• Aucun résultat trouvé

Territorialisation du rapport à l’environnement

Liaison A Théorie de la

A. Environnement, développement durable, et régulation : la question du territoire

2. Territorialisation du rapport à l’environnement

L’étude relative à l’instauration de nouveaux dispositifs de régulation environnementale dans le bassin minier du Nord – Pas de Calais a permis de mettre en évidence un certain nombre de caractéristiques clés qui disposent, chacune, d’une dimension territoriale.

1 – La croissance industrielle passée a pour origine la localisation, en abondance, de ressources énergétiques – la houille en l’occurrence. L’exploitation de ce gisement minier et l’essor considérable des industries liées à la mine (notamment chimie et métaux non ferreux) ont généré des problèmes environnementaux localisés (pollutions et dysfonctionnements hydrogéologiques). L’importance de ces problèmes et les effets de déqualification territoriale qui en résultent ont longtemps constitué un facteur défavorable dans le redéveloppement économique de la zone concernée.

2 – La prise en compte et le traitement progressif des différents problèmes environnementaux du bassin minier se sont effectués selon une chronologie particulière, qu’explique assez bien le contenu relatif en incertitude des problèmes en question. Les problèmes pour lesquels le contenu en incertitude est le plus élevé (avec non-perception immédiate du problème, méconnaissances scientifiques, voire controverses) ont été appréhendés en dernier. Il n’en reste pas moins que le milieu des années 90 est symptomatique d’un volontarisme politique manifeste dans le domaine de l’action environnementale. À cet égard, une institution territoriale, la Région Nord – Pas de Calais, exerce, ou directement ou via un certain nombre d’organisations qu’elle a inspirées (le Pôle de compétences « sites et sédiments pollués », le Centre création développement des éco- entreprises…), un rôle majeur. Incontestablement, vis-à-vis de la problématique environnementale, elle fait figure « d’acteur-clé », une catégorie jugée importante dans bon nombre d’analyses territoriales53 et qui peut être retenue aussi pour les questions de régulation environnementale. Ce volontarisme politique du Conseil Régional s’explique, certes, en partie par le renforcement des compétences en lien avec les lois de décentralisation du début des années 80, mais surtout, comme on l’a dit précédemment, par l’arrivée à la tête de l’Institution, d’un exécutif « Vert » en 1992, annonçant rapidement son souhait de réorienter les politiques régionales dans un sens plus conforme au développement durable.

3 – Les processus de construction de proximités organisées sont, pour le cas qui nous occupe, très largement territorialisés. Insistons sur ce que cette caractéristique n’a rien d’évident a priori, sauf à confondre dans l’analyse, proximités organisées et proximités géographiques, et à émousser alors fortement l’intérêt de l’approche proximiste. Dans notre monographie, la formation de préoccupations environnementales communes, la constitution d’objectifs communs (proximités institutionnelles), la coordination d’acteurs, la mise en place

53 Par exemple, dans Colletis et al., 1999, p. 35, on peut lire : « L’acteur-clé est repéré comme élément

déclencheur de la dynamique institutionnelle d’un territoire. Il est l’acteur majeur dans l’émergence de compromis territoriaux ».

de dispositifs régulatoires (proximités organisationnelles) disposent d’une dimension territoriale forte54. Les acteurs territoriaux sont très présents : collectivités territoriales, entreprises, organisations parapubliques, associations, et même parfois les habitants directement via la mise en place de démarches participatives, telles que la Conférence permanente du bassin minier.

4 – Plus précisément, les dispositifs de régulation mis en place sont localisés. Ou ils sont de portée régionale (Pôle de compétences « sites et sédiments pollués »), ou du niveau du bassin minier (Mission « Bassin minier »), voire à l’échelle d’un site (Plan de reconquête environnementale autour de Metaleurop). S’ils sont porteurs, le plus souvent, d’éléments institutionnels (notamment juridiques) supra-régionaux (national ou européen), ils n’en sont pas, cependant, la simple déclinaison spatiale. Ils intègrent, en fait, la conséquence de jeux institutionnels proprement locaux et régionaux. En cela, ils rappellent la notion de « gouvernance » ou, selon la conceptualisation de Gilly, Pecqueur, et Leroux, de « dispositif régulatoire territorial » (Gilly, Leroux, 1999 ; Gilly, Pecqueur, 2000). Un dispositif régulatoire territorial est défini (par exemple, dans Gilly, Leroux, 1999, p. 96) comme un « compromis institutionnel composite qui permet et oriente la coordination des acteurs selon des régularités technico-économiques et sociales (rapport salarial…) géographiquement concentrées ». Le dispositif régulatoire territorial comporte essentiellement trois éléments :

i – le rapport salarial dominant localement ;

ii – les institutions formelles locales (collectivités locales, unités de groupes…) plus ou moins articulées avec les institutions globales (État, groupes industriels, fédérations nationales des syndicats…) ;

iii – les réseaux sociaux, construits sur la base de conventions locales et dont l’action est transversale aux institutions existant localement (p. 96).

Cependant, dans le cas qui nous occupe, les dispositifs de régulation sont de portée plus étroite. N’est pas seul en cause ici le registre sectoriel des dispositifs en question : le domaine environnemental. D’ailleurs, certains d’entre eux sont censés couvrir un champ plus vaste que l’environnement stricto sensu et touchent l’aménagement et le développement (c’est typiquement le cas de la Mission Bassin minier). Si les dispositifs de régulation sont de portée

54 Cette dimension de territorialisation serait très atténuée si, par exemple, le traitement d’un problème

environnemental, pourtant localisé, passait essentiellement par une collaboration entre un grand groupe et une instance nationale. Encore une façon de dire que la proximité organisée peut, en pratique, ne pas être territorialisée ou n’être que faiblement territorialisée et qu’en théorie la proximité organisée ne doit pas être confondue avec la proximité géographique.

plus étroite, c’est parce qu’ils constituent en réalité des outils d’animation et d’intervention et non un « compromis » d’ensemble. En fait, et en transposant l’idée de Gilly–Leroux– Pecqueur à la régulation des problèmes environnementaux, face à un éventuel « dispositif régulatoire environnemental » (au singulier), les dispositifs (au pluriel) analysés en seraient les différentes composantes opératoires, plus ou moins bien articulées entre elles.

