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CHAPITRE III - Cultures de l'endothélium cornéen

3. Thérapie ciblée

Une autre alternative consiste à « rajeunir » les CEs primaires ou prolonger leur durée de vie par la thérapie génique. Plusieurs voies d'activation de la prolifération ont été envisagées.

3.1.Transfection d'oncogènes

Cette voie consiste à immortaliser les CEs par l'induction de l'expression des oncogènes.

La transduction par rétrovirus de l'oncogène codant pour human papilloma virus type 16 E6/E7 (HPV16 E6/E7) a immortalisé les CEs humaines avec succès (Wilson et al. 1995; Yokoi et al. 2012). La lignée finale forme une monocouche mais les cellules sont peu hexagonales. L’énorme capacité proliférative se traduit par plus de 50 doublements de population (Wilson et al. 1995).

Les CEs ont également été immortalisées après avoir été transfectées avec le gène codant pour le virus simien 40 large T-antigen (SV40 LT) par électroporation (Bednarz et al. 2000). Provenant d'un donneur de 91 ans, les CEs en culture dans du milieu F99 avaient une morphologie fibroblastique avant la transfection. Après transfection, les CEs ont récupéré leur morphologie endothéliale et leur capacité proliférative avec 300 doublements de population (Figure 76). Il reste étonnant qu’une transfection stable supposant une intégration génonique ait pu être obtenue par électroporation. Toujours est-il que cette lignée, désormais commercialisée est la seule disponible au monde.

Figure 76. Immortalisation de CE par transfection de l'oncogène SV40 LT (Bednarz et al. 2000). Observation à contraste de phase de la culture in vitro avant la transfection (A), 6

doublements de population (DP) après la transfection (B), 35 DP (C) et 130 DP (D). Barre d'échelle 100µm.

Restant hétérogène, cette lignée a été divisée en deux lignées filles ayant des morphologies plus homogènes: B4G12 et H9C1 (Valtink et al. 2008). Les CE de la lignée B4G12 adhèrent fortement et forment une monocouche stricte des cellules hexagonales. Leur temps de doublement de 62 ± 14 heures. Les CE de la lignée H9C1 sont moins adhérentes et peuvent former des sphères flottantes. Leur temps de doublement est estimé à 44 ± 5 heures. Les deux lignées expriment ZO-1, occludin, mais peu de connexin-43. B4G12 exprime moins de Na+/K+ATPase que H9C1.

La lignée B4G12 est fréquemment utilisée par de nombreuses équipes comme outil d'étude in vitro de CEs en raison de sa morphologie homogène et sa grande capacité de division. Par contre, aucune utilisation clinique n’est évidemment envisageable puisqu’il existe un fort risque de prolifération incontrôlable liée à l’introduction d’oncogène viraux.

3.2.Déblocage de l'arrêt du cycle en phase G1

Cette stratégie consiste à débloquer l'arrêt du cycle cellulaire à la phase G1 à plusieurs niveaux :

-Réduction de l'expression des inhibiteurs de complexes Cyclin-CDK (CKI) impliqués dans ce blocage. La réduction de l'expression de p27 des CEs en culture in vitro est obtenue par la transfection par lipide non-liposomale de siARN anti p27 (Kikuchi et al. 2006) (Figure 77). Après 144 heures d'incubation avec le siARN, une augmentation de la DCE a été mise en évidence uniquement sur des cultures provenant des donneurs jeunes (< 30 ans). La baisse d'expression de p27 n'altère pas la morphologie des CEs en culture.

Figure 77. Effet de l’inhibition de l’expression de p27 par transfection de siARN sur des CEs in vitro (Kikuchi et al. 2006). La baisse d'expression de p27 observée par Western-blot en fonction de la concentration de siARN incubée (A) favorise la division cellulaire des CEs provenant des donneurs jeunes (B) tout en préservant la morphologie endothéliale. Expression de ZO-1 (vert) observée par immunomarquage en cas de non transfection (C1), de transfection sans siARN (C2), de transfection avec le siARN contrôle (3) et avec siARN contre p27 (C4). Contre coloration du noyau par Hoechst 33342 (bleu).

L'expression de p21 et p16 par les CEs in vitro a également été réduite par l'électroporation des siARN anti p21 et p16 dans des CE in vitro (Joyce & Harris 2010). Cela a favorisé la division cellulaire (expression de Ki67) et la DCE des cultures de CEs des donneurs jeunes (< 30 ans) et âgés (> 50 ans). Malgré cela, cet effet reste transitoire et donc peu efficace car le taux de mortalité après l'électroporation restait élevé.

-Surexpression forcée des complexes CDK4/Cyclins D. L'arrêt du cycle cellulaire à la phase G1 peut être débloqué en augmentant l'expression de Cycline D1 et CDK4 sous forme active (Figure 78). La transduction rétrovirale de Cdk4R24C/CyclinD1 dans les CEs d'un donneur très jeune (2 ans) a permet d'obtenir une lignée de haute potentialité proliférative (21 doublements de population) (Yokoi et al. 2012). Les CEs de cette lignée forment une monocouche, gardent l'expression

protéique de ZO-1, N-cadherin, et l'expression d'ARNm de Na+/K+ATPase, CLCN3, VDAC3.

