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Chapitre 3 : Cadre théorique

3.4 La théorie de la pertinence

La théorie de la pertinence élaborée par Sperber et Wilson est, comme il a été mentionné plus tôt, une tentative pour situer la communication humaine intentionnelle dans un cadre inspiré de la psychologie cognitive. Les auteurs n'ont pas la prétention de répondre à des questions relevant des sciences cognitives, mais bien d'utiliser des concepts propres à ce domaine dans le but de développer une théorie générale de la communication dont le fondement est le principe de pertinence. Dans leur théorie, Sperber et Wilson attribuent à la notion de pertinence un sens plutôt théorique. Ils ne prétendent pas que la pertinence, concept intrinsèque à l'élaboration de leur théorie, soit utilisée dans son acception usuelle. L'objectif escompté de l'utilisation du concept de pertinence est la mise en lumière des différences de valeurs qui peuvent être attribuées à un fait, à un énoncé, à une hypothèse, etc., c'est-à-dire le «jugement intuitif de pertinence » (Sperber et Wilson, 1989) fait par un individu.

20 «Le terme "contexte" est utilisé pour renvoyer [...] à la situation de communication» (Charaudeau et

En parallèle avec le principe de pertinence, la théorie est basée sur l'hypothèse suivante : « Les processus cognitifs humains sont organisés de façon à produire les effets cognitifs les plus grands possible au prix d'un effort mental le plus réduit possible » (Sperber et Wilson, 1989 : 7). Cette hypothèse prend forme dans le contexte où les auteurs estiment que les humains dirigent automatiquement leur attention vers l'information qui leur paraît pertinente dans la mesure où celle-ci est susceptible d'améliorer leur représentation du monde. « La pertinence d'une information nouvelle pour un individu dépend de la façon dont cette information contribue à améliorer la représentation que cet individu se fait du monde » (Sperber et Wilson, 1989 : 160). Le principe de pertinence ainsi que les notions d'effets contextuels et d'efforts de traitement seront présentés dans la prochaine section dans le but d'inscrire la compréhension des documents écrits en santé dans le cadre théorique choisi.

3.4.1 Principe de pertinence

Le bien-fondé de la théorie de Sperber et Wilson repose sur le principe de pertinence qui découle directement de l'intention communicative présentée précédemment dans l'explication de la communication ostensive-inférentielle. Qui plus est, le principe de pertinence fait du modèle inférentiel de communication un modèle explicatif (Sperber et Wilson, 1989). Sperber et Wilson définissent ainsi le principe de pertinence : « Tout acte de communication ostensive communique la présomption de sa propre pertinence optimale» (1989: 237). Par sa définition même, il apparaît que le principe de pertinence ne s'applique pas à toutes les formes de communication. Sperber et Wilson précisent que ce principe s'applique seulement à la communication ostensive. À ce sujet, Reboul et Moeschler (1998b) expliquent qu'un texte peut être un acte de communication ostensive dans la mesure où le destinateur manifeste ostensivement l'intention de communiquer. Dans le cas présent, les documents écrits relatifs à la santé représentent assurément une forme de communication ostensive en regard de la définition exposée précédemment. De plus, l'objectif de la production de documents dans le domaine de la santé est de communiquer et de transmettre de l'information précise à des destinataires. À cet effet, en ce qui concerne les destinataires, Sperber et Wilson soulignent que « les destinataires d'un acte de communication ostensive sont les individus dont le communicateur essaye de modifier l'environnement cognitif» (1989: 238). En communication écrite, le communicateur vise une

masse d'individus qui correspondent à un certain profil. Bien qu'un bon nombre de documents écrits en santé soient destinés à l'ensemble de la population, ils visent généralement un public cible, c'est-à-dire un groupe d'individus plus ou moins restreint, selon le cas.

