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3. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES PRESTATIONS

3.3 Les textes de principes

24. Une fois qu'une Organisation a une compétence en matière de sécurité sociale, elle peut adopter un ou des textes de principes, pour reprendre la formulation de Guy PERRIN (PERRIN 1974). Appellation sous laquelle «sont réunis les chartes, déclara-tions, proclamations et pactes internationaux qui ont promu la sécurité sociale au rang d'un droit social fondamental». (PERRIN 1974, p. 479). Ces textes ne sont pas indis-pensables sur le plan juridique : une Organisation internationale, la Communauté eu-ropéenne, peuvent travailler sans eux (c'est le texte constitutif qui donne les compéten-ces) et il est rare qu'un individu puisse en tirer directement des droits à faire valoir devant une administration, une caisse ou un tribunal.

25. Est-ce à dire que ces textes de principes sont inutiles? Une telle conclusion serait à mon avis fausse. En effet, les textes de principes éclairent notre domaine d'étu-de : ils reconnaissent le droit à la sécurité sociale sans discrimination. Certes, ils le font sur un plan symbolique ou théorique. Mais cela a le mérite de guider l'activité des Organisations comme des Etats, de montrer le chemin à parcourir, d'inspirer les acteurs sociaux.

26. Prenons l'exemple le plus frappant: les Nations Unies, qui ont été le plus loin dans les textes de principes, reconnaissent le droit de chaque être humain à la sécuri-té sociale, en tant que membre de la sociésécuri-té27, sans discrimination aucune (Déclaration universelle des droits de l'homme, 1948, art. 22 et 25; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966, art. 9). Cette reconnaissance, fondée sur la dignité humaine, est-elle assurée dans les faits ? Dans son excellent Rapport VI à la Conférence internationale du Travail (89e session, 2001), intitulé «Sécurité sociale:

Questions, défis et perspectives »28, le Bureau international du Travail donne la ré-ponse : « L'un des plus grands problèmes en matière de sécurité sociale aujourd'hui est que plus de la moitié de la population mondiale (à savoir, des travailleurs et des person-nes à leur charge) n'a accès à aucune forme de protection sociale et ne bénéficie par conséquent ni d'un système de sécurité sociale fmancé par des cotisations, ni de

presta-26 27

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Voir ci-dessus les N° 17-20.

Donc quel que soit son statut professionnel et également si l'individu n'exerce aucune activité rémunérée.

Voir la note 5.

CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SÉCURITÉ SOCIALE N° 32-2004 AUTRES ÉTUDES

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tions sociales financées par l'impôt, tandis qu'une proportion non négligeable de ceux qui sont couverts ne sont protégés que contre quelques risques. En Afrique subsaharien-ne et en Asie du Sud, on estime que 5 à 10 pour cent seulement de la population active sont couverts par le régime légal de sécurité sociale et que dans certains cas ce taux est même en baisse. En Amérique latine, les taux s'étagent entre 1 0 et 80 pour cent et ne donnent dans la plupart des cas aucun signe d'évolution. En Asie du Sud-Est et de l'Est, les taux varient entre 10 et près de 100 pour cent et, jusqu'à une date récente, étaient dans de nombreux cas en hausse. Dans la plupart des pays industrialisés, le taux de cou-verture est proche de 100 pour cent, mais dans un certain nombre de pays, notamment parmi ceux en transition, 1' observation des obligations en matière de sécurité sociale a décliné ces dernières années» (p. 37). Est-il concevable de répondre a ce formidable défi des exclus de la protection sociale ? La Rapport mondial sur le développement hu-main de 1998 nous renseigne à son tour : « Les ressources mondiales sont plus que suf-R fisantes pour accélérer les progrès dans le développement humain pour tous et éradiquer de la planète les formes les plus extrêmes de la pauvreté. Progresser dans le développe-ment humain n'est pas hors de portée. On estime ainsi que l'investissedéveloppe-ment annuel total nécessaire pour garantir un accès universel aux services sociaux de base serait de l'ordre de 40 milliards de dollars, soit 0,1 % du revenu mondial : à peine plus qu'une erreur d'arrondi. Ce montant suffirait à financer l'éducation de base, la santé, la nutrition, les soins génésiques, le planning familial et l'accès à l'eau potable et à l'assainissement pour tous. ( ... ) Malgré les difficultés et les reculs, accélérer les progrès dans le déve-loppement humain et éradiquer les formes les plus extrêmes de la pauvreté humaine sont des défis à notre portée. Nous savons ce qu'il faut faire et le monde dispose des moyens pour y parvenir. Le succès dépend désormais de notre capacité à renforcer les partenariats, à susciter un élan politique en faveur des réformes, à prendre des engage-ments fermes, et à agir concrètement »29.

