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En examinant le cadre théorique dont s'inspire chacun des prin­ cipaux courants: marxisme, psychanalyse, existentialisme, féminisme révo­ lutionnaire, Nicole Laurin-Frenette (1978) fait ressortir que chaque pro­ blématique semble privilégier une dimension de la condition féminine soit les dimensions économique, biologique ou idéologique.

Compte tenu des objectifs et des limites de notre étude, nous ne retiendrons ici que l'aspect économique de la condition féminine en analysant la perspective développée par Engels.

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Pour Engels, l'exploitation des femmes, tout comme l'exploita­ tion de la classe ouvrière est fondée sur les rapports de production. Il part du postulat matérialiste que les institutions économiques, sociales, politiques d'une société, à une période donnée de son développement, représentent toujours l'ensemble des manières dont les membres de cette société produisent et reproduisent leur existence matérielle.-

Pour Engels, la famille patriarcale et l'État, qui représentent respectivement l'appareil d'oppression des femmes et l'appareil d'oppres­ sion des classes, ont leur source dans la propriété privée née de la division du travail dans la production sociale. Pour lui, la fin de l'oppression des femmes coïncide avec l'abolition de la société divisée en classes. L'oppression des femmes selon Engels est fondamentalement un problème économique qui a sa solution dans la société industrielle socia- 1 iste.

Nicole Laurin-Frenette (1974), dans son article sur "La libéra­ tion des femmes", fait une critique de la théorie de l'origine de la famille, et des transformations de la famille selon Engels. L'auteure nous présente dans sa critique deux autres dimensions de la reproduction sociale dont Engels n'aurait pas tenu compte: la reproduction de la force de travail par le travail domestique des femmes et la reproduction psychique des agents par -la structure autoritaire et hiérarchique de la famille. Selon Laurin-Frenette, la reproduction idéologique est repré­ sentée par la formation de la personnalité qui se fait à l'intérieur de la cellule familiale.

"La suprématie de l'homme et l'asservissement de la femme trouvent une de leurs raisons d'ê­ tre les plus importantes dans cette fonction "éducative" de la famille qui consiste à offrir au futur agent de production un milieu d'ap­ prentissage de la société de classes, c'est-à- dire, de la domination et de l'exploitation auxquelles il devra plus tard se soumettre et consentir et qu'il devra reproduire à son tour."

Laurin-Frenette est du même avis qu'Engels lorsqu'il dit que l'oppression des femmes est fonction de leur place dans la production. Mais là où les deux auteurs diffèrent, c'est lorsque Engels ramène l'op­ pression de la femme et l'ensemble des institutions patriarcales à une seule cause d'ordre économique.

C'est à partir de cette distinction que l'on verra une division au sein de la théorie marxiste. En effet, selon Laurin-Frenette, dans les années soixante-dix, tout un courant de la recherche sur les femmes, inspiré du marxisme, en est venu à refuser l'impérialisme théorique mâle des classes et des rapports de production. Une problématique nouvelle s'est construite, dite féministe et matérialiste, applicable à l'étude du travail domestique, de la famille, de l'État et du mouvement des femmes.

Nicole-Edith Thévenin dans Féminisme et marxisme (1980) nous apprend que le féminisme a su s'emparer des instruments théoriques du marxisme pour forger en même temps ses propres analyses:

"Il y a donc pour nous (féministes marxistes) une nécessité de repenser le marxisme (non pour l'éliminer, mais pour l 'approfondir et le bou­ leverser par des analyses qu'il n'a pas menées) par la théorie du patriarcat apportée par le féminisme."

(Thévenin, 1980, p. 21)

Le livre de Annette Kuhn et Ann Marie Wolpe Feminism and Mate­ rial ism (1978) rejoint les idées de Frenette (1974) et de Thévenin

(1980). Selon ces deux auteures, le problème des femmes ne peut pas s'expliquer seulement en termes de mode de production. Le système patriarcal joue également dans les rapports entre hommes et femmes. Ces auteures constatent que le patriarcat doit être analysé comme une struc­ ture relativement autonome du mode de production. C'est en quelque sorte

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une critique des analyses tant fonctionnaiistes que marxistes de la situation économique de la femme qu'ont fait Kuhn et Wolpe. Dans leur perception des choses, on ne saurait dissocier le patriarcat de la divi­ sion sexuelle du travail.

Kuhn et Wolpe définissent le patriarcat.comme étant une struc­ ture écrite dans les expressions de la division sexuelle- du travail où l'homme s'approprie les moyens de production, et où la famille ou le couple savent que c'est l'homme qui peut s'approprier le travail et la personne de la femme.

Selon les auteures, les structures patriarcales ont leurs raci­ nes dans l'histoire mais non dans les modes de production. Ces structu­ res sont effectives dans des modes de production particuliers. En pre­ nant comme exemple le capitalisme, Kuhn et Wolpe soutiennent que la famille est l'endroit par excellence, où les structures patriarcales et le capital opèrent. En plus d'être un appareil idéologique d'État, la famille est, selon Kuhn et Wolpe, le lieu de promotion de l'idéologie patriarcale fonctionne à merveille.

