sa forme active (22) obtenu après clivage par la PMSA endogène. Le linker utilisé est en magenta, le composé ASP-ADT (ASP sur la figure) en rouge, le peptide d’adressage est en bleu. D’après (Doan et al.).

PROBLEMATIQUES.

1. Enjeux actuels en cancérologie.

Les thérapies utilisées aujourd’hui en clinique ciblent des caractéristiques bien identifiées du cancer (voir Introduction section I.) pour contrer l’expansion tumorale. La prolifération cellulaire, l’angiogenèse ou bien l’invasion et le processus de métastase sont des processus clés de la progression tumorale et représentent ainsi des cibles thérapeutiques. Par exemple, de nombreuses molécules ont été identifiées puis utilisées pour cibler les cellules en prolifération : des inhibiteurs de la topo-isomérase I et II (étoposide), des poisons du fuseau mitotique (les taxanes) et des agents alkylants (cisplatine, oxaliplatine). Mais ces stratégies connaissent bien des échecs à cause des mécanismes de compensations que peuvent développer les cellules cancéreuses et en raison de l’hétérogénéité génotypique et phénotypique des tumeurs (voir Introduction section I.). En effet, les études que j’ai réalisées durant ma thèse ont commencées par ce constat: aujourd’hui malgré les nombreuses avancées technologiques et l’augmentation des connaissances dans la biologie du cancer, il n’existe pas de thérapie efficace sur le long terme à cause des capacités d’adaptation du cancer qui se situent à un double niveau. Premièrement, nous avons vu dans le chapitre Introduction (I) que le cancer possède un certain nombre de « caractéristiques » bien identifiées. En effet, la cellule cancéreuse peut acquérir une dizaine de caractéristiques clés telles qu’une prolifération non contrôlée, une résistance à l’apoptose, des capacités d’invasion et d’angiogenèse accrue. Deuxièmement, nous avons également abordé que les tumeurs présentent également une grande diversité cellulaire avec en plus bien évidemment des cellules cancéreuses, des cellules endothéliales, des cellules souches, des cellules inflammatoires formant ainsi une diversité d’environnement ou microenvironnement tumoral plus ou moins propice au développement de la tumeur et à l’apparition de phénomènes de résistances aux traitements (voir Introduction section II.). A côté de cette hétérogénéité structurale, il existe également une hétérogénéité d’un point de vue génétique et phénotypique des cellules tumorales. Certaines de ces cellules possèdent des aptitudes ou des caractéristiques intrinsèques bien particulières qui sont à l’origine des résistances aux traitements anti-cancéreux. La plupart des traitements ne peuvent cibler, en général, qu’une seule caractéristique des cellules cancéreuses et/ou une partie seulement des différents types cellulaires formant la tumeur. Les tumeurs régressent donc dans un premier temps puis la maladie progresse à nouveau grâce à l’expansion clonale de nouvelles cellules tumorales généralement plus résistantes.

Aujourd’hui une nouvelle approche thérapeutique se développe avec l’élaboration de thérapies visant simultanément plusieurs processus cellulaires pour aboutir à une mort « inéluctable » des différents types de cellules cancéreuses (voir Introduction section I.). Le but est de rendre plus compliqué le développement des mécanismes de résistance. Malheureusement, le facteur limitant est bien souvent que de telles associations présentent des toxicités et des effets secondaires accrus pour les patients. Il est donc indispensable d’imaginer, en parallèle, des tentatives de ciblage des tumeurs pour tenter d’amener le médicament au plus proche de la tumeur. Pour ce faire, des stratégies de vectorisation avec notamment des nanoparticules sont développées. Durant ce travail de thèse nous avons considéré qu’un médicament sous forme d’une prodrogue qui serait activée au niveau de la tumeur constituerait une excellente approche (Denmeade and Isaacs, 2005). En conclusion, le médicament ou la combinaison de médicament idéal devra agir localement sur plusieurs caractéristiques clés du cancer au sein des différents types cellulaires de la tumeur.

2. Cas du cancer de la prostate.

Le cancer de la prostate occupe le premier rang en ce qui concerne le nombre de cas diagnostiqué par an (53465 en 2012) et le troisième rang si on considère sa contribution à l'ensemble des décès par cancers, derrière le cancer du poumon et le cancer colorectal (source InVS). Les stades localisés et agressifs ou métastatiques du cancer de la prostate sont actuellement incurables.

