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4. LES FONDEMENTS JURIDIQUES DES PRESTATIONS DE

4.3 Des normes contenues dans des lois

70. L'on peut s'attendre à ce que les lois, adoptées par les Parlements, contiennent des règles substantielles en matière de sécurité sociale et qu'elles abordent les grandes composantes que sont :

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la conception d'un régime (ses buts et principes),

le champ d'application personnel (personnes couvertes),

Les auteurs cités donnent les références aux arrêts de la Cour constitutionnelle alle-mande.

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le champ d'application matériel (éventualités couvertes),

les prestations (y compris leurs conditions d'octroi et leur service, l'indexation), l'organisation administrative (les institutions qui appliquent le régime, éven-tuellement d'autres institutions ou personnes qui collaborent),

l'organisation financière (sources, techniques),

l'organisation contentieuse (procédure et autorités de recours),

à quoi s'ajoutent des dispositions finales (entrée en vigueur, dispositions transi-toires, abrogation de textes précédents).

71. Il est possible de trouver déjà dans la Constitution ~uelques principes ou règles portant sur ces questions (cf. la Constitution de la Suisse

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mais évidemment un texte fondamental se limite à quelques notions qui apparaissent de grande importance. C'est généralement le législateur qui va développer les composantes mentionnées 58

Cepen;.

dant, un législateur peut être limité dans son activité normative par la Constitution d'un pays- comme en France depuis la Constitution du 4 octobre 1958- au profit du Gou-vernement (DUPEYROUX/ BORGETTO/LAFORE/RUELLAN, pp. 385 sv.)

72. Une loi de sécurité sociale peut avoir la prétention de tout régler: elle contient du droit impératif et exhaustif. Les organes d'application n'ont alors aucune autonomie;

ils doivent rechercher «la» solution conforme au droit. L'avantage réside dans une grande sécurité du droit (application stricte du principe de la légalité) dans l'égalité de traitement (pour autant que la gestion effective soit à la hauteur). Il en résulte en contre-partie une rigidité tout aussi grande, sauf à accorder à une autorité la possibilité de déro-ger aux textes dans des situations tout à fait particulières.

73. Une loi de sécurité sociale peut avoir pour objet de régler l'essentiel de la ma-tière, les organes d'application bénéficiant dans certains secteurs délimités d'une cer-taine autonomie. Les principes de la légalité et d'égalité trouveront toujours une appli-cation étendue, bien que moins complète que dans le premier cas.

74. Une loi de sécurité sociale peut être conçue comme une loi-cadre: elle fixe des principes, contient des règles impératives sur certains points, permet aux organes de gestion d'adopter leurs propres règles sur d'autres points, d'aller au-delà des standards légaux. Cela implique probablement l'intervention des partenaires sociaux, qui « gè-rent » les espaces de liberté. Le principe de la légalité coexiste alors avec une autonomie accordée aux institutions.

75. Les deuxième et troisième situations posent la question du contrôle ou de la surveillance : comment 1' organiser en respectant à la fois le texte légal et la marge de manœuvre accordée ?

76. Lorsque les institutions de sécurité sociale disposent du pouvoir d'adopter leurs propres normes, cela suppose que ces dernières ne contreviennent pas à la

légis-57 58

Voir ci-dessus les N° 65-66.

Voir ci-dessus le N° 70.

lation d'origine étatique (VOIRIN 1991, p. 65). Si ces normes affectent les droits et obligations des personnes protégées et des employeurs, cela présuppose leur publication officielle, par les institutions elles-mêmes ou une autorité étatique (VOIRIN 1995, p.

65).

77. Est-il admissible, dans des régimes légaux de sécurité sociale, de pratiquer la loi réglant l'essentiel ou la loi-cadre? De tels dispositifs, par définition, permettent des inégalités dans la protection. Michel VOIRIN relève qu'une liberté de choix (l'absence de règles légales précises) n'est pas contestée pour les protections complémentaires, professionnelles ou individuelles, mais que cela poserait problème dans les régimes lé-gaux (VOIRIN 1991, p. 98).