Selon le principe de pertinence, le communicateur estime que le stimulus qu'il produit est assez pertinent pour mériter l'attention du destinataire. Toutefois, les intérêts du communicateur et du destinataire ne coïncident pas nécessairement et c'est pourquoi il est possible que le destinataire ne reconnaisse pas le stimulus comme étant pertinent. De plus, une fois le stimulus reconnu, la présomption de pertinence peut être confirmée ou infirmée par le contenu, suffisamment pertinent ou non, avancé par le communicateur. Le principe de pertinence sous-tend que le destinateur recherche inévitablement la pertinence optimale de l'ensemble du texte produit. De la même manière, les destinataires vont évaluer la pertinence globale du texte. Ce jugement intuitif de pertinence fait par les lecteurs fait l'objet de la section suivante.

3.4.2 Évaluation de la pertinence

L'évaluation de la pertinence d'une hypothèse se fait dans un contexte précis et celle-ci doit avoir un effet contextuel immédiat, à ce moment-là et dans ce contexte-là, pour être pertinente. La production d'effets contextuels est d'ailleurs une condition nécessaire pour qu'une hypothèse soit jugée pertinente. À cet effet, voici la première définition de la pertinence proposée par Sperber et Wilson : « Une hypothèse est pertinente dans un contexte si et seulement si elle a un effet contextuel dans ce contexte » (1989 : 187). Les auteurs précisent cependant que cette dernière est incomplète, car elle omet la dimension « degré de pertinence ». « Relevance is not just an all-or- none matter but a matter of degree » (Wilson et Sperber, 2004 : En ligne). La notion d'efforts de traitement, deuxième facteur à prendre en compte dans l'évaluation de la pertinence, illustre cette dimension. La prochaine section rend compte de ce rapport entre les deux facteurs influençant l'évaluation de la pertinence, soit les effets cognitifs et les efforts de traitement.

3.4.3 Effets cognitifs et efforts de traitement

Pour expliquer pourquoi les humains dirigent automatiquement leur attention vers l'information qui leur paraît la plus pertinente, Sperber et Wilson ont utilisé les concepts d'effets et d'efforts. Le rapport entre l'effort que demande une information et l'effet qu'elle produit est d'ailleurs

considéré comme le socle de la théorie de la pertinence (Labasse, 2008). Ces deux concepts seront approfondis ci-dessous.

3.4.3.1. Production d'effets cognitifs

Il a été démontré qu'une information est jugée pertinente si elle permet à l'individu d'améliorer sa représentation du monde. « Leur but cognitif est d'améliorer autant qu'il est possible leur représentation, ou connaissance du monde, dans les domaines qui leur importent davantage » (Cloutier, 2005 : 49). Plus encore, pour être pertinente, une information doit générer des effets cognitifs. Au terme du processus inférentiel, trois types d'effets cognitifs sont possibles : ajout d'une ou plusieurs nouvelles hypothèses à la représentation du monde, affaiblissement ou renforcement d'hypothèses antérieures et élimination d'hypothèses anciennes. En d'autres termes, la présence de nouvelles informations peut faire en sorte que de nouvelles hypothèses soient formées. De plus, d'anciennes hypothèses peuvent être confirmées, ce qui a pour effet de les renforcer. « Un individu peut améliorer sa représentation du monde en y ajoutant des informations ou en y réorganisant ses représentations mentales existantes par l'acquisition d'informations plus justes, plus développées ou plus facilement accessibles » (Cloutier, 2005 : 55). Au contraire, d'anciennes hypothèses peuvent être affaiblies, voire supprimées, lors de l'exposition à de nouvelles informations. L'élimination d'hypothèses, généralement fausses, peut grandement améliorer la représentation du monde. Le lecteur qui a déjà des connaissances sur un sujet tente donc de relier les anciennes informations aux nouvelles informations contenues dans le texte dans le but de confirmer ou d'infirmer des hypothèses assimilées antérieurement. Par contre, il est possible qu'une nouvelle information ne produise pas d'effets cognitifs.

3.4.3.2 Non-production d'effets cognitifs

Il y a trois principaux cas où une hypothèse n'entraîne pas d'effets contextuels dans un contexte donné et, ainsi, n'est pas pertinente. Premièrement, une hypothèse qui apporte une information nouvelle, mais pour laquelle il n'y a pas de lien possible à faire entre celle-ci et les hypothèses antérieures de l'individu, ne sera pas traitée comme étant pertinente. Une information, bien qu'elle soit nouvelle, peut ne pas être traitée, car elle n'est en rien liée à la représentation du monde de l'individu. Le traitement de ce type d'hypothèse entraînerait un coût trop élevé par rapport à un faible bénéfice. Le lecteur risquerait alors d'abandonner rapidement la lecture.

