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Notre interféromètre sera notamment utilisé pour tester la neutralité de la matière. L’idée originelle d’une différence de charge entre le proton et l’électron est due à A. Einstein en 1924 pour tenter d’expliquer la génération du champ magnétique terrestre (voir la revue de C.S. Unnikrishnan et G.T. Gillies [139]). Suite à cette idée, A. Piccard et E. Kessler ont

1.4. Test de la neutralité de la matière. 33

effectué en 1925 une mesure de précision de la neutralité de l’atome en mesurant la capacité électrique d’un réservoir métallique dont s’échappe un flux de CO2. La sensibilité de cette

mesure est de 5 × 10−21q

e, où qe est la charge élémentaire (1.6021766208(98) × 10−19 C). Depuis lors un grand nombre de tests ont été réalisés [41], tous sont compatibles avec la mesure d’une charge nulle mais aujourd’hui encore la sensibilité record est ∼ 10−21q

e.

Motivations de cette mesure. Une mesure de la symétrie de charge de la paire électron-

proton et de la neutralité du neutron au-delà de la sensibilité actuelle [41] est stimulée par des questions théoriques provenant de l’astrophysique [140] ou de la physique des particules (liée à la quantification de la charge électrique [9]). Par exemple, le lien entre les charges électriques du proton (un hadron) et de l’électron (un lepton) n’apparaît pas naturellement dans le modèle standard. La compréhension de la charge des particules fondamentales dépasse le cadre du modèle standard et requiert de nouveaux modèles physiques [40, 141] dont certains n’excluent pas la violation de la neutralité de la matière.

La mesure de la neutralité de la matière avec un Mach-Zehnder atomique permet d’amé- liorer la sensibilité de cette mesure de plusieurs ordres de grandeurs. De plus, en mesurant la charge résiduelle de deux isotopes du rubidium (87 et 85), il est possible de déterminer une li- mite indépendante sur la charge du neutron et de la paire électron-proton (E-P). De même, si nous supposons la conservation de la charge, alors via le mécanisme de la radioactivité−β12,

il est possible de déterminer une limite à la charge du neutrino avec la même précision.

Historique des mesures. Tous les tests de la neutralité de la matière réalisés jusqu’en

198813 sont réunis dans les revues [41, 139]. Ces mesures sont consistantes avec la mesure

d’une charge nulle et les meilleures limites sur la symétrie de charge électron-proton (qe−qp

qe )

et la charge résiduelle du neutron (qn

qe) sont de ∼ 1 × 10

−21q

e. Cette sensibilité a d’ores et déjà permis de réfuter les hypothèses de A. Einstein sur l’explication du champ magnétique terrestre en 1924 ou de Littleton et Bondi sur l’explication de l’accélération de l’expansion de l’univers en 1959. Ces mesures sont réalisées avec quatre types de techniques expérimentales :

• En mesurant la capacité électrique d’un réservoir de gaz [142, 143]

• En mesurant la trajectoire d’un objet en lévitation dans un champ électrique14 [144].

• En mesurant la fréquence acoustique dans une cavité excitée par un champ électrique [41].

• En mesurant la déflection d’un faisceau d’atomes [145] ou de neutrons [146] par un champ électrique.

Les trois premières méthodes reposent sur des mesures de la charge d’objets macroscopiques ce qui implique la difficulté de modéliser les effets systématiques, comme par exemple le transfert d’un électron à l’objet ou les inhomogénéités du champ électrique. La quatrième méthode nécessite aussi un contrôle du champ électrique perçu par les particules du faisceau. Cette méthode souffre donc d’effets systématiques liés aux inhomogénéités de champ élec- trique et à la distribution spatiale et de vitesse du faisceau de particules. Notamment, dans le cas des atomes leur polarisabilité induit une force qu’il est alors difficile de discriminer par rapport à l’effet d’une charge résiduelle.

12. Un neutron donne un proton, un électron et un antineutrino électronique.

13. A l’exception de Bressi et al en 2011 avec la méthode électro-acoustique cependant il n’améliore pas la sensibilité de 1 × 10−21qe pour la différence de charge E-P.

Y on off

+V

-V

+V

-V

0

y

. b . a

y

Figure 1.9 – Le test de la neutralité de la matière utilisant l’effet Aharonov Bohm Scalaire. a. Le diagramme temporel de la trajectoire des paquets d’ondes (en vert) le long de l’axe

vertical (Y). Les plages spatio-temporelles d’interaction avec les potentiels électriques sont symbolisées en orange. b. Le schéma de la disposition spatiale des électrodes.

Nous voulons utiliser une méthode différente fondée sur l’effet Aharonov-Bohm Scalaire (ABS). Dans ce cas l’objet testé est un atome passant à travers une zone de potentiel élec- trostatique constant et donc un champ électrique nul.

