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CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE

2.1 U NE MANIÈRE DE DIRE ET DE FAIRE

2.2.2 Le théâtre

Comme le mythe et les contes, le théâtre me propulse dans un monde où l’imaginaire est loi et où les limites du possible s’étirent ad vitam aeternam. J’ai découvert le Théâtre DyoNises en hiver 2016 et j’ai été immédiatement séduite par ce théâtre de rue qu’a développé Vitor Pordeus, notre guide dans cette aventure. Pour Pordeus, ce théâtre – qui rappelle les Grandes Dionysies de la Grèce antique, mettant en scène des rituels et des improvisations à partir d’archétypes – est un moyen de guérison enracinée dans notre héritage culturel ancestral. Voici un extrait d’un récit que j’ai écrit après mes six premiers mois de jeu.

Pour Vitor, le théâtre est rituel. Un ensemble de gestes symboliques et répétitifs qui sert de structure pour un acte transformateur. Le rythme du tambour, le son des tambourins, la danse, les chants répétés comme des mantras, des prières. « Dithyrambe,

dithyrambe... Ô Dionysos, que puis-je faire? »... C’est contagieux. Je découvre le

pouvoir du rituel, comme si je retrouvais une part de mon être que j’avais oublié.. Quand je joue et j’improvise depuis ce lieu, je me sens en dialogue avec le monde des archétypes, avec l’humanité tout entière, dans un langage qui traverse toutes les cultures et tous les temps.(Rosenberg, 2016, p. 3)

J’apprends de Pordeus (2017a) que les origines rituelles de l’humanité, qui sont aussi pratiquées dans le monde animal, demeurent une dimension essentielle à notre évolution en tant qu’élément structurant de notre humanité qui précède même le langage.

Les premières formes de rituels étaient des danses. Les gestes, les mouvements rythmiques [que nous performons aujourd’hui] constituent un langage issu du plus profond de l’inconscient et précède le mot comme moyen de communication (da

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Silveira 1992, cité dans Pordeus, 2017a). Par la danse, l’humain réagit au monde extérieur, tente d’appréhender ses phénomènes en les mettant simultanément en contact avec le plus profond de son être. Les mouvements rythmiques permettent de créer et d’intégrer les représentations issues des rêves et des imaginations. Dans son dynamisme, les images archaïques se manifestent adéquatement à travers les formes les plus anciennes d’expression, qui sont le geste et la danse. (Pordeus, 2017a, section 3.1)

Nous improvisons à partir d’une histoire et ses archétypes dans un langage qui est à la fois le nôtre et pas le nôtre. Nous entrons dans l’inconscient collectif 20. C’est Carl Jung

(1964, 1971) qui a le mieux expliqué cet espace auquel on accède à travers le rêve,

l’imagination active ou encore à travers l’art. Dans ce lieu, mon corps et mon esprit respirent

ensemble. Des sensations physiques de plaisir, d’abandon; comme une enfant, je sens la liberté de jouer, danser, chanter en cercle, en relation avec les autres, au son rythmé du tambour j’atteins un état de transe. C’est dans cet état que nous racontons et improvisons une histoire à l’aide d’images archétypales que les histoires nous révèlent.

Pour Pordeus (2014), cette forme de théâtre est une manière de guérir la communauté autant que la personne. Il a développé sa méthode pendant huit ans, à Rio de Janeiro au Brésil, en transformant un vieil hôpital abandonné qu’il a appelé Hôtel de la folie et l’Université

populaire d’art et de science (UPAC). Dans ce lieu, il a réuni un groupe de patientes et

patients psychiatrisés, artistes de tous genres, éducatrices, intervenants, psychologues, pour collaborer dans la création de son théâtre de rue. Initié dans la religion des Candomblés21 du

Brésil, Pordeus qui est aussi acteur et psychiatre transculturel, métisse des rites traditionnels avec le théâtre de rue brésilien et la psychologie archétypale jungienne dans la pratique de

