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4. Diminuer le déficit

4.5 Thérapie par la contrainte

Un manque de fonction peut être aggravé quand les capacités résiduelles sont sous utilisées.

Le déficit primaire de fonction est alors augmenté par une « non-utilisation acquise ». Ceci a bien été démontré chez l’animal. Une désafférentation expérimentale par rhizotomie entraîne une « non utilisation acquise » (« learned non use ») du membre alors même qu’il persiste une capacité motrice. Cette capacité motrice peut être retrouvée en forçant l’animal à utiliser son membre lésé par immobilisation du membre intact. On constate alors une réorganisation de la représentation corticale du membre [196] .

4.5.1 Thérapie motrice induite par la contrainte

Le concept développé par Taub et al [199, 307] de thérapie motrice induite par la contrainte (Constraint Induced Movement Therapy : CIMT) consiste à obliger la personne à utiliser son membre supérieur parétique. Le membre sain est immobilisé pendant la majeure partie de la journée limitant ainsi son utilisation. Le membre parétique est employé dans les différentes activités de la vie quotidienne auxquelles s’ajoute un programme d’exercices intensifs, répétitifs, ciblés sur les difficultés observées. Les exercices sont décomposés en petites étapes et adaptés de façon continue en variant notamment la vitesse d’exécution et l’amplitude du mouvement (« shaping ») [198, 308, 309].

Les modalités précises pour réaliser une thérapie par contrainte ne sont pas toujours détaillées ni consensuelles dans la littérature.

Il est bien sur nécessaire que le membre supérieur parétique ait un minimum de fonction pour pouvoir bénéficier de l’exercice et pratiquer un maximum d’activités. En effet un patient au membre plégique et sans fonction ne profitera pas du fait que son seul membre fonctionnel soit rendu inopérant. La motricité fixée dans de nombreuses études est de 10° d’extension active des articulationsmétacarpo-phalangiennes et inter phalangiennes et de 20 ° de celles du poignet. Les patients avec une spasticité cotée à plus de 2 sur l’échelle modifiée

d’Ashworth et avec des douleurs non contrôlées à plus de 4/10, mesurées par l’échelle visuelle analogique de la douleur, sont parfois écartéscar ils risquent de ne pas supporter l’intensité de la mobilisation de leur membre [310]. Il est nécessaire que les participants n’aient pas de troubles cognitifs majeurs, empêchant de comprendre ou de retenir le but de la CIMT.

D’autre part, il faut que la mobilité générale soit suffisante pour que le membre supérieur sain, qui va être immobilisé, ne soit pas nécessaire à la propulsion du fauteuil roulant ou à la tenue d’un moyen auxiliaire.

53 Type de contrainte

Quelle est le meilleur type de contrainte: attelle [202, 311], gant [201, 312, 313], gant ou attelle et écharpe [198, 307, 314, 315]? Le port d’un gant permet d’augmenter la tolérance à la contrainte, de réduire les conséquences d’une chute éventuelle et de permettre l’utilisation d’un appui par le membre sain lors des activités essentiellement bimanuelles. C’est l’option qui a été choisie pour notre protocole interne (cf. vignette 6, ci-dessous). Cependant le port d’une contention plus importante pourrait être avantageux. En effet il y a des arguments en faveur d’une inhibition d’un hémisphère par l’autre hémisphère lorsque ce dernier génère un mouvement ou reçoit une information sensitive [316, 317] . En limitant au maximum les mouvements et les stimulations sensitives du membre sain, on aurait alors une plus grande réduction de l’inhibition portée sur l’hémisphère atteint.

Durée du port de la contrainte et durée et intensité du traitement

La duré idéale du port de la contrainte (5h, 6h, 90% journée, autre ?) n’est pas connue et de plus la compliance du patient au port de la contrainte n’est pas toujours bonne. Ploughmann et al [318] constatent qu’en effet elle est de 2,7 heures au lieu des 6 heures prévues.

L’intensité idéale du traitement et sa durée ne sont pas non plus consensuelles. La durée des traitements varie énormément entre les études avec des extrêmes entre 6 h/j, 7j/7, sur 3 semaines, 2 à 3 h/j 5j/7 sur 3 semaines et 30 min 3 j/7 sur 10 semaines.

Sterr et al [319] ont comparé 6 heures de traitement contre 3 heures sur 14 jours, et les résultats sont en faveur de 6 heures. Dettmers et al [311] montrent sur un groupe de 11 patients en phase chronique après AVC qu’une thérapie de 3 heures par jour sur 20 jours amène des résultats comparables à un traitement de 6 heures par jour sur 10 jours, et cela de façon stable sur 6 mois.