78. La situation particulière des Etats fédéraux doit être évoquée. Michel VOIRIN distingue deux hypothèses:

celle des compétences concurrentes : 1 'Etat fédéral et les « Etats constitutifs

»

peuvent légiférer. Cela se produit dans les cas où le premier n'a pas (encore) exercé sa compétence, les seconds ayant alors la faculté d'agir. La législation fé-dérale, lorsqu'elle existe, a normalement la primauté;

celle des compétences complémentaires : les « Etats constitutifs » « en disposent soit pour compléter à proprement parler la loi fédérale par 1' adoption de normes substantielles sur des points qu'elle ne règle pas ou qu'elle règle de manière moins avantageuse, soit pour en déterminer les modalités de mise en œuvre, spé-cialement en matière d'administration». (VOIRIN 1991, p. 159). La législation fédérale peut n'être aussi qu'une loi-cadre qui doit être précisée par les «Etats constitutifs». La législation fédérale peut aussi attribuer des subventions fédéra-les ou des crédits d'impôts aux «Etats constitutifs» qui ont adopté une législa-tion conforme aux normes minimales fédérales (cas p. ex. au Canada ; en Suisse pour les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et inva-lidité, qui sont subordonnées à des conditions de ressources) (VOIRIN 1991, pp.

159-160).

79. Toujours à propos de la législation, Pauline BARETT-REID apporte quelques conseils judicieux qui méritent d'être cités ici : « Afin que la législation soit aussi trans-parente que possible, il est utile dès la phase de conception d'incorporer une note expli-cative et un exposé financier indiquant en termes simples quelle est l'intention politique recherchée, quelles sont les dépenses et les recettes prévues et quel serait le coût admi-nistratif de chaque projet de législation. ( ... ) Il est par ailleurs important de s'assurer que la législation prévue soit cohérente avec les autres dispositions internes au régime et avec la législation nationale en général, et qu'elle soit compatible avec les conventions et recommandations internationales ratifiées par le pays. Mais ce qui est peut-être en-core plus important, c'est de s'assurer que les mesures législatives sont réellement ap-plicables sur le terrain, c'est-à-dire qu'elles seront opérationnelles dès la date de leur entrée en vigueur et que leurs objectifs pourront être atteints». (BARETT-REID 1995, p. 62).

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80. Le dernier point à évoquer, important, est celui de la concertation qui devrait accompagner la révision d'une législation et de la dimension du temps. Une législa-tion de sécurité sociale joue un rôle important dans la vie d'une populalégisla-tion (même si celle-ci n'en est pas forcément consciente) : les ressources de la grande majorité sont constituées par la santé, la force de travail et les droits actuels ou futurs en matière de sécurité sociale. Aussi longtemps que la protection est maintenue voire améliorée, il n'y a pas de grands problèmes. Mais lorsqu'il faut établir des priorités, réduire ou supprimer des prestations, une concertation entre tous les milieux impliqués est essentielle. Le processus devrait être transparent, montrant les données (p. ex. démographiques, écono-miques) et les choix possibles avec leurs implications. Emmanuel REYNAUD s'ex-prime à propos de la réforme des retraites, mais ses propos peuvent être généralisés :

«Il s'agit toujours d'équilibrer sur le long terme les ressources et les dépenses pour ga-rantir la pérennité du système. Une telle démarche et les choix qu'elle implique peu1:

être accomplie soit par une décision unilatérale, soit à la suite d'un processus mettant en jeu diverses formes de consultation, de négociation et de débat public. C'est cette deu-xième voie qui a été de fait privilégiée dans tous les pays industrialisés au cours de ces dernières années, illustrant par là le fonctionnement même des sociétés démocratiques actuelles dans les choix politiques à opérer en matière de répartition des revenus».

(REYNAUD 1999, p. 1).

81. Quant à Eberhard EICHENHOFER, il montre l'importance du temps pour la réforme d'une législation. Il fait état, avec raison, des changements fondamentaux des pensions qui ont été effectués en Suède -l'on peut ajouter l'Italie- à la fin du

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siè-cle. L'idée retenue a été celle d'un changement en douceur: mise à l'écart progressive de l'ancien modèle et arrivée progressive du nouveau. Cet auteur souligne que les dispo-sitifs d'aujourd'hui déterminent les conditions de la justice sociale de demain; la pro-tection sociale implique les générations, pour les charges comme les prestations. La sta-bilité, basée sur une répartition honnête des charges et des prestations dans le temps, est aussi un élément de justice sociale (EICHENHOFER 2000, p. 248).