27. Le contraste entre le texte de principe et la réalité est saisissant. Les deux sont très généralement connus. Et l'on s'est mis au travail: tant l'Organisation internationale du Travaie0 que l'Association internationale de la sécurité sociale31 reconnaissent l'im-portance et l'urgence de la question. Les deux ont besoin du soutien ferme des acteurs sociaux car le défi est gigantesque.

28. C'est l'exemple le plus frappant qui montre la force essentiellement symboli-que - la Déclaration universelle des droits de 1 'homme n'a pas d'effet juridique obliga-toire; le Pacte est ouvert aux ratifications mais sa formulation de l'art. 9 est très géné-rale32 - des textes de principes et ce qui pourrait ou pourra en résulter pour la protection sociale des populations.

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Rapport mondial sur le développement humain 1998. Publié pour le Programme des Na-tions Unies pour le développement (PNUD) par Economica. Paris 1998, p. 41.

Voir ci-dessus le N° 6.

Voir ci-dessus le N° 1 :le premier thème de l'Initiative AISS porte sur l'exclusion.

«Article 9. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ».

29. Sous la dénomination de textes de principes toute une série d'autres textes pourraient être évoqués :

pour les Nations Unies: la Convention internationale relative aux droits de l'en-fant (1989), la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965), la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979);

pour l'Organisation internationale du Travail: la Déclaration concernant les buts et objectifs de l'Organisation internationale du Travail (1946) (incluse dans la Constitution depuis 1946i3 ;

pour le Conseil de l'Europe: la Charte sociale européenne (1961), la Charte so-ciale européenne révisée (1996); également, même si le texte est en général éloigné de la sécurité sociale : la Convention européenne des droits de l'homme (1950) et son Protocole N° 1 (1952) ;

pour l'Union européenne : la Charte communautaire des droits sociaux fonda-mentaux des travailleurs (1989), la Charte des droits fondafonda-mentaux de l'Union européenne(2000);

pour l'Organisation de l'Unité africaine, devenue l'Union africaine (en 2002): la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (1981);

pour l'Organisation des Etats américains: la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme (1948), le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l'homme traitant des droits économiques, sociaux et cultu-rels (1988).

30. Ces textes ne sont pas spécifiques à la sécurité sociale: leur portée est beau-coup plus large ; mais tous contiennent des normes concernant la sécurité sociale et jouent, pour celle-ci, le rôle de textes de principes.

31. Sans pouvoir se livrer ici à un tour d'horizon systématique de ces textes de prin-cipes, relevons quelques points significatifs :

a)

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A propos de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Alexandre BERENSTEIN relève ceci: «Les auteurs de la déclaration savaient bien qu'il n'était pas possible, par l'adoption de principes juridiques, de changer la situa-tion des déshérités de ce monde comme par un coup de baguette magique. Les différents Etats ne sont d'ailleurs pas en mesure, sans égard à leur situation éco-nomique respective, de créer du jour au lendemain une législation en matière de droit du travail, de sécurité sociale et d'institutions éducatives qui puisse répon-dre aux exigences modernes. C'est pourquoi la déclaration laisse entenrépon-dre d'une part que des résultats concrets ne pourront intervenir, dans bien des pays, que grâce à la coopération internationale, et d'autre part que les mesures que l'on de-vra prendre dans les différents domaines mentionnés sont conditionnées par la situation économique de chaque pays, son organisation et ses ressources. » (BERENSTEIN 1982, p. 323);

Voir ci-dessus le N° 18.

CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SÉCURITÉ SOCIALE N° 32-2004

Cet auteur remarque également que la Déclaration« n'a pas été incorporée à une constitution ou à un autre acte ayant une valeur juridique propre». (BEREN-STEIN 1982, p. 323 in fine);

La portée du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels va dépendre de la manière selon laquelle cet instrument est accueilli dans un Etat, singulièrement par les tribunaux de ce dernier. Une étude compara-tive serait intéressante à ce sujet. En ce qui concerne la Suisse, Michel HOTTE-LIER note que le Pacte n'occupe qu'une place très modeste: les autorités sont d'avis que la protection qu'il apporte est sensiblement inférieure à celle des ins-truments européens correspondants et le Tribunal fédéral refuse quasiment sys-tématiquement d'entrer en matière sur des recours alléguant sa vioîation, jugeant que les droits qu'il contient sont dépourvus d'effet direct, ceci valant pour l'art.

9 du Pacte sur la sécurité sociale. Cet auteur note que la position du Tribunal fé-déral est faiblement motivée, qu'elle est critiquée par la doctrine suisse et qu'elle fait totalement abstraction des observations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (HOTTELIER 2001, pp. 19-21);

La portée de la Charte sociale européenne est celle d'un engagement de carac-tère international pour les Etats qui l'ont ratifiée; ceux-ci doivent donc s'effor-cer d'en observer les dispositions qui les lien~4• Alexandre BERENSTEIN sou-ligne que: «La Charte sociale européenne n'impose pas aux Etats liés par elle l'obligation de la considérer comme étant directement applicable dans l'ordre ju-ridique interne. Certes, beaucoup de dispositions de la Charte appellent une légi-slation spéciale et ne peuvent dès lors pas être directement applicables. » (BERENSTEIN 1982, p. 432). Cette remarque vaut tout à fait pour l'art. 12 con-sacré à la sécurité sociale et dont la teneur est générale ;

La Cour européenne des droits de l'homme (arrêt Gaygusuz c/Autriche, 39/1995/545/631, 16 septembre 1996) a appliqué l'art. 14 de la Convention35 en combinaison avec 1' art. 1 du Protocole N° 136 à la sécurité sociale. Il s'agissait d'une allocation d'urgence accordée aux personnes ayant épuisé leurs droits aux allocations de chômage et satisfaisant à certaines conditions légales ; le paiement de cotisations à la caisse d'assurance-chômage représentait une condition préa-lable au versement des allocations. Le requérant satisfaisait à toutes les

condi-Une ratification partielle de la Charte est possible.

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la ( ... ) Convention doit être assu-rée, sans distinction aucune, fondée notamment sur ( ... ) l'origine nationale ( ... ) » (ces coupures sont opérées dans 1' arrêt même).

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi ou les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes».

ti ons, mais il n'avait pas la nationalité de 1 'Etat compétent. La Cour a jugé que

«la différence de traitement entre Autrichiens et étrangers quant à l'attribution de l'allocation d'urgence, dont a été victime M. Gaygusuz, ne repose sur aucune justification objective et raisonnable. ( ... ) Partant, il y a eu méconnaissance de 1' art. 14 de la Convention combiné avec 1' art. 1 du Protocole N° 1. » Ainsi, comme le relève Eberhard EICHENHOFER (200 1, p. 242), une prestation sous condition de ressources, versée par une institution d'assurance sociale et finan-cée par des cotisations d'assurance sociale a la qualité de propriété protégée par le Protocole N° 1 et ne peut pas faire l'objet de discrimination fondée sur la na-tionalité.

32. Ces éléments montrent que les textes de principes ne sont pas dénués d'im-portance pour la protection des populations. Ils « agissent » en général indirectement pour celle-ci, puisque les résultats viendront par d'autres textes, produits par les Organi-sations internationales ou (et surtout) par les Etats. Ceux-ci sont incités à légiférer:

peut-être ne le feraient-ils pas, ou différemment, en l'absence de textes de principes. De plus, des cas d'applicabilité directe existent. A leur manière, ces textes présentent une certaine solidité, d'autant que leur caractère solennel devrait les mettre à l'abri de révi-sions réductrices ou hâtives.

3.4 Les textes visant un rapprochement des systèmes ou des politiques de