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PARTIE II RÉSULTATS ET ANALYSES

5. LA TERRITORIALITÉ COMME SUPPORT ET FINALITÉ

5.3. Territoire, appartenance et identité

La territorialité, pourrions-nous dire, est la construction plurielle d’un territoire vécu. Il s’agit d’un processus de mise en partenariat des acteurs à partir d’une identité territoriale (Bassand, 1992) et en construction de celle-ci. Ailleurs (Caillouette et Morin, 2007), nous avons fait valoir que les acteurs (résidents, institutions, associations, entreprises) d’un territoire, ou reliés à ce territoire, ne peuvent s’appréhender comme acteurs de développement de la communauté locale que dans la mesure de leur capacité à se situer en appartenance, et non en extériorité, à cette communauté territoriale. C’est ce rapport référentiel de l’action au territoire qui permet de concevoir le développement des communautés en tant que pratiques intégrées et territorialisées de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Le concept de territorialité réfère en quelque sorte à la création, à partir de territoires donnés, d’espaces symboliques d’action en commun. Si la notion de territoire réfère à un espace physique ou administratif, la territorialité marque, elle, le rapport vécu à ce territoire. Par exemple, la pratique communautaire territorialisée d’Ascot en santé crée un espace où les acteurs peuvent tisser entre eux des liens d’appartenance et de reconnaissance mutuelles en

dépassement de leurs identités particulières. Se croisant dans une même territorialité, la diversité des acteurs devient un levier, et non plus un empêchement, à la construction d’actions collectives dans la communauté.

Le concept de territoire vécu, relié intimement à celui de territorialité, renvoie aux structures endogènes des processus de construction identitaire des acteurs reliés à un territoire donné. Contrairement aux processus de marchandisation et de bureaucratisation des rapports sociaux, le monde vécu fait appel à des processus de construction symbolique – d’un rapport à soi et aux autres, comme individu, organisme ou institution – enracinés dans un espace local marqué par les interactions particulières des acteurs sur ce territoire et en rapport à ce territoire.

Les interactions des acteurs autour de projets locaux donnent sens au territoire, à sa territorialité, et c’est par cette dernière, du moins en partie, que les acteurs trouvent leur sens et bâtissent leurs cadres perceptuels et d’expérience pour guider leur action (Neveu, 1996 : 90, référant à Goffman, 1991). Les stratégies de développement des communautés visent une appropriation sociospatiale où les acteurs s’expérimentent dans de nouveaux cadres de perception structurant leur relation en direction d’un pouvoir accru d’action tant sur le plan individuel que collectif. Les processus identitaires auxquels donnent lieu les pratiques de développement des communautés tiennent à des dynamiques en boucle permettant l’émergence des acteurs à la fois individuels et collectifs. La territorialité trouve sa consistance dans des jeux de renforcement mutuel de mises en relation des parties au tout et du tout aux parties. La territorialité n’existe que dans la mesure où elle fait sens pour ses acteurs, que dans la mesure où elle est capable de susciter l’engagement et l’investissement des individus, des citoyens, des organismes et des institutions qui lui donnent corps.

Le lien entre territorialité et processus identitaire ne doit pourtant pas laisser croire que l’identité des acteurs se résume, ou devrait se résumer, à leurs appartenances locales. L’« endogénéité » des processus de construction identitaire inhérente aux pratiques de développement des communautés ne doit pas renvoyer à un repli sur le local. Au contraire, le développement des communautés appelle l’ouverture active sur l’extérieur. Les processus de développement des communautés, s’ils se fondent sur une conscience du local, agissent en même temps en vecteur de désenclavement et d’ouverture à des idées, des expériences, des innovations et à des acteurs extérieurs au local. Le processus de territorialité demeure toujours une réalité ouverte, en constante évolution et en recherche de sa synthèse pour donner corps à l’action.

Klein (2006), en partant du développement local, concept relié à celui du développement des communautés, fait bien valoir qu’il serait dangereux de concevoir le processus de développement local comme restreint à son espace propre. Au contraire, le développement local, et encore plus dans une situation de cycle négatif de développement, doit se faire en comptant sur la mobilisation de ressources externes à la communauté. Petrella aussi, dans la préface du volume de Konaté et al. (1999) sur le développement des communautés au Mali, fait valoir, en prenant la démocratie comme moteur de développement, que cette « démocratie dépend non seulement de la mobilisation de ressources endogènes et autochtones, mais encore des apports de « l’extérieur » et de l’ouverture envers les autres sans lesquels rien de démocratique ne pourra se faire ».

Donc, il faut voir dans la territorialité un construit en mouvement. Si le processus est endogène, il est par ailleurs hétérogène, et ce, de deux façons. D’abord, à l’interne, la

territorialité se construit au sein d’une réalité hétérogène. Elle mobilise des acteurs souvent très différents entre eux. Bien qu’ils nous parlent des réseaux intégrés de services, Fleury, Grenier et Ouadahi (2007 : 163) nomment bien cette hétérogénéité qui caractérise les acteurs « tant par leur mode de fonctionnement que par leurs objectifs, leur source de légitimité et leur pouvoir ». Comme Bassand (1992) le fait valoir en soulignant la complexité des processus identitaires sous-tendant le développement local, l’identité locale est plurielle, elle se construit au travers de la rencontre de différents types d’acteurs et, selon les conjonctures, « une configuration identitaire prédominera ». Ensuite, comme déjà souligné, il faut comprendre « l’endogénéité » du processus, non en repli sur le local, mais en ouverture sur le monde, ce qui permet de continuellement régénérer les pratiques territoriales locales.