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3. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES PRESTATIONS

3.5 Les instruments de coordination

48. Les instruments de coordination ont pour but de répondre à deux types de pro-blèmes:

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celui de 1' existence possible, dans certains régimes, de règles plus sévères à remplir par les non-nationaux (les étrangers)- en d'autres termes, pour ces der-niers, 1' existence de discriminations ;

Cet auteur se réfère à la fin de la deuxième guerre mondiale.

celui des situations qui excèdent le territoire d'un Etat, qui sont transfrontières (p. ex. une personne réside dans un Etat A et travaille dans un Etat B ; à la re-traite, elle part s'établir dans un Etat C) (BIT 1974).

49. Le premier problème peut être résolu unilatéralement par un Etat, en procédant à un examen fin de sa législation et de sa pratique. Il n'est pourtant pas sûr que cette opé-ration le mette à l'abri des discriminations indirectes42. Le second problème peut partiel-lement être résolu par un Etat, lequel intègre dans sa législation des règles de coordina-tion43 (EICHENHOFER 1994, p. 8). Mais très vite, il nécessite une solution internatio-nale pour relier deux ou plusieurs systèmes de sécurité sociale différents, qui n'appli-quent, par définition, pas les mêmes règles.

50. La résolution de ces problèmes peut être effectuée par voie de conventions bi-latérales, de conventions multilatérales (conclues directement entre Etats ou dans le cadre d'une Organisation internationale), de règlements communautaires.

51. Les conventions bilatérales de sécurité sociale représentent la solution la plus ancienne, la plus simple et souple. En effet, deux Etats choisissent de négocier, de con-clure un accord. Ils s'entendent sur les régimes qui seront inclus, sur l'importance des principes qui seront appliqués, sur les modalités pratiques. Ils ne doivent relier que deux législations et, en général, ils ne le feront qu'au bénéfice des ressortissants des deux pays. Mais évidemment, la coordination ne sera que bilatérale, or souvent les migra-tions, les déplacements, ne concernent pas que deux mais plusieurs pays (BIT 1974, pp.

7 sv.)

52. Les conventions multilatérales de sécurité sociale constituent une solution plus élaborée. Compte tenu de la complexité des questions de coordination, ces conven-tions sont généralement conçues et suivies dans le cadre d'une Organisation internatio-nale. Ici, les Etats qui ratifient acceptent de se connecter à un système international sus-ceptible de s'étendre au gré des ratifications. Les principes de la coordination sont géné-ralement plus développés, le champ d'application matériel a tendance à être plus étendu et le champ d'application personnel couvre les ressortissants des Etats parties. Une auto-rité pourra probablement se prononcer sur l'application du droit. Les migrations, les dé-placements, seront envisagés entre tous les Etats parties au système. L'Organisation internationale du Travail - de la Convention OIT N° 19 concernant 1' égalité de traite-ment des travailleurs étrangers et nationaux en matière de réparation des accidents du travail (1925) à la Convention OIT N° 157 concernant l'établissement d'un système international de conservation des droits en matière de sécurité sociale (1982)44 - et le Conseil de l'Europe- des Accords intérimaires européens de sécurité sociale (1953) à

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Une même règle vaut pour les nationaux et les non-nationaux, pourtant elle frappe, dans la réalité, avant tout les seconds (p. ex. le droit aux prestations familiales n'est ouvert que si les enfants d'un travailleur résident dans le même pays que celui-ci).

P. ex. le droit interne maintient l'assujettissement d'un travailleur détaché sur le terri-toire d'un autre Etat; ou il exempte de l'assujettissement une personne qui ne remplit une condition d'assujettissement (emploi, résidence) que pour une période courte.

Complétée par la Recommandation OIT N° 167 (même titre, 1983).

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la Convention européenne de sécurité sociale (1972)45 - peuvent se prévaloir d'une ac-tivité normative importante en la matière. Celle-ci est très complexe et les instruments les plus sophistiqués (et les plus récents) ne parviennent qu'en partie à coordonner les systèmes et invitent les Etats parties à compléter les textes par d'autres accords bi- ou multilatéraux (PERRIN 1991).

53. Dans ce domaine, c'est la Communauté européenne qui a poussé le plus loin la coordination, étant consciente que cette dernière est le parallèle obligé de la libre circu-lation des travailleurs et de leurs familles, comme de la libre circucircu-lation des personnes en général. Dès 1' origine, le Traité instituant la Communauté européenné6 a compris des dispositions spécifiques à la libre circulation et à la coordination (dans sa teneur ac-tuelle: art. 18, 39-42 TCE; non-salariés: art. 43 sv. TCE). Et le droit dérivé relève de l'instrument le plus développé, soit le règlement. Ainsi, la coordination communautaire est fondée sur le Règlement (CEE) N° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Commu-nauté7. C'est ici que l'on trouve l'état le plus élaboré de la coordination des systèmes de sécurité sociale: par voie de règlements communautaires (c'est-à-dire de véritables lois européennes, applicables telles quelles dans les Etats membres) et avec une nom-breuse jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, gardienne des Traités et seule compétente pour interpréter les règlements N° 1408/71 et 574/72 (DUPEYROUXIBORGETTOILAFORE/RUELLAN 2001, FUCHS 2002, GREBERJ KAHIL-WOLFF 2003, LÉGER 2000, G. et A. LYON-CAEN 1993, PENNINGS 2001, PERRIN 1993, PERRIN 1991, RODIÈRE 2002).