La CIMT est elle supérieure à un traitement conventionnel de même durée ?

La CIMT se révèle supérieure à un traitement traditionnel de même durée dans plusieurs études. Page et al [310] comparent ainsi 35 patients plus d’un 1 an après leur AVC qu’ils repartissent en 3 groupes. Le groupe CIMT reçoit 30 minutes de thérapie, avec des exercices adaptés, 3 jours par semaine sur 10 semaines associé à une contrainte associant un gant et une écharpe à porter 5 heures par jour. Le premier groupe contrôle reçoit aussi 30 minutes de thérapie 3 jours par semaine sur 10 semaines, principalement de type facilitation

neuromusculaire proprioceptive. Le dernier groupe n’a aucun traitement. Des différences significatives, en faveur du groupe CIMT, ont été observées sur l’échelle Action Research Arm Test (ARAT) et Motor Activity Log (MAL). La supériorité de la CIMT semble confirmée par une méta-analyse portants sur 22 études comparant CIMT avec un autre

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traitement de même durée [320] . La revue Cochrane de 2015 portant sur 42 études retient un effet de la CIMT sur la fonction motrice par rapport au traitement classique mais un effet décevant, car non significatif, sur l’indépendance aux AVQ [321].

Vignette clinique 6 : Thérapie par la contrainte Etude de cas de 4 patients, 2 en phase

chronique, 2 en phase subaigüe,

recevant une CIMT de 3 semaines, dans le cadre d’un appartement

thérapeutique.

Le port d’un gant à la main saine est demandé la majorité de la journée et les activités qui doivent être faites sous contrainte sont identifiées et précisées avec un contrat passé avec le patient.

Les exercices proposés en ergothérapie sont décomposés en petites étapes. Le progrès requis pour que la performance soit réussie est minime à chaque fois.

L’exercice réussi est répété puis est adapté.

En parallèle, les patients suivent quotidiennement un programme de thérapies intensives:1h d’ergothérapie avec le thérapeute et 1h d’exercices préparés par l’ergothérapeute mais effectués par le patient seul, 2h de physiothérapie et sport adapté, 5 jours sur 7.

Ci contre, on constate, pour les 4 patients, une amélioration de la fonction de leur membre parétique mesuré sur l’échelle FM et WFMT, avec maintien d’un gain à 3 mois et à 1 an (voir ci contre).

On note aussi pour 3 patients, une meilleure intégration du membre supérieur dans les activités (mesuré au MAL), ainsi qu’une augmentation de la vitesse d’exécution pour les 2 patients

en phase subaigüe [322]. Evolution dans le temps du nombre de points sur l’échelle Fugl Meyer (FM) et Wolf Motor Function Test (WFMT)

A quelle phase faut- il faire la CIMT : chronique, subaiguë, aiguë ?

La thérapie par contrainte semble particulièrement intéressante chez les patients en phase chronique qui d’habitude ne bénéficient plus de traitement ou seulement d’un traitement d’entretien peu soutenu et elle a montré qu’elle pouvait obtenir un gain de fonction scorée sur

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différentes échelles mesurant la motricité [200, 307, 311, 314, 315]. Les patients avec

héminégligence gauche ou troubles sensitifs, qui ont une plus grande tendance à sous- utiliser les capacités motrices résiduelles de leur membre parétique, semblent tirer un bénéfice encore plus marqué d’une CIMT [318].

L’étude « EXCITE » portant jusqu’à présent sur la plus grande série de patients (222), 3 à 9 mois après AVC montre que la CIMT pendant 2 semaines avec port du gant 90% de la journée et 6 heures 5j/7 de thérapie par jour amène une amélioration significative de la fonction motrice [200]. Malheureusement le groupe contrôle n’a pas un traitement spécifique et l’étude donc décevante sur ce point.

En phase aiguë, la crainte d’une éventuelle aggravation fait que la CIMT n’est pas encore conseillée par tous. En effet Humm et al [323] montrent que l’utilisation forcée d’un membre dans les 7 premiers jours après lésion provoque une augmentation de la zone endommagée chez le rat. Ceci semble confirmé dans l’étude « VECTORS », où 52 patients ont été randomisés 9,65 +/- 4,5 jours après la survenue de l’AVC, en trois bras : CIMT standard avec port de gant 6 heures et 2 heures de shaping , CIMT intensif avec port de gant 90%

de la journée et 3 heures de shaping ou 2 heures de traitement conventionnel , ceci pendant 2 semaines [324]. Il est constaté chez tous les participants à 90 jours, une amélioration du score ARAT sans supériorité du groupe CIMT. Le groupe CIMT intensif a même le moins bon score ARAT tant à 14 jours qu’à 90 jours.

