• Aucun résultat trouvé

2.3. Environnement structural du fer et potentiel redox : approche théorique

2.3.3. La théorie du champ cristallin

La théorie du champ cristallin consiste en une analyse purement électrostatique des interactions entre les ligands, considérés comme des charges ponctuelles, et chacune des orbitales-d du Fe. Cette théorie ne tient pas compte des cas avec divers degrés de recouvrement d'orbitales moléculaires ou de cas comme la retro-donation-. La CFT est ainsi surtout utilisée pour prédire les changements de structures électroniques résultant de changement d'arrangements spatiaux d'un type unique de li-gand [66]. Malgré ces limitations, l’application de la CFT aux environnements du fer dans des struc-tures de types oxydes ou silicates demeure appropriée. En effet, ces strucstruc-tures montrent souvent des sites octaédriques distordus, résultant de substitutions de cations de diverses tailles et de lacunes dans la structure. Les feuillets octaédriques ont aussi tendance à se ponter avec des structures té-traédriques, en feuillets ou en chaines. Selon la CFT, lorsque la symétrie sphérique de l’environnement électronique passe à une symétrie parfaitement octaédrique (coordination 6, cu-bique face centrée Oh), les niveaux d'énergie des 5 orbitales d se retrouvent séparés en deux groupes eg et t2g, séparés par une différence d’énergie 0 (figure 10). 0 représente l’éclatement du champ cristallin dû aux formes différentes des orbitales-d (figure 10). Dans le domaine des études sur les minéraux de type silicates, le cas du fer octaédrique est le plus couramment étudié car cette configu-ration est la plus courante pour Fe3+ et Fe2+. Certaines espèces contiennent néanmoins du Fe3+ en coordination tétraédrique, dans des proportions moindres. Certaines différences entre ces deux con-figurations sont indiquées sur les illustrations (figure 10), mais la discussion qui suit se limite au cas du fer octaédrique.

19

Figure 10 : Eclatement du champ cristallin pour le fer « haut–spin », en an qu’ion libr , n oordina ion 6 av un symé ri parfai m n oc-taédrique et en coordination 4 avec une symétrie parfaitement tétraé-drique.

Dans le cas d’une symétrie octaédrique, les 3 t2g ont des densités électroniques localisées princi-palement entre les axes C4 (x,y,z), les deux eg ont des densités électroniques localisées sur les axes C4. Les répulsions électroniques entre ligands localisés sur les axes octaédriques affectent d'avantage les eg que les t2g. Les orbitales eg ont donc moins de chance d'être occupées. Le niveau moyen d'énergie des 5 orbitales-d reste le même, mais les eg sont décalées vers un niveau supérieur (+0,60) au

ni-veau moyen, et les t2g sont décalées vers un nini-veau d'énergie inférieur (-0,60) au niveau moyen. Pour un Fe haut spin, 0 est inférieur à 70 % de l'énergie de couplage des e-. Si 0 passe ce seuil de 70 %, la configuration « bas spin » est adoptée. Cela a pour conséquence que tous les e- occupent les trois t2g et le couplage maximum d'e- se produit. C'est le cas, par exemple, avec des ligands de type phénanthroline et cyanure. Pour Fe3+ avec une configuration 5d haut-spin, l'énergie électronique globale de l'ion en coordination octaédrique est identique à celle de l'ion en symétrie sphérique, puisque les électrons sont distribués sur les 5 orbitales-d disponibles. Par contre, pour la configura-tion d6 de Fe2+, le 6ème e- se couple avec l'e- de l'orbitale de plus basse énergie. Ce qui résulte donc en une nette décroissance de l'énergie totale des e- de la couche d par rapport celle de l'ion en symétrie sphérique. La portée de cette décroissance est appelée énergie de stabilisation du champ cristallin (CFSE). Pour Fe(II), la CFSE est toujours égale à la différence entre le niveau moyen d'énergie des orbitales de l'ion en symétrie sphérique et l'énergie de l'orbitale de plus basse énergie. Donc pour la symétrie parfaitement octaédrique, le CFSE est de 0,40.

20

Figure 11: Orientation usuelle des axes (x,y,z) en coordination octaé-drique (gauche) et tétraéoctaé-drique (droite).

Les distorsions de la forme de l'environnement octaédrique abaissent d'autant plus la symétrie du complexe, un éclatement supplémentaire des orbitales-d est alors observé. Certains types de distorsions retenant quelques éléments de symétrie peuvent être envisagés, par exemple trigonale, tétragonale et rhombique. Une distorsion trigonale correspond à une élongation ou une contraction le long d’un des axes C3 (perpendiculaires aux faces). Les distorsions tétragonales correspondent à un changement de longueur le long de l'un des axes C4. Les distorsions rhombiques correspondent à un changement de longueur le long de deux des axes C4, si bien que les longueurs selon les trois axes sont différentes. Les feuillets octaédriques des minéraux argileux présentent généralement un amin-cissement, les sites cationiques étant compressés le long de l'axe trigonal perpendiculaire au feuillet. En plus de ce type de distorsion, l’environnement octaédrique peut être réduit à la symétrie mono-clinique, où aucune des six longueurs n’est équivalente.

