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PARTIE II RÉSULTATS ET ANALYSES

5. LA TERRITORIALITÉ COMME SUPPORT ET FINALITÉ

5.2. L’articulation des territoires vécus et des territoires administratifs

et politiques

En ce qui concerne la territorialité, il faut comprendre qu’un défi des pratiques de développement des communautés est de créer cette territorialité, ce qui veut dire, comme nous l’avons vu, de travailler souvent à l’articulation de différentes identités en référence à un même territoire pour créer l’appartenance, mais aussi de travailler à l’articulation de différentes échelles de territoires, par exemple entre municipalités et celle de MRC, de même que de territoires vécus avec des territoires politiques.

Dans notre étude, nous avons notamment pu découvrir que le référent territorial de nos sept pratiques à l’étude prenait différentes dimensions. À titre d’exemple, on a notamment pu constater que la pratique de développement des communautés du comité de soutien au milieu face aux gens en perte d’emploi prend comme référent territorial la MRC de Memphrémagog,

qui recoupe le territoire de desserte du CSSS. Comme nous pourrons l’analyser plus en détail ultérieurement, cette territorialité s’avère constitutive de l’acteur collectif et de la construction des liens communautaires. Dans le cas de la CDC du HSF, on constate que la pratique prend comme cadre de référence le même référent territorial (la MRC qui recoupe le territoire de desserte du CSSS), mais étant donné que cette région ne possède pas de ville centre, il existe un éclatement important des appartenances. Comme nous pourrons le voir, cela pose le défi de la construction des appartenances locales à travers une appartenance globale de MRC, tout en soulevant l’enjeu de l’articulation des échelles de territoires dans le développement des pratiques de développement des communautés selon une logique de cohésion de vision et d’action.

Toujours à titre d’exemple, la pratique d’Ascot en santé prend plutôt comme référent territorial la communauté territoriale vécue (le quartier) en tant que référentiel de l’action (bien que le territoire administratif d’arrondissement soit également, dans une moindre mesure, une composante de la pratique) et cette territorialité se veut constitutive de l’acteur collectif. Dans le cas du Granit, la pratique du Mouvement en faveur de la jeunesse prend à la fois la communauté territoriale de MRC qui recoupe le territoire de desserte du CSSS et la communauté territoriale vécue (les municipalités) comme référentiel de l’action. La construction de ce mouvement se fait donc à partir de deux échelles de territorialité en interaction. Il bénéficie alors d’une impulsion locale de MRC tout en profitant d’un enracinement dans des appartenances de territoires vécus, les municipalités.

Au plan de l’analyse, nous retenons que le fait de favoriser la dimension territoriale permet de tabler sur les forces de proximité et de complémentarité, tout en renforçant les dynamiques de développement local des communautés. Cela nous semble particulièrement significatif dans la mesure où nous estimons que le développement des communautés repose sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs présents sur le territoire, qu’il soit question du secteur public (CSSS, écoles, municipalités, etc.), du secteur privé (entreprises, banques, etc.) ou du tiers secteur (monde associatif, citoyens). Pour ce faire, il importe néanmoins qu’une pratique tienne compte de la réalité vécue de ces municipalités en fonction des particularités respectives de chacune (dans ses dimensions sociales, économiques, environnementales et culturelles). L’articulation des territoires vécus doit être abordée selon une appartenance plus large et plus globale. Il faut faire intervenir ainsi l’enjeu de l’articulation des différentes échelles de territoires. Tout en dynamisant les territoires vécus de quartier ou de petites municipalités, le défi est de réussir – tel un jeu de poupées gigognes, mais qui permettrait des emboîtements autorisant la différence – à articuler ces territoires vécus aux territoires plus larges, de MRC par exemple ou de centre urbain, où logent formellement les pouvoirs administratifs et politiques locaux. Bien que plus vastes, ces territoires ont eux aussi à bâtir l’appartenance et l’engagement. Ils ont à permettre une appropriation qui en fasse des territoires vécus. Comme une personne organisatrice communautaire au CSSS de Memphrémagog l’apportait, lors d’un focus group régional de personnes organisatrices communautaires, les pratiques de développement des communautés ont intérêt à se déployer aussi à l’échelle des MRC :

Il y a une pertinence d’avoir des actions territoriales plus larges parce qu’il y a des organismes et des établissements qui se définissent comme ça […] c’est tout à fait pertinent d’avoir des actions qui sont dans la MRC. Ça a joué dans Olymel. […] Les groupes et les institutions qui se sont impliqués là-dedans, ce sont des institutions qui ont une responsabilité MRC.

En fait pour que les pratiques de développement des communautés aient plus de chance de s’enraciner à l’échelle des territoires vécus de quartiers ou de petites municipalités, il est préférable que cette action à petite échelle territoriale trouve une résonance dans les orientations des acteurs à l’échelle plus large de l’agglomération urbaine ou de MRC. Par exemple, dans le Val-Saint-François, le projet des cuisines collectives s’inscrit à Richmond, petite municipalité, dans un territoire vécu. Toutefois, l’intégration du territoire de MRC – lequel, outre la municipalité de Richmond, comprend deux autres pôles de rattachement : les villes de Valcourt et de Windsor – constitue un enjeu important pour l’essor des pratiques de développement des communautés. Les dynamiques de développement des communautés, selon les différentes échelles de territoire, ont à se renforcer mutuellement. En fait, c’est comme si l’action citoyenne « avait à être proche du monde », mais qu’en même temps, elle puisse contribuer au « développement de la communauté MRC ». Comme l’apporte une autre personne organisatrice communautaire du focus group cité plus haut, il y a un défi de permettre aux gens de « s’approprier autre chose que leurs limites de territoires ». Les dynamiques entre territoire vécu et territoire administratif ou politique doivent, idéalement, favoriser des processus mutuels d’appropriation : l’engagement dans le territoire vécu à petite échelle autorise ainsi la constitution d’un lieu pour investir le territoire politique plus large de MRC pour développer, là aussi, l’action, l’engagement et l’appartenance. Par ailleurs les orientations de programmes, de politiques ou d’organisation des services prises dans les différentes instances locales de MRC devraient favoriser l’engagement et l’appartenance à plus petite échelle territoriale.

Sur le plan intercalaire (entre différente échelle de territoire), les pratiques de développement des communautés ont, comme l’apporte notre informateur, à « développer une identité territoriale ». En fait, les pratiques de développement des communautés sont intimement liées au développement des identités territoriales, mais ce, selon plusieurs échelles de territoire. L’observation des processus de construction identitaire spécifiques traversant les pratiques de développement des communautés que nous avons étudiées nous amène par ailleurs à recourir à différents auteurs pour tenter de formuler une définition de la territorialité en adéquation avec celle du développement des communautés.