Pour résumer ces différents « ingrédients » de la monographie et leurs interrelations, nous proposons le schéma suivant :

La manière dont s’organisent les institutions formelles (notamment les collectivités territoriales) et les réseaux sociaux en vue de répondre aux problèmes productifs territorialisés influe aussi sur la façon d’appréhender les problèmes environnementaux et de tenter de les résoudre. Il s’en déduit un dispositif (au singulier) régulatoire environnemental, articulation plus ou moins explicite de politiques, principalement publiques, et elles-mêmes activées grâce à des dispositifs (au pluriel) opérationnels : dans notre exemple, le Pôle de compétences « sites et sédiments pollués », le Centre création développement des éco-entreprises, etc.

Cependant, la flèche est à double sens, car certaines actions visant l’environnement, ou interactions entre organisations autour de l’environnement, sont de nature à influencer le

Environnement Dispositif régulatoire environnemental Divers dispositifs opératoires Dynamique économique territoriale Dispositif régulatoire territorial

« dispositif régulatoire territorial »55 et, au-delà, la dynamique économique territoriale elle- même, étant entendu que l’évolution, quantitative et qualitative, de l’environnement sur le secteur géographique va directement jouer sur cette dynamique.

Toutefois, s’il a le mérite de mettre en évidence les transversalités territoriales, un tel schéma pèche par la non-prise en compte des relations global/local. Ce serait doublement paradoxal que d’en rester là : et vis-à-vis de la notion de « dispositif régulatoire territorial » qui prévoit explicitement la liaison56, et à l’égard de notre démarche générale qui vise précisément à articuler un schéma régulationniste général de l’environnement et un schéma territorialisé. Un second schéma est nécessaire qui relie les deux plans (Schéma A. 2).

Le plan supérieur se réfère au niveau macroéconomique, certes, plutôt de niveau national, mais non explicitement spatialisé. Le plan inférieur a trait au niveau territorial (régional et/ou local). Les interactions macro/local s’exercent selon trois vecteurs : le système environnemental (avec certes une relation d’appartenance entre le système territorialisé et le système macro, mais aussi avec des relations de causalités dans les deux sens) ; le système socioéconomique (couple « régime d’accumulation/mode de régulation » d’un côté, « dispositif de régulation territoriale/dynamique économique territoriale », de l’autre) ; le rapport à l’environnement lui-même, qui confronte un rapport général (ici plutôt national) et un rapport territorialisé. Pour ce qui concerne le rapport à l’environnement, la relation descendante entre « le général » et « le territorial » sera notamment constituée par l’application territoriale de dispositions juridiques nationales, la relation inverse pouvant, quant à elle, résulter d’une généralisation spatiale d’expérimentations locales.

Nous ne chercherons pas ici à illustrer chacune des relations représentées sur le schéma. Il est clair, cependant, que le matériau utilisé dans le Domaine II pourrait être re- finalisé à l’aide d’une telle matrice analytique.

55 C’est notamment le cas – mais sans exclusive –, du CD2E qui en s’appuyant sur un partenariat d’acteurs

publics (Région, DRIRE, ADEME, etc.) cherche à promouvoir le secteur des éco-entreprises.

56 Par exemple, dans Gilly, Leroux, 1999, p. 98, il est dit : « [Le] processus d’articulation entre le local et le

global est (…) le plus souvent médiatisé par des macro-acteurs : groupes industriels (principes et normes de production), État (législation, dispositifs administratifs (…)), syndicats (compromis sociaux)… De cette situation, il résulte, pour le système territorial, une deuxième source (externe) de dynamique par le jeu des décalages, des contradictions éventuelles entre institutions locales et institutions globales ».

Déterminants socio- culturels RÉGIME D’ACCUMULATION ENVIRONNEMENT ET RESSOURCES NATURELLES RAPPORT À L’ENVIRONNEMENT --- Modalités de régulation environnementale MODE DE RÉGULATION --- 5 formes institutionnelles DISPOSITIF DE RÉGULATION TERRITORIALE SYSTÈME TERRITORIAL D’ENVIRONNEMENT ET DE RESSOURCES NATURELLES RAPPORT À L’ENVIRONNEMENT TERRITORIALISÉ --- Dispositif(s) de régulation environnementale DYNAMIQUE ÉCONOMIQUE TERRITORIALE Déterminants socio- culturels territoriaux

Le schéma présente une limite certaine. Il sous-entend la coïncidence spatiale nécessaire entre l’enjeu environnemental (ressource exploitée, pollution, etc.) et sa régulation, dans le cadre de rapports à l’environnement déterminés. À enjeu national, régulation nationale ; à enjeu régional, régulation régionale, etc. La réalité n’est évidemment pas aussi simple et des décalages sont susceptibles d’apparaître entre l’espace d’un problème et le territoire mobilisé pour sa régulation. Dans le fond, le schéma précédent n’a conféré qu’un rôle passif à la dimension territoriale, en imaginant une variabilité des configurations selon divers espaces de référence. Il convient d’aller plus loin et, en quelque sorte, de problématiser la dimension territoriale elle-même.

Schéma A 2 : Présentation synoptique d’une analyse régulationniste de l’environnement aux niveaux macroéconomique et territorial