Claude Alzon, dans son livre La femme potiche et la femme bon- niche (1973) fait allusion au système patriarcal et au système capitalis­ te pour expliquer les rapports existants entre les hommes et les femmes:

"Le patriarcat, avec l 'égoïsme masculin et le capitalisme, avec son intérêt de classe se sont conjugués contre la femme, ne lui laissant qu'un lot de consolation."

Pour Alzon, même un système politique efficace, entre autres le véritable socialisme, ne pourra pas changer la mentalité patriarcale qui existe. Pour lui, la fin de l'exploitation et de la domination que subissent les femmes passent par une lutte contre le pouvoir mâle carac­ térisé par le patriarcat et le pouvoir bourgeois.

Ces concepts d'exploitation et de domination, Alzon nous les démontre en établissant une hiérarchie entre les femmes. Pour lui, les femmes les moins exploitées sont les femmes au foyer et les bourgeoises mais en même temps, ce sont les plus dominées. Par contre, les femmes ouvrières, paysannes et travailleuses professionnelles sont moins domi­ nées et beaucoup plus exploitées.

La situation des femmes, selon Alzon, dépend en grande partie de leurs places dans l'économie. Les femmes dans les classes bourgeoises ne participent pas à la vie économique rémunérée, leur place est donc déterminée par cette oisiveté qu'elles mènent. Les rapports que la femme bourgeoise entretient avec son mari sont déterminés par cette non- participation à la production. Elle apparaît comme une "parasite" pour son mari et dépend entièrement de lui.

Alzon soulève aussi le problème de la femme au foyer. Elle ne possède aucun pouvoir, ni de gestion, ni de décision puisqu'elle n'exerce aucune activité rémunérée, donc aucun apport dans les revenus du couple:

"... Car la femme au foyer même quand elle gère les revenus du ménage, ce qui n'est pas tou­ jours le cas, est trop éloignée des réalités économiques pour participer vraiment aux déci­ sions."

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Alzon, dans son analyse, montre que la femme au foyer est moins exploitée que celle qui exerce un emploi sur le marché du travail rémuné­ ré. Pour lui, la femme qui travaille au foyer accomplit certes des tâ­ ches abêtissantes, mesquines, mais elle ne fait qu'une journée de tra­ vail, alors que selon lui, la femme professionnelle, en plus de sa jour­ née de travail rémunérée, s'occupe des tâches domestiques. La femme au foyer peut aussi organiser plus ou moins son travail à sa guise, sans subir du matin au soir patron ou mari, mais c'est un travail dont l'acti­ vité ne saurait la faire vivre. Pour Alzon, elle dépend d'un homme qu'elle exploite en échange de son oisiveté relative.

Contrairement à la femme au foyer et à la femme bourgeoise, l'ouvrière et la femme professionnelle dans la classe moyenne restent les moins dépendantes vis-à-vis leur mari et participent le plus aux déci­

sions:

"...Mais si la bourgeoise est de toutes les femmes, la plus soumise au pouvoir mâle, l'ou­ vrière est... celle qui l'est le moins..., la femme mariée exerçant une profession est la seule qui ait la gestion des revenus, qui par­ ticipe le plus aux décisions du ménage grandes ou petites."

(Alzon, 1973, p. 27)

Alzon avance que le problème de la femme dans son ensemble devient avec le temps un problème essentiellement d'ordre économique. L'instruction serait une des échappatoires qu'Alzon préconise, pour que la femme puisse sortir de cette relation de dépendance financière qui la tient soumise à son mari. L'instruction permet d'obtenir un emploi rému­ néré, donc de devenir autonome financièrement.

Comme conclusion à ces deux études, on peut dire que la famille tel que définie par les fonctionnalistes présente les rapports entre les sexes comme "complémentaires" et occulte ainsi la contradiction des sexes au sein de l'unité familiale et de l'organisation sociale.

Quant aux marxistes, la centralité qu'ils donnent à la produc­ tion économique et aux rapports antagonistes de classes qui en découlent les amènent à envisager les contradictions entre les sexes comme secon­ daires et partant, à considérer comme hors champ, des institutions telles que la famille où s'expriment une bonne partie de ces contradictions (Dandurand, 1981). Les féministes matérialistes, en introduisant la notion de patriarcat comme mode d'organisation sociale, arrivent à four­ nir une autre explication théorique des inégalités dans les rapports con­ jugaux.

La piste théorique que nous allons privilégier dans cette étude est celle du courant marxiste qui reconnaît que la source du pouvoir mâle est un phénomène historique qui s'appuie non seulement sur des bases éco­ nomiques mais aussi sociales. Cette théorie reconnaît aussi que la sco­ larisation des femmes pourrait endiguer cette situation, étant donné le pouvoir de transformation sociale impliqué dans le processus de sociali­ sation scolaire.

CHAPITRE IV

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