La complexité du cancer nous oblige aujourd’hui à repenser nos stratégies pour les combattre. Dans ce contexte, il est bien connu que le cancer de la prostate présente une caractéristique bien particulière à savoir qu’il se distingue par une prolifération certes aberrante mais surtout très lente (Denmeade et al., 2003). En effet, ce cancer peut se développer pendant plusieurs décennies avant de provoquer des symptômes chez les patients. Ainsi, de nombreux traitements anti-cancéreux qui ciblent spécifiquement les cellules en prolifération s’avèrent peu efficaces. De plus, les tumeurs prostatiques présentent une résistance importante aux traitements chimiothérapeutiques en partie liée à un phénomène de résistance à l’apoptose (voir Introduction section II. A). En conséquence, les nouvelles molécules anticancéreuses, proposées en chimiothérapie, ne sont souvent guère plus efficaces que leurs ainées puisqu’un phénomène de résistance aux traitements apparait au fil du temps. Malheureusement, l’industrie pharmaceutique n’a pour seule réponse, le développement de nouvelles molécules toujours plus onéreuses mais surtout peu innovantes et donc peu efficaces.

En conclusion, il n’existe pas aujourd’hui de thérapies curatives pour les patients atteints d’un cancer de la prostate localisé et agressif ou métastatique.

3. Potentiel thérapeutique des canaux calciques ORAI et des pompes SERCA.

Les hypothèses actuelles concernant les approches pour vaincre le cancer s’orientent vers le développement de thérapies combinées qui devront cibler différentes caractéristiques de la cellule cancéreuse et également l’hétérogénéité tumoral. Dans ce contexte, le laboratoire a depuis longtemps étudié un acteur central de cette complexité : l’homéostasie calcique (voir Introduction section III.). En effet, le calcium en tant que second messager intracellulaire va permettre de réguler un grand nombre de processus physiologiques qui sont dérégulés aux cours du cancer et le rôle du calcium dans la progression est maintenant bien établi (voir Introduction section III.).

Pour ce travail de thèse, je me suis focalisée sur deux acteurs cruciaux de cette homéostasie calcique à savoir les canaux calciques ORAI et les pompes SERCA. Ces deux protéines sont intimement liées puisque l’inhibition des pompes SERCA représente un des mécanismes permettant d’activer les canaux SOC formés notamment par les protéines ORAI (voir Introduction section IV. 3). De même, il est considéré que l’activation de ces canaux SOC par l’inhibition des SERCA constitue la base du pouvoir cytotoxique de nouvelles chimiothérapies basée sur la TG (voir Introduction section V.). Cependant, mes travaux réalisés au cours de mon master recherche ont remis en cause cette implication de l’entrée de calcium par les canaux SOC comme étant à l’origine de l’apoptose des cellules cancéreuses par la TG. En effet, nous avions observé qu’un analogue de la TG avait un pouvoir pro- apoptotique considérablement diminué par rapport à la TG alors que les signatures calciques étaient identiques ! En effet la TG comme ASP-8ADT sont tous deux capables de vidanger le réticulum endoplasmique et induire une entrée calcique via les canaux SOC. Ce composé ASP-8ADT est le composé actif d’une nouvelle prodrogue actuellement en cours d’évaluation clinique (voir Introduction section V. D). Il s’agit du G-202 (Denmeade et al., 2003) aujourd’hui exploité par la compagnie GenSpera (USA). Cet analogue a rendu possible le couplage d’un peptide de « transport » qui est un substrat pour la protéase PMSA (prostate membrane-spécifique antigène) ce qui n’était pas faisable pour la TG.

En ce qui concerne le potentiel thérapeutique des protéines ORAI, des travaux ont montré que les protéines ORAI participent à la progression tumorale via une stimulation de la prolifération ou de la migration dans le cancer du sein notamment (voir Introduction section IV. B et C).

Ainsi, les canaux ORAI et les pompes SERCA sont chacun impliqués dans plusieurs des caractéristiques du cancer permettant de cibler à la fois les cellules quiescentes et en prolifération et qui cibleront également l’hétérogénéité tumorale. Ces caractéristiques nous sont apparues cruciales dans le but de proposer une stratégie innovante de traitement pour tenter de contrer les mécanismes de résistance.