Test de la neutralité de la matière avec l’interférométrie atomique. Notre mesure

est fondée sur l’effet Aharonov-Bohm Scalaire [147]. Cette mesure a été pour la première fois mentionnée par M. Kasevich et S. Chu [72] en 1997 puis détaillée par le groupe d’interféro- métrie de Toulouse dans le cas d’un jet thermique de lithium en 2001 [42]. Enfin cette mesure a été proposée dans le cas d’un interféromètre en configuration fontaine d’atomes froids par le groupe de Stanford [40] en 2008. Nous étudions cette dernière configuration (voir figure 1.4) dans le cas d’un système expérimental de taille plus réduite pour garder un meilleur contrôle des effets systématiques.

L’effet ABS repose sur le fait qu’une particule chargée avec une charge εqe située dans un potentiel électrique homogène V subit une énergie d’interaction εqeV. En appliquant deux potentiels différents ±V sur chacun des bras de l’interféromètre durant un temps ∆τ, la phase mesurée en sortie de l’interféromètre doit être décalée d’une quantité :

∆φ = εqeV∆τ

~ , (1.29)

où ε est sa charge résiduelle divisée par la charge de l’électron. Pour augmenter la sensibilité de la mesure de la symétrie de charge électron-proton il est intéressant de prendre un élément ayant un grand numéro atomique Z. De plus, le test de neutralité du neutron nécessite

1.4. Test de la neutralité de la matière. 35

de tester deux espèces différentes. C’est pourquoi nous avons choisi le rubidium Z = 37. Les alcalins sont facilement manipulables par les techniques lasers et particulièrement le rubidium. De plus, à l’état naturel il existe deux isotopes stables, le 87Rb et le 85Rb.

Les avantages de l’interférométrie atomique à bras séparés en configuration fontaine pour cette mesure est qu’il est possible d’appliquer deux potentiels électriques différents sur chacun des bras et de profiter de la vitesse réduite des atomes à l’apogée de leur trajectoire pour augmenter le temps d’interaction avec les électrodes (voir figure 1.9).

La sensibilité de la mesure est donnée par :

σε =

σφ

qe ~

N∆V ∆τ , (1.30)

où σφ est la sensibilité en phase de l’interféromètre, ∆V est la différence entre les potentiels électriques de chacune des deux électrodes et N est le nombre de particules concernées par atomes N = Z ou N = A−Z pour le test de la symétrie de charge de la paire électron-proton, respectivement la neutralité du neutron. En prenant un temps d’interaction de 20 ms, un potentiel de ±5 × 104 V et une sensibilité de la mesure de la phase de 1 mrad, alors la

sensibilité de la mesure de ε est de 3 × 10−23q

e ce qui améliore de deux ordres de grandeur la limite actuelle.

Sensibilité du test de la neutralité de la matière A partir de spectres sismiques

mesurés dans notre laboratoire et en supposant un taux de réjection similaire à [75], et en tenant compte d’une plus grande sensibilité des LMT (avec la fonction de sensibilité de notre interféromètre), nous anticipons de façon raisonnable un bruit de 300 mrad sur la mesure de la phase par coup.

Si nous supposons maintenant que le bruit de phase de l’interféromètre est un bruit blanc alors la sensibilité augmente avec le temps d’intégration des mesures comme :

σφ= σmesure

s

tcycle

tintégartion

(1.31) Pour que l’incertitude sur la phase soit en dessous des 1 mrad il faudra un temps d’intégration d’une journée en supposant un temps de cycle de la séquence expérimentale de 2 s.

Pour aller au-delà de cette limite il est possible de réaliser deux interféromètres simul- tanés, superposés verticalement et utilisant le même miroir de rétro-réflexion pour les deux réseaux [35]. Seul l’interféromètre supérieur passera à travers les électrodes. De manière ul- time ces deux interféromètres subiront les mêmes déphasages parasites, ce qui permettra d’atteindre la limitation par le bruit de projection quantique.

En effet, la plus petite15 incertitude que l’on peut obtenir après une mesure en sortie

d’un interféromètre est limitée par le bruit de projection quantique (BPQ) :

σBP Q = 1

CN . (1.32)

En supposant un nombre d’atomes dans le condensat de N = 105 atomes et un contraste

des franges d’interférence C = 0.5, alors l’incertitude sur une seule mesure est de 6 mrad. Après un temps d’intégration d’une journée il est possible d’augmenter la précision jusqu’à 30 µrad et ainsi d’obtenir une précision de 5 ×10−25sur le test de la neutralité de la matière. 15. L’utilisation d’états intriqués pourrait permettre de réduire cette limite à l’incertitude de Heisenberg. L’incertitude sur le mesure diminue alors comme N−1

1.5 Conclusion : Le nouvel interféromètre atomique du