20 Explicité dans le chapitre 4, Paysage notionel.

21 Le candomblé est une des religions afro-brésiliennes pratiquées au Brésil [...]. Cette religion consiste en un

culte desorixás(prononcé « oricha »), les dieux du candomblé d’origine totémique et familiale, associés chacun d’entre eux à un élément naturel (eau, forêt, feu, éclair, etc.). Se basant sur la croyance de l’existence d'une âme propre à la nature, le candomblé a été introduit au Brésil par les multiples croyances africaines des esclaves issus de laTraite des Noirsentre 1549 et 1888. Elle est aujourd'hui l’une des croyances les plus populaires duBrésil[…. Les femmes y tiennent un rôle important. Le candomblé dispose de plus d'une dizaine de milliers de lieux cultuels, où se déroulent les divers rites et cérémonies religieux.[...] L’apport culturel du candomblé (rites, danses, musique, fêtes) est incontestable : son univers est devenu partie intégrante de la culture et du folklore brésiliens. Récupéré le 2 juin, 2017 de Candomblé - Wikipedia.

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son art de guérir. Pour construire sa méthode, Pordeus s’est aussi inspiré de Shakespeare, Haddad, Artaud, Brecht, Euripide, da Silveira et Spinoza (SHABESS)(Pordeus, s.d., Theatre

as public policy, p. 16-18). Dans nos performances, nous rencontrons une grande variété

d’archétypes, autant divins que monstrueux : Dionysos, les Bacchantes, Hamlet, Faust, Galilée, Macbeth, Hécate et ses sorcières, des nymphes, des muses, des soldats, des rois et des reines, anges et démons... C’est eux et elles qui inspirent nos improvisations et nous ouvrent sur de multiples possibilités de métissages d’images archétypales qui émergent de nos inconscients personnels et collectifs. Pordeus s’inspire des travaux de Carl Gustav Jung, Nise da Silveira et John Weir Perry (Pordeus, s.d. Ritual Drama of Renewal) qui, dans leurs recherches, établissent un lien entre les mythologies, les premiers rituels humains et les archétypes en tant qu’images premières qui forment nos psychés ainsi que nos systèmes culturels et sociaux. Perry propose le terme d’« affect image » pour expliquer le concept de la psychologie analytique de « l’archétype », qui sont des images primordiales qui ont été formées par des drames rituels à l’origine de l’humanité et qui ont été conservées par des émotions, des gestes, des représentations, des récits et ultimement, des systèmes culturels et sociaux. (Perry, 1976, p. 28-29)

Quand j’entre dans la transe du jeu, j’accueille ce qui se présente à moi : des images et des émotions ou des affects images que j’incarne dans mes interactions avec les autres. J’apprends que certaines représentations sont plus chargées d’affects que d’autres. Soit qu’elles touchent mon histoire personnelle où qu’elles me dévoilent mes gènes culturels22.

Le jeu m’enseigne qu’il n’est pas toujours nécessaire de comprendre ce que j’éprouve pour qu’il y ait en moi un mouvement dans ma conscience. L’important c’est de l’éprouver le plus entièrement possible, laisser parler la mémoire du corps, laisser venir les images, les mots en lien avec les actions. Plus les images sont claires et les gestes cohérents avec la parole, plus je sens le pouvoir transformateur du jeu pour moi-même et dans ma communication avec les autres. L’improvisation est aussi une manière de dire ce que l’on pense du monde dans lequel nous vivons. Dans le jeu, tout est permis. Les mots qui sortent de ma bouche me surprennent

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souvent. En voulant communiquer avec l’autre, je me dévoile à moi-même. Le jeu est un miroir pour moi et pour l’autre. Il grossit la réalité, la glorifie dans sa beauté ou se moque de son horreur. Les histoires que nous racontons sont des tragi-comédies, des mythes, des thèmes récurrents dans l’histoire de l’humanité. Ils sont aussi mon histoire que je découvre en les jouant.

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