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CHAPITRE 2 MÉTHODOLOGIE

2.1 U NE MANIÈRE DE DIRE ET DE FAIRE

2.2.3 La performativité au féminin

La performativité que je mets en pratique, soit dans le jeu ou l’écrit, en appelle au langage symbolique, analogique, métaphorique et archétypal pour négocier et renégocier les représentations dans l’espace de l’imaginaire, le mien et celui de ma collectivité. En pratiquant l’art de l’ouverture vers le bas, les images archétypales que me dévoile mon corps en mouvement et en relation m’incitent à vouloir comprendre mon héritage de femme en cherchant, dans le langage de ma culture, les sources mythologiques et historiques des contenus de ces images.

La linguiste, philosophe, psychanalyste et féministe Luce Irigaray a beaucoup écrit sur le langage et le féminin sous ses aspects symboliques et culturels. Plusieurs auteurs et auteures se réfèrent à elle à ce sujet, car elle remet en question les « textes fondateurs de notre culture occidentale, dont les textes philosophiques, psychanalytiques, mythologiques et religieux, tout en dénonçant l’omniprésence du masculin et l’occultation du féminin. La subjectivité féminine, absente dans ces textes, inhibe ce qu’il en est de l’expérience et de l’identité des femmes dans nos cultures occidentales » (St-Cyr, 2000, paragr.1).

Après avoir déconstruit le discours philosophique qui a fait la loi et qui a empêché le discours du féminin de s’énoncer, Irigaray tente de décrypter les éléments qui permettent de reconstruire de façon positive l’identité féminine. Pour ce faire, une des tâches importantes consiste à relire notre archéologie culturelle et interpréter, de notre point de vue, les images et les représentations des femmes dans le discours religieux ou mythologique. Irigaray reconstitue certaines de nos généalogies féminines pour se donner des modèles, et pour mettre en relief l’histoire mythologique et les éléments symboliques de la présence du féminin. (Ibid., paragr.7)

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Selon Eric Touya de Marenne (2012), Irigaray interroge « ce que la théorie et la philosophie ont oublié sous les concepts : le charnel et le souffle » (p. 76). Il poursuit en disant qu’elle ne cherche ni la vérité ni le savoir et se garde loin de toute « rationalité scientifique phallocentrique ». Irigaray se tourne plutôt vers la « poétique » et la nature pour se rapprocher du corps et de ses origines. Selon elle, ce sont les quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air, qui « déterminent nos attraits, nos affects, nos passions, nos limites, nos aspirations » (Irigaray, 1987, p. 69). Dans ces passages, je découvre une cohérence avec la place centrale que nous donnons, dans nos rituels et improvisations, aux quatre éléments.

Touya de Marenne poursuit en disant que le chemin du devenir féminin que propose Irigaray passe par le sacré. Une « interaction entre transcendance et immanence et une nouvelle théologie de l’incarnation où le devenir prend la mesure de l’être » (2012, p. 77). Elle dit que « pour devenir femme, pour accomplir sa subjectivité féminine, la femme a besoin d’un dieu qui figure la perfection de sa subjectivité » (Irigaray, 1987, p. 76). Le dieu que nous connaissons est à l’image de l’homme. Selon elle, « nous ne sommes pas encore nées femmes […] Il manque à la femme un miroir pour devenir femme […] un dieu féminin est encore à venir » (Ibid., p. 78-79). La spiritualité dont elle parle passe par le corps, l’art, la poésie, le chant, la danse, etc.; de la « cultivation of physical rhythms, energies and breath,

and the transfiguration of the body in speech23» (Martin, 1998, cité dans Touya de Marenne,

2012, p. 77).

La spiritualité d’Irigaray m’inspire à vouloir donner naissance à ma propre divinité. Elle suggère un retour dans notre histoire ancestrale à la recherche de nos mères spirituelles à travers les mythes et les mémoires oubliées depuis des siècles, pour s’enraciner dans cette lignée qui est la nôtre. Irigaray ne nie pas les blessures à traverser sur ce chemin. « Pendant qu’ils, le père et le fils (spirituels) prononcent ensemble les paroles rituelles de la consécration […] "Ceci est mon corps, ceci est mon sang", je saigne » (Irigaray, 1993, p. 15). À ce sujet, St-Cyr ajoute :

23 « cultiver des rythmes physiques, l'énergie et le souffle et la transfiguration du corps en parole » [Ma

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Interpréter et s'approprier les généalogies féminines est, en quelque sorte, une façon […] de réparer les blessures de la séparation des mères et des filles dans les cultures patriarcales. En l'absence de mères spirituelles, les filles ne peuvent symboliser la relation à leur mère parce qu'elles manquent de références, de modèles. (St-Cyr, 2000, paragr.10)

Pour Irigaray, il s'agit de faire siennes les représentations des femmes et du féminin qui jalonnent notre culture, parce que celles que nous avons nous proviennent d'une culture patriarcale construite essentiellement et unilatéralement sur le rapport père-fils. Les généalogies féminines ont soit été oubliées, soit été occultées ou encore interprétées par un sujet qui se voulait neutre et universel mais qui était produit par une culture patriarcale, c'est-à-dire par un sujet masculin. (Ibid., paragr.11)

Je me sens en bonne compagnie. La pensée d’Irigaray m’aide à orienter mes pratiques du corps en mouvement, dans le rituel et le jeu improvisé, vers le dévoilement de qui je suis dans mon historicité et dans l’actualisation de mon advenir. Les archétypes et les mythes que nous jouons me font connaître mon héritage de femme tout en m’informant des déséquilibres qui existent dans ma culture entre le masculin et le féminin depuis des générations, afin que je puisse les transmuter.

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