OBJECTIFS :

Après avoir observé que le composé ASP-8ADT avait un pouvoir pro-apoptotique considérablement diminué par rapport à la TG bien que leurs signatures calciques soient très semblables, nous a amené à reconsidérer certaines hypothèses largement admises jusque-là. En effet, des travaux antérieurs du laboratoire avaient montré que les protéines ORAI sont impliquées dans un mécanisme de résistance à l’apoptose (Vanden Abeele et al., 2002; Flourakis et al., 2010). Une diminution de l’entrée de calcium par ces canaux SOC étant associée à une résistance à l’apoptose. D’autre part, d’autres études montraient que les canaux ORAI1 par le même mécanisme d’activation de type SOC pouvaient également participer à la migration cellulaire et aussi la prolifération dans différents modèles de cancer ! (voir Introduction section IV.). Enfin, d’autres études suggèrent l’importance des interactions fonctionnelles entre notamment les isoformes ORAI1 et ORAI3 qui déterminent quelles caractéristiques du cancer ces protéines peuvent réguler (voir Introduction section IV.). Toutes ces études montraient clairement l’implication des protéines de la famille ORAI dans la progression tumorale mais leur(s) rôle(s) dans les altérations de l’homéostasie calcique favorisant un phénotype plus agressif reste encore mal caractérisé(s). Ainsi, des questions cruciales restaient en suspens et ont donc constituées les objectifs de ma thèse :

1. Quelles caractéristiques du cancer les protéines ORAI régulent-elles dans les cellules cancéreuses prostatiques? En particulier, quels sont les rôles respectifs des isoformes ORAI1, ORAI2 et ORAI3 dans les mécanismes de régulation de la prolifération et de l’induction de l’apoptose des cellules tumorales prostatiques ?

Cette question est traitée de façon spécifique dans l’article 1 (Dubois et al., 2014 Cancer Cell). Les résultats sont discutés dans l’article correspondant et également dans la section spécifique « Discussion » de ce manuscrit (section I.).

2. Quelles sont les interactions fonctionnelles entre les différentes isoformes ORAI? Cette problématique est abordée de façon spécifique dans l’article 1 (Dubois et al.,

2014 Cancer Cell). Les résultats sont discutés dans l’article correspondant et également dans la section spécifique « Discussion » de ce manuscrit (section I.).

3. Quel est le rôle de l’entrée capacitive de calcium médiée par les protéines ORAI dans l’induction de l’apoptose suite à l’inhibition des pompes SERCA par des analogues de la TG. En particulier, quels sont les mécanismes cytotoxiques impliqués lors d’un stress calcique réticulaire induit par la TG et la prodrogue G-202 ?

Ces questionnements sont étudiés dans les articles 2 et 4 de ce manuscrit. Les résultats sont discutés dans ces articles correspondants et également dans la section spécifique « Discussion » de ce manuscrit (section II.)

4. Quel est le rôle de l’entrée capacitive de calcium médiée par les protéines ORAI dans l’induction de l’apoptose suite à l’inhibition des pompes SERCA par des analogues de la TG. En particulier, quels sont les mécanismes cytotoxiques impliqués lors d’un stress calcique réticulaire induit par la TG et la prodrogue G-202 ?

Ces questionnements sont étudiés dans les articles 2 et 4 de ce manuscrit. Les résultats sont discutés dans ces articles correspondants et également dans la section spécifique « Discussion » de ce manuscrit (section II.)

5. Quels sont les intérêts thérapeutiques d’un stress calcique provoqué par l’inhibition des pompes SERCA avec les analogues de la TG pour contrer les résistances aux chimiothérapies ?

Les réponses à ces questionnements sont présentées dans l’article 4 de ce manuscrit. Les résultats sont discutés dans cet article correspondant et également dans la section spécifique « Discussion » de ce manuscrit (section II.)

I. Culture cellulaire :

Pour étudier le cancer de la prostate, nous avons utilisé plusieurs lignées cellulaires prostatiques. Nous avons choisis la lignée LNCaP (Lymph Node Carcinoma of the Prostate) provenant de l’ATCC (American Type Culture Collection). Ce sont des cellules immortalisées, hormono-dépendantes, qui sont d’origine épithéliale. Elles expriment de ce fait le récepteur aux androgènes et sécrètent le PSA (Prostate Specific Antigen). A l’origine, elles proviennent d’un ganglion lymphatique supra-claviculaire suite à un carcinome prostatique chez un homme de 50 ans. D’autres lignées de la phase tardive des cancers de la prostate ont été choisi pour leur caractère androgéno-indépendant et leur phénotype très invasif: les lignées DU-145 et PC-3. La première a été établie à partir d’une métastase cérébrale et la seconde à partir d’une métastase osseuse, chez des hommes atteints d’un cancer prostatique âgés respectivement de 65 et 62 ans.