L’effet des distorsions sur l’éclatement du champ cristallin peut être estimé en utilisant une mé-thode développée par Wood and Strens [66]. Cette mémé-thode a été développée à partir des équations de Ballhaussen [67], basées sur l’approximation de point de charge et permettant de calculer les énergies relatives de chacune des orbitales, dans des environnements géométriques parfaits à partir d’une valeur connue de 0. La méthode de Wood & Strens permet d’obtenir l’énergie d’une orbitale

d à partir de l’équation suivante :

L’énergie (en cm-1) est, en fait, la somme de trois termes indépendants, un pour chaque axe car-tésien. Le rapport B2/B4 peut être relié à la distance métal–ligand et la charge effective du cation [67], mais ce terme est davantage considéré comme un paramètre empirique à déterminer à partir de données spectroscopiques [68]. Pour le Fe2+ dans les silicates (tel l’hyperstène, [66]), un rapport de 2 permet d’obtenir des résultats convenables pour un grand nombre de structures différentes. C1, C2, …, C6 sont des constantes qui dépendent de l’orbitale considérée (tableau 2).

21

cos

Tableau 2: Coefficients intervenant dans le calcul des énergies des orbitales de la couche d.

Orbitale C1 C2 C3 C4 C5 C6 z2 -1/7 3/28 -1/7 3/28 2/7 2/7 x2y2 1/7 19/84 1/7 19/84 -2/7 1/21 xy 1/7 -4/21 1/7 -4/21 -2/7 1/21 xz 1/7 -4/21 -2/7 1/21 1/7 -4/21 yz -2/7 1/21 1/7 -4/21 1/7 -4/21

où nx et le nombre de ligand sur l’axe x (2 pour la coordination 6), R0 est la distance métal-ligand-moyenne, Ri est la longueur de la ième liaison métal-ligand, i est l’ange entre la ième liaison métal-ligand et l’axe cartésien (x dans ce cas). Grâce à cette méthode, les niveaux d'énergie d'ions en sites distordus de manière orthogonale peuvent maintenant être calculés, dans la condition où la dépen-dance de 0 avec la distance métal-ligand moyenne est connue. La valeur de 0 est influencée par le

type de ligand, et cette valeur suit la série spectrochimique (Cl < F < OH < H2O < phen <CN-). Pour un ligand donné, la force du champ cristallin varie inversement avec la distance métal-ligand R. Si les ligands sont assimilés à des charges ponctuelles, alors 0 est proportionnel à R-5. Si les ligands sont assimilés à des dipôles, 0 est proportionnel à R-6. D’après les changements de 0 en fonction de R observés pour des métaux de transition dans un certain nombre d’oxydes, la dépendance en R-5 semble être valide sur toute la plage de R expérimentalement accessible. Les valeurs de R et 0 sont déduites d’études spectroscopiques (absorption optique pour 0, DRX et EXAFS pour R) et représen-tent des valeurs moyennes sur une structure donnée. De par l’impossibilité de pouvoir déterminer expérimentalement chacune des distances individuelles et le 0 correspondant, il devient ainsi

né-cessaire de considérer des valeurs standards pour 0, pour un R, un type de ligand particulier et un ion particulier. Cette contrainte implique de considérer que la structure est parfaitement périodique. Pour le fer dans les silicates, un grand nombre de calculs disponibles dans la littérature donne des résultats satisfaisants en utilisant un 0 de 9750 cm-1 et un R0 de 213,5 pm [66].

Amonette [64] a modifié la méthode de Wood & Strens de manière à pourvoir l’étendre à des structures dont les données angulaires, les distances Fe-ligand et/ou les valeurs de 0 sont inconnues pour le Fe2+. En premier lieux, des valeurs de références (fixes) pour R0, 0 et B2/B4, ont été calibrées grâces à des données géométriques, spatiales et électrochimiques pour les ions Fe2+ et Fe(OH)+ aqueux. Ces paramètres fixes ont ensuite été utilisés pour calculer les paramètres (0, CFSE, etc.) pour des sites Fe(II) situés dans des structures bien caractérisées en substituant les informations géométriques pour chaque site (i.e. Ri) à la place de celui pour le Fe2+ aqueux (i.e. en gardant des angles identiques), résultant en des écarts plus ou moins importants entre valeurs calculées et ob-servées. Ces écarts furent corrélés avec les degrés de distorsion  des sites calculés ( = CFSE - 0.40). L'erreur dans la prédiction fût réduite en ajustant la valeur de R0 utilisée dans la calibration jusqu’à correspondance entre valeurs observées et calculées. Peu de détails sont donnés sur la manière dont ce facteur de correction est obtenu, une description complète de la méthode n’ayant à ce jour pas été publiée. En résumé, la régression d’un facteur d'ajustement sur Ri (Ri/R0) en fonction de valeur de