En phase subaiguë, dans les 14 jours après AVC, Page et al [308] ont montré qu’une

thérapie par contrainte amenait un gain par rapport à la thérapie conventionnelle et que le gain à l’ARAT et au FM est plus important chez les patients avec AVC récent que chez les patients chroniques. On ne sait pas si ce meilleur résultat chez les patients en phase plus précoce est lié à une plasticité plus importante ou surtout à l’évolution naturelle. Grotta et al [313] révèlent sur un effectif de 2 groupes de 4 patients, dans les 14 jours après AVC, qu’une thérapie par la contrainte amenait un gain sur l’échelle FM et une augmentation du nombre de régions

évoquant une réponse de la main parétique par stimulation transcrânienne magnétique.

Dromerick et al [312]ont comparé 23 patients 2 semaines après AVC, séparés en 2 groupes (traitement de 2h/j, 5j/7 avec ou sans contrainte de 6h/j) et montre un léger avantage en faveur d’une CIMT par un gain scoré à l’ARAT et au pinch.

Place de la CIMT

La CIMT est donc efficace en phase subaiguë et chronique et supérieure à la prise en charge traditionnelle. L’intensité du traitement, le type de contrainte, la durée du port de la contrainte et la durée du traitement sont encore incertains mais probablement le port d’un gant 5 à 6

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heures de la journée, associé à 2 à 3 heures de thérapies par jour pendant 3 semaines

amènerait déjà un résultat. Notre expérience montre que la principale limitation de la CIMT est qu’elle ne concerne qu’un petit nombre de patients puisqu’elle nécessite une capacité motrice résiduelle suffisante et une motivation importante. Depuis la mise à disposition de ce traitement dans notre service en 2006 [322], seul une quinzaine de patients en ont profités.

5.5.2 Thérapie aphasique induite par la contrainte

La thérapie aphasique induite par la contrainte (Constraint Induced Aphasic Treatment : CIAT) comprend un entrainement intense et concentré combiné à une utilisation forcée du langage verbal [203]. Ceci est obtenu à l’aide d’un jeu de carte qui est utilisé avec un thérapeute en petit groupe de patients aphasiques. Les cartes représentent des images et l’assortiment comprend chaque image à double. Le but du jeu est de demander de façon verbale explicite le double d’une carte que l’on possède. Le jeu peut être adapté par

différentes règles comme celle qui veut que l’on doit par exemple s’adresser en mentionnant le nom de l’autre joueur, avec une formule de politesse, etc.

Une étude sur 27 patients aphasiques chroniques a confirmé l’efficacité de la CIAT (30 h sur 10 j) avec la persistance d’une amélioration fonctionnelle stable à 6 mois [325]. Pulvermüller et al [203] ont comparés, deux groupes de patients aphasiques chroniques avec la même somme de traitement mais dans un cas il s’agissait d’une CIAT concentrée sur 3 heures en 10 jours et dans l’autre du traitement conventionnel sur 4 semaines. Une amélioration

significative est constatée dans le groupe CIAT comparativement au contrôle, sur la dénomination la compréhension et la communication.

L’évolution d’un groupe de patients jouant au jeu de carte selon les règles de la CIAT et d’un autre groupe jouant avec le même jeu le même temps (3h, 4 j/sem, pendant 2 sem) mais utilisant la méthode « promoting aphasic communicative effectiveness » qui permet tous les types de communication, a été mesurée. Les deux groupes ont progressés mais

l’amélioration était plus consistante dans le groupe CIAT [326]. Donc ce n’est pas seulement l’intensité qui est importante mais bien aussi la contrainte de l’utilisation du langage verbal.

Deux revues d’études concluent aussi qu’il y existe une évidence du bénéfice de la CIAT sur la fonction du langage [327, 328] .

La CIAT semble une thérapie efficace. Ce qui n’est pas encore clair c’est quelle est la contribution relative des deux aspects de cette thérapie : intensité et concentration et utilisation forcée du langage verbal. En pratique elle est parfois difficile à mettre en place puisqu’en groupe elle nécessite des patients avec une atteinte relativement similaire.

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