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3. RESULTATS

3.4 Vignettes cliniques des patients évoqués par les médecins

3.5.1 Temporalité

3.5.1.1 Temporalité du patient

a) Temporalité du patient différente de celle du médecin

La représentation du temps du patient est à distinguer de celle du médecin.

M13 : « La représentation du temps que se fait le patient et le médecin (…) Et finalement, le mot ‘’avant’’ pour moi et pour eux ne signifie pas la même chose.»

Et quelques médecins rapportent une temporalité propre à chaque patient. M1 : « Un rapport au temps qui est particulier.»

M14 : « Peut-être qu’il va revenir dans un an mais voilà ! »

b) Latence fréquente avant de venir consulter le médecin

Un médecin rapporte le retard systématique d’un patient à consulter un spécialiste de santé. M1 : « Un patient qui a attendu deux ans pour venir pour fissure anale (…) Il a fallu 6 mois pour qu’il aille voir un proctologue, encore 3 mois pour qu’il soit opéré. »

Plusieurs médecins considèrent que le patient a attendu longtemps avant de venir les voir, allant de quelques mois à quelques années.

M5 : « Mais elle avait mis plusieurs années avant de m’en parler. » M10 : « Il a attendu, attendu, attendu. »

Et ce délai avant de consulter peut avoir des conséquences cliniques graves sur le patient. M9 : « Et quand je lui ai demandé depuis combien de temps elle avait ça, ça faisait au moins six mois. Mais elle ne pouvait plus donner, il n’y avait plus de lait dans le sein droit depuis deux ans!»

Le degré d’urgence n’est pas le même selon le point de vue du médecin et du patient. M2 : « Il n’a pas téléphoné tout de suite. Il ne s’est pas précipité sur son téléphone. »

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c) Nécessité d’un délai d’acceptation du symptôme avant de consulter

Plusieurs médecins rapportent un temps de maturation entre le moment où le patient a un symptôme et celui où il décide de consulter pour celui-ci.

M6 : « Il faut que ça mûrisse dans la tête de la personne. »

M10 : « Ils ont toujours besoin de deux, trois semaines