Deuxièmement, une nouvelle information qui n'est que la réplique d'une hypothèse existante ne produira pas d'effets, particulièrement si cette dernière ne fait déjà aucun doute, c'est-à-dire que sa force ne peut être plus grande. Il serait inutile de tenter d'accroître la force, déjà maximale, d'une hypothèse. Troisièmement, une information nouvelle qui entre en contradiction avec les croyances de l'individu ou avec le contexte sera trop faible pour potentiellement modifier les hypothèses existantes et, par le fait même, sera dépourvue de pertinence. Il s'avère essentiel de préciser qu'une hypothèse qui ne produit pas d'effets contextuels dans un contexte donné pourrait, dans un autre contexte, en produire puisque l'évaluation de la pertinence d'une hypothèse varie selon les individus et les circonstances, mais aussi, selon les efforts requis au moment du traitement.

3.4.3.3 Efforts de traitement

Les effets contextuels d'une hypothèse ne sont pas le seul facteur à prendre en considération lors de l'évaluation de la pertinence. Comme le soulignent Sperber et Wilson, les effets contextuels sont le produit de processus mentaux qui impliquent un effort donné. Cet effort de traitement est le deuxième facteur dont il faut tenir compte. « La question des effets cognitifs est encore très mal connue, mais les facteurs d'efforts le sont beaucoup mieux, et sont étroitement liés au processus de lecture » (Labasse, 1999 : 458). Les processus de haut niveau (top-down) guidés par les connaissances du lecteur requièrent des efforts cognitifs de la part de ce dernier. « Un effort, qui est fonction de la longueur de l'énoncé, de sa structure syntaxique, de son éventuelle ambiguïté, du degré de difficulté que revêt la sélection des prémisses et des informations extra- linguistiques nécessaires, etc. » (Bracops, 2006: 105). D'ailleurs, il importe de souligner que l'effort est un facteur négatif, c'est-à-dire que plus l'effort de traitement est grand, plus la pertinence diminue. Conséquemment, les efforts de traitement injustifiés doivent être évités. À partir de ce deuxième facteur, les auteurs introduisent la dimension « degré de pertinence ». Ils proposent de définir la pertinence sous un angle comparatif plutôt que sous un angle classificatoire. Ils établissent ainsi deux conditions comparatives.

Condition comparative 1 : Une hypothèse est d'autant plus pertinente dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont importants (Sperber et Wilson, 1989 : 191).

Condition comparative 2 : Une hypothèse est d'autant plus pertinente dans un contexte donné que Pefïbrt nécessaire pour l'y traiter est moindre (Sperber et Wilson, 1989 : 191).

La première définition de la pertinence exposée précédemment est implicitement imbriquée dans cette dernière puisque la notion d'effets contextuels y est abordée. « Ce sont donc les effets

cognitifs positifs obtenus par le traitement d'une information dans le contexte d'autres informations en proportion des efforts cognitifs requis pour la traiter qui permettent à un individu d'évaluer la pertinence de cette information » (Cloutier, 2005 : 57).

En résumé, une information est pertinente à un moment précis si et seulement si elle engendre des effets cognitifs qui surpassent les efforts requis. D'un côté, plus les effets sont grands, plus la pertinence s'accroît. D'un autre côté, lorsque les efforts augmentent, la pertinence décroit sauf dans le cas où ces efforts supplémentaires engendrent une hausse considérable d'effets cognitifs. Cette présentation des grandes lignes de la théorie de la pertinence ouvre la voie à une conception différente de la compréhension en lecture. La compréhension des documents écrits en santé s'inscrit alors dans une optique de recherche de pertinence et, de cette façon, des pistes de réponses à la question de recherche de ce projet sont susceptibles d'émerger.

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