Figure 78. Prolongation de durée de vie de CEs humaines in vitro par transduction rétrovirale de Cdk4R24C/CyclinD1 (Yokoi et al. 2012). Par rapport aux CEs non traitées (HCEC), les cellules infectées (THCEC(Cyclin)) augmente de façon considérable leur capacité proliférative in vitro (A) tout en maintenant l'expression d'ARN (B) et l'expression protéique (C) des marqueurs endothéliaux cornéens.

Le déblocage de la phase G1 peut se faire au niveau des facteurs de transcription E2F qui sont sequestrés par RB et ne peuvent pas déclencher la transcription des gènes du cycle cellulaire (voir Chapitre II - 1.2.3). La transduction par vecteur adenovirus de l'expression d'E2F2 de endothélium permet l'entrée dans la phase S et provoque l'augmentation transitoire de la DCE (McAlister et al. 2005). Cette expérience a été réalisé sur des CEs ex vivo. L'application sur la culture in vitro de CEs reste à explorer.

Le déblocage du point de contrôle G1/S aide à déclencher la division cellulaire de façon transitoire ou permanente. Cette méthode paraît moins risquée que l'introduction de l'expression des oncogènes mais il reste à étudier si la prolifération reste contrôlable par une inhibition de contact se produisant à une DCE suffisamment élevé.

3.3."Rajeunissement" par la télomérase

Cette voie consiste à "rajeunir" les CE en déclenchant une surexpression de la télomérase. Malgré le fait que les CE disposent de télomères de longueur suffisante n’expliquant pas un arrêt de prolifération par sénescence réplicative, il a été démontré que l'augmentation de l'expression de cette enzyme parvient à améliorer leur capacité proliférative en culture in vitro.

La transfection par la lipofectamine de gène codant pour hTERT (human telomerase reverse transcriptase) prolonge la durée de vie des CE provenant de donneurs jeunes (< 30 ans) (Liu et al. 2012; Schmedt et al. 2012) (Figure 79). Après transfection, les CE se maintiennent en culture jusqu'à 36 passages (Liu et al. 2012). Elles forment une monocouche, expriment les marqueurs protéiques ZO-1, N-cadhérine, et les ARNm des pompes membranaires VDAC3, SLC4A4, CLCN3, Na+/K+ATPase.

Figure 79. Effet de la transfection de la human telomerase reverse transcriptase (hTERT) sur les CEs en culture in vitro (Liu 2012 EER). La sur-expression de hTERT (A) induite par transfection améliore la capacité proliférative des CEs observée par test de prolifération MTT (B), tout en gardant l'expression protéique des marqueurs endothéliaux ZO-1 (rouge) et N-cadhérine (vert) observée par immunomarquage (C).

De plus, Sheerin et al supposent que la combinaison d’une sur-expression de hTERT et de CDK4 et d’une sous-expression de p53 parvient à immortaliser les CE. Par transduction rétrovirale des gènes codant hTERT et CDK4 et le shARN anti p53, des CE en culture in vitro ont été immortalisées et ont permis plus de 200 passages (Sheerin et al. 2012). Néanmoins, l'évaluation des phénotypes endothéliaux de cette lignée n'a pas été rapportée.

Cette voie représente peu de risque et semble prolonger la durée de vie des CEs de façon efficace. Ainsi, le mécanisme d'action de la télomérase ne serait pas restreint à l'élongation des télomères et reste à explorer.

3.4.Introduction de facteurs anti-apoptotiques

Cette stratégie consiste à limiter le déclenchement de l'apoptose des CEs. La transduction lentivirale de p35 ou Bcl-xL a des effets anti-apoptotiques sur les CEs in vitro et ex vivo (Fuchsluger et al. 2011b; Fuchsluger et al. 2011a). Notamment pour les suspensions de CEs primaires, Bcl-xL augmente leur résistance face à l'induction de l'apoptose par les deux voies intrinsèques et extrinsèques. p35 est plus protecteur contre l’activation de la voie intrinsèque.

Cette méthode peut aider à prolonger la survie des CEs en culture in vitro mais aussi à améliorer les conditions de conservation des greffon endothéliaux ou cornéens. Il paraît toutefois nécessaire de remplacer la transfecton rétrovirale par des méthodes plus sécurisantes comme l’introduction directe des protéines d’intérêt. Parmi les outils de thérapie génique, la transduction par infection virale est la plus souvent utilisée en raison de son efficacité. Néanmoins, cette utilisation est restreinte à la recherche préclinique et nécessite d'être remplacée par d'autres méthodes pour supprimer le risque de mutagénèse insertionnelle existant avec les virus intégratifs. D'autre part, la thérapie génique de l'endothélium a été la plus souvent réussie (à l’exception de la lignée allemande SV40LT) avec les CEs provenant des donneurs jeunes.