pour une série de minéraux donnés a permis d'obtenir une expression quadratique pouvant être

directement utilisée pour corriger R0. Cette correction empirique améliora grandement la corrélation entre valeurs de 0 calculées et observées sur une série de minéraux incluant : enstatite Fs14,

ferrosi-22

lite Fs85 et Fes100, forsterite, fayalite, ringwoodite, periclase, phlogopite et annite [64]. Les paramètres optimisés par Amonette sont les suivants : 0 de 8978 cm-1, R0 de 214,53 et B2/B4 de 2,069. R0 ne représentent plus nécessairement la moyenne effective des distances considérées, et les orientations relatives des liaisons (angles) sont négligées. Ce faisant, les niveaux d’énergies déterminées après correction donnent la valeur effective de 0 (et de la CFSE et ) pour la structure considérée.

En comparant les effets de simples déformations de l’environnement octaédrique d’un atome de Fe(II), il est possible de démontrer, de manière quantitative, que des variations dans la distance métal-ligand moyenne R0 (résultant de déformation particulière) ont une influence importante sur la valeur de l’énergie de stabilisation du champ cristallin (CFSE) [64]. Les calculs présentés sur la figure 12 ont été réalisés avec la méthode de Wood and Strens [66] modifiée par Amonette [64]. Cet exer-cice a surtout une vertu qualitative et permet de comparer l’influence d’hypothétiques distorsions sur le CFSE, selon que l’on considère une valeur fixe de 0 (R0 change) ou une valeur fixe de R0 (0 change). Quand 0 est gardé constant, l'énergie moyenne des orbitales-d reste constante et au bary-centre de 5 niveaux d’énergie, et la distance Fe-ligand moyenne varie selon le type de distorsion. La perte de symétrie dans la coordination du Fe(II) résulte cependant en une diminution de l'énergie des t2g et une augmentation de la CSFE par rapport à celle de l'octaèdre parfait (figure 12.A). En par-ticulier, des CSFE plus forts sont obtenus avec la compression tétragonale. Le même résultat peut être observé avec une distorsion rhombique comprenant une compression dans une direction don-née. Quand la distance Fe-ligand moyenne est gardée constante, et que 0 varie, les effets des dis-torsions sont relativement mineurs (figure 12.B). Ceci suggère que la distance Fe-ligand moyenne est plus importante que le type de distorsion pour déterminer le CFSE. Tandis que l'arrangement géomé-trique des ligands détermine l'ordre relatif des niveaux d'énergie des orbitales-d, la valeur absolue de

0 (différence d'énergie entre les orbitales de plus hautes et plus basse énergie) est déterminée par la force du champ de ligand. La nature du ligand et la distance Fe-ligand peuvent donc être considé-rées comme les deux facteurs contribuant à 0 et au CFSE. Pour les silicates en feuillet et les oxydes,

les ligands sont O, OH, F ou H2O, et leur contribution relative au champ de ligand suit généralement l'ordre F- < OH- < O2- < H2O. En allant plus loin, des distinctions peuvent être faites parmi les contribu-tions de O2- au champ de ligand, selon que le O fait partie d'un Si-O non pontant (interface des feuil-lets tétraédriques et octaédriques), ou que le O fait partie d'un groupe Si-O-Si, donc pontant (surface basale des feuillets tétraédriques), ou bien encore que le O fait en réalité partie d’un groupement hydroxyle (considéré comme un autre ligand dans ce cas). La substitution de Si4+ par du Al3+ devrait par exemple renforcer la force du champ de ligand pour le O. Pour un ligand donné, 0 varie

23

Figure 12 : C an m n s dans l’é la m n du amp ris allin calculés pour le Fe octaédrique dans le as d’un ompr ssion ri onal (psi = 58°), d’un élon a ion é ra onal , d’une compression tétragonale et d’un dis orsion r ombiqu . A. 0 est maintenu constant (9500 cm-1), et le rayon moyen varie en fonction des déformations. B. R0 est maintenu constant (216 pm), et 0 en fonction des déformations. La contribution des distorsions au CFSE est donnée par . L’illus ra ion s adap é d [64], les calculs ont été réalisés avec la méthode de Wood & Strens [66] modifiée par Amonette [64].

Pour résumer, l'énergie des électrons de valences du Fe(II) haut-spin est très dépendante de l'environnement de coordination du Fe. Des distances Fe-O raccourcies, un champ de ligand plus fort, et les distorsions de la symétrie octaédrique contribuent à un CFSE plus large. Une prédiction raison-nablement précise de 0 et du CFSE pour une série particulière de minéraux contenant du Fe peut être accomplie en utilisant le « simple » modèle électrostatique implicite à la théorie du champ cris-tallin développé par Amonette [64].

2.3.4. De l’énergie de stabilisation du champ cristallin au potentiel redox

Documents relatifs