54. Le droit international et le droit européen de la coordination reposent sur des principes : égalité de traitement, désignation du droit applicable, maintien des droits en cours d'acquisition, maintien des droits acquis, coopération administrative.

55. Le principe de l'égalité de traitement entre nationaux et non nationaux vise à neutraliser les discriminations touchant les non-nationaux. Il est d'ailleurs dans la li-gne des textes de principes48, qui reconnaissent le droit à la sécurité sociale à chaque être humain, sans discrimination. Il convient cependant de relever que ce principe est à

« géométrie variable » : il va de 1' égalité partielle, négociée à propos de régimes dans des conventions bilatérales jusqu'à l'égalité complète. C'est l'examen d'un instrument de coordination qui permet d'en apprécier l'ampleur et, le cas échéant, les limites.

L'égalité recherchée peut être formelle : les normes de coordination empêchent alors qu'un droit traite différemment les nationaux et les étrangers ; elle peut aussi être plus large et interdire aussi les discriminations indirectes49, ce qui nécessite l'intervention

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Et son Accord complémentaire pour l'application de la Convention européenne de sécu-rité sociale (1972).

A l'origine, en 1957: Traité instituant la Communauté économique européenne.

Et son Règlement d'application N° 574/72.

Voir ci-dessus les N° 24 sv.

Voir ci-dessus les N° 48-49.

d'autorités de contrôle50C'est l'instrument de coordination qui détermine les personnes bénéficiant de 1' égalité de traitement et qui éventuellement opère des distinctions selon les types de prestations (p. ex. contributives/non contributives).

56. Le principe de la désignation du droit applicable, qui est en fait celui du sys-tème applicable (droit et autorité) (EICHENHOFER 1994, p. 120), a pour but d'éviter les conflits de lois positifs (deux législations ou davantage sont concurremment applica-bles) ou négatifs (aucune législation n'est applicable). Le problème résulte de la diversi-té des critères d'assujettissement retenus par les législations nationales. Généralement, les instruments de coordination désignent une législation, qui est celle du lieu où s'exer-ce 1' activité professionnelle.

57. Le principe du maintien des droits en cours d'acquisition met en contact des systèmes différents de sécurité sociale pour, en quelque sorte, constituer une carrière

« par dessus les frontières » pour le migrant ou la personne qui se déplace. Il faut éviter que dans chaque nouveau pays, l'intéressé ne doive recommencer à zéro. Au contraire, la méthode utilisée est celle de la totalisation des périodes de cotisations, d'emploi ou de résidence pour ouvrir le droit à des prestations alors que l'intéressé ne remplit pas les conditions minimales au regard d'un droit national. La proratisation permet, après la totalisation, de répartir la charge des prestations entre les institutions compétentes.

58. Le principe du maintien des droits acquis s'oppose aux conditions de rési-dence sur le territoire de l'Etat compétent, qui seraient imposées par la législation de ce dernier pour le bénéfice des prestations. Pour les prestations en nature, il y a application d'une entraide entre institutions (p. ex. l'institution du lieu de séjour octroie les presta-tions, selon sa législation, et demande le remboursement à la caisse compétente, qui a encaissé les cotisations). Pour les prestations en espèces, il y a exportation (versement à l'étranger).

59. Le principe de la coopération administrative est important dans un domaine aussi complexe et technique que celui de la coordination. Il serait en effet difficile voire impossible pour le migrant ou la personne qui se déplace de reconstituer elle-même sa carrière en matière de sécurité sociale et d'entreprendre les démarches qui en découle-raient. Ce sont donc les institutions de sécurité sociale, via des organes de liaison, qui vont échanger des demandes de prestations, des attestations médicales ou professionnel-les, des relevés de cotisations ou de périodes de séjour.

60. Au contraire des textes précédents, les instruments de coordination ont pour but et pour effet de régler des situations aussi concrètes que quotidiennes. Les intéressés peuvent donc invoquer ces instruments devant les autorités et les tribunaux, lesquels doivent les appliquer d'office. Lorsqu'un Etat est partie à un système de coordination, qu'il soit bilatéral, multilatéral ou communautaire, le règlement des dossiers ne peut plus se faire au regard du seul droit interne. Et le droit de la coordination est justement conçu pour déroger au droit interne (problèmes de discriminations) ou relier celui-ci à

50 Cas typique : la Cour de justice des Communautés européennes pour le droit européen.

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d'autres ordres juridiques (problèmes des situations transfrontières)51Il s'agit donc ici de fondements juridiques de prestations tout à fait solides et qui sont appliqués concrètement. Les instruments de coordination, plus ils sont performants et donc pré-cis, sont sujets à des modifications régulières ; tel est singulièrement le cas du Règle-ment (CEE) N° 1408/7152Il faut en effet tenir compte de l'évolution des législations nationales qui font l'objet de la coordination (BERENSTEIN 1989/DUPEYROUX/

BORGETTOILAFORE/RUELLAN 2001, FUCHS 2002, EICHENHOFER 1994, GREBERIKAHIL-WOLFF 2003, G. et A. LYON-CAEN 1993, PENNINGS 2001, PERRIN 1993, PERRIN 1991, RODIÈRE 2002).