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partout. Là où la relativité restreinte impose une invariance des lois relativement à la vitesse, la relativité générale introduit une invariance selon l’accélération. Encore aujourd’hui, de nombreux chercheurs tentent de dissoudre l’incompatibilité des lois quantiques avec la relativité générale. De tout temps, l’introduction d’une substance ou d’une valeur absolue ne résultant pas d’inter- actions a tôt ou tard conduit à un conflit et une réfutation. Bien qu’elles restent pratiques et nécessaires pour modéliser les phénomènes à une échelle donnée, les substances ne doivent jamais être conçues comme une réduction définitive. Le modèle de Bohr permet ainsi d’expliquer bien des phénomènes, mais la petite boule en rotation autour du noyau est très éloignée de l’onde électronique introduite par Shrödinger ou des modèles quantiques probabilistes actuels.

3.2

Théories à base de processus

Une substance pouvant être modélisée par un processus en équilibre, on n’a rien à perdre à basculer vers une théorie à base de processus. Si ce n’est pour avoir la joie de changer de paradigme, voyons ce que l’on a néanmoins à y gagner.

3.2.1 Émergence et auto-organisation

Contrairement à des atomes statiques, des processus peuvent s’influencer mutuellement et en être profondément modifiés. Quoique la nature de leurs interactions puisse être simple, le phénomène résultant de leur couplage peut être stable et novateur, on parle alors d’émergence. On parle d’auto-organisation si les processus entretiennent alors des relations structurées. Il n’est jamais besoin ni possible de connaître les propriétés émergentes au niveau des processus composants, car ceux-ci ne peuvent qu’interagir localement et n’ont pas la vue globale sur le système que peut avoir un observateur au niveau émergent.

Dans ce cadre, Christiaan Huygens étudia le couplage de 2 pendules apparemment indé- pendants après avoir observé la synchronisation d’horloges suspendues à un même mur en 1665 [Bennett et al., 2001]. Alors qu’un simple choc est transmis par le mur lorsqu’un pendule atteint une position extrême, celui-ci suffit à quasi-irrémédiablement conduire à la synchronisation des horloges. Celle-ci peut se faire en phase ou en antiphase (par une évolution similaire à celle décrite dans la section systèmes dynamiques du chapitre sur les théories), mais les deux horloges adoptent de plus la fréquence moyenne de leurs fréquences propres (si elles ne sont pas trop différentes). De telles propriétés émergent du couplage et ne sont en aucun cas inscrites dans la mécanique de l’un ou de l’autre, ni dans les lois de propagation d’une onde dans un solide. Davantage de détails sur le couplage d’oscillateurs sont fournis dans l’annexe dédiée nommée Oscillateurs couplés et synchronisation.

3.2.2 Normativité

La normativité, c’est-à-dire dans le cas qui nous intéresse la capacité du système à détecter ses propres erreurs, ne découle pas directement d’une métaphysique de processus. Néanmoins si on ajoute aux processus temporels la notion d’anticipation, ceux-ci peuvent facilement acquérir cette propriété intéressante. En effet si un individu a la capacité d’interagir avec son environnement en y effectuant des actions et en en prédisant les conséquences, trois situations extrêmes peuvent se produire :

choc

angle limite

(a) (b)

Figure 3.2 – Les deux oscillateurs représentés (ici des pendules d’horloge) sont couplés par les chocs transmis via le mur qui les supporte. Au départ asynchrones (a), les deux pendules finissent en phase (b) ou antiphase (non représenté). Les deux pendules ont ici les mêmes dimensions et donc la même période propre, mais le même phénomène se produit si les pendules ont une longueur légèrement différente.

– Si les actions sont effectuées et que l’anticipation est satisfaite, le comportement de l’agent était adapté à l’environnement et sa connaissance19 est vérifiée.

– Si les actions sont effectuées mais que l’anticipation est contrariée, c’est qu’un élément quelconque participant dans la dynamique n’était pas adapté. L’infirmation ne permet pas de savoir lequel, mais la connaissance s’est avérée incorrecte et doit être révisée. – Enfin si le contexte ou la dynamique interne de l’agent font que les actions ne peuvent

pas être effectuées, quelle que soit la situation résultante, l’anticipation ne pourra pas être considérée comme vérifiée, mais ne remettra pas en question la connaissance de l’individu. Une supervision ou un observateur humain ne sont donc pas nécessaires pour fournir les clés du problème ou interpréter les résultats, les interactions permettent un contact épistémique direct avec la situation. La validation des connaissances de l’agent par interactions avec l’environ- nement évitent ainsi le dramatique mais néanmoins classique "frame problem" [McCarthy and Hayes, 1969]. En effet, l’environnement (la "frame") n’est pas supposé immuable et indépendant mais dynamique et couplé à la dynamique de l’agent.

Pour fournir une analogie dans des domaines opposés, le code d’un programme informa- tique ne fait rien en soi. Malgré toute l’intelligence requise pour produire la série de caractères qui le composent, seul le flot d’instructions exécuté par l’ordinateur effectue quelque chose au sein d’un processus interactif. De façon extrême, lorsqu’une interface homme-machine est lan- cée, l’adaptation du programme dépend de la présence d’êtres humains, que le programme soit bogué ou non. Seule l’exécution ou l’interprétation permettent donc le contact avec l’environne- ment. Alors qu’on pourrait l’imaginer aux antipodes d’un code informatique, le code génétique repose lui aussi sur une interprétation. Sans la présence d’ARN pour la transcrire en protéines actives dans le milieu interne de l’individu, l’ADN n’est qu’une chaîne passive de molécules, aussi passionnante qu’une ligne de code gravée dans la pierre.

19. Étant donné que l’agent construit ses prédictions et comportements par interactions avec son environnement et sans formalisation aucune, on devrait plutôt parler de croyance.

3.2. Théories à base de processus

?

(a) (b) (c)

Figure 3.3 – Ce schéma illustre la normativité des interactions par un comportement de pré- hension. Si la main est initialement ouverte (a) et l’objet présent, on atteint tôt ou tard la situation (b) et l’anticipation du contact et de la résistance de l’objet est vérifiée. Si la main était initialement vide (a), l’objet ne sera pas rencontré (malgré une possible illusion visuelle de l’objet) (c) : l’interaction était erronée. Enfin si la main était déjà totalement fermée (c), la serrer davantage pour attraper un objet est tout simplement inadapté.

3.2.3 Continuité et relativité

Comme l’indiquait déjà les réflexions de Hume dans sa théorie des agrégats20, il semble im- possible de produire du continu à partir du discret. En effet, si la construction mathématique de R (ensemble des réels) se fait à partir de N (ensemble des entiers naturels), c’est que ce dernier porte déjà en lui la notion d’infinité (par sa propre construction et son cardinal ℵ0). En revanche, pour un substrat physique constitué d’un nombre fini de particules élémentaires, le nombre de combinaisons et donc de représentations possibles avec une complexité maximale donnée est donc limité. A l’inverse, le discret peut être facilement approximé par le continu (figure3.4).

Impulsion unité

Gaussienne

continue

continue

Gaussienne

discrète

Fonction en escalier

discrète

Figure 3.4 – (a) L’impulsion unité δ0 (symbole de Kronecker dans N) est la limite d’une série

de gaussiennes, dont on fait simplement varier un paramètre. (b) On peut de même approximer une gaussienne par une fonction en escalier discrète, mais une précision supérieure requiert un nombre croissant d’éléments discrets. Ce schéma ne répond bien sûr pas à la question de savoir si du continu ou du discret, l’un est une illusion, ni lequel.

20. Selon Hume, les objets sont fondamentalement formés d’agrégats de propriétés, sans présence d’une sub- stance sous-jacente.

Même si la question de savoir si l’univers est fondamentalement continu ou discret est plus que jamais à l’ordre du jour, les notions relatives de distances, de précisions et d’échelles sont encore plus cruciales dans ce manuscrit. Ainsi de variations locales continues peut émerger une constante, telle la stabilité apparente des objets macroscopiques, malgré des oscillations dites "quantiques" mais s’étendant sur des distances non négligeables. Une moyenne statistique opérée sur des milliards de particules suffit en effet à l’expliquer.

D’une manière générale qui s’applique parfaitement à notre modèle, les processus rapides sont souvent locaux et ont une influence réduite aussi bien temporellement que spatialement. Des processus bien plus lents auront donc une influence relative bien plus stable, et ceux-ci apparaîtront comme des paramètres constants pour les échelles inférieures. Les notions d’objets, de catégories, de constance, de stabilité21, sont relatives au système considéré.

relativement à (b)

Dynamique rapide (b)

Dynamique lente (a)

quasi constante

Figure 3.5 – Bien qu’aucune des deux fonctions ne soit constante, elles suivent des dyna- miques très différentes. Aucune référence ou unité n’est fournie, puisque seule leur échelle rela- tive compte. Pour un processus suivant la dynamique (b), l’influence d’un processus suivant la dynamique (a) est localement comparable à un paramètre constant.

3.2.4 Relation aux systèmes dynamiques

Dernier aspect mais non des moindres si le lecteur a été convaincu par la nature dynamique de la majorité des phénomènes physiques et psychologiques, comment modéliser un phénomène qui évolue dans le temps avec des substances purement statiques, sans avoir recours à des processus par définition dynamiques ! ? Le plus simple reste me semble-t-il d’utiliser des modèles dynamiques et de ponctuellement les affaiblir ou justifier d’un équilibre pour approximer les substances.

21. Et même d’intelligence si on en croit Dennett qui souligne que notre perception de celle-ci est fortement conditionnée par la compatibilité à l’échelle humaine et à sa dynamique [Dennett, 1996]

4

Évolution de la complexité des

systèmes vivants

Sommaire

4.1 Systèmes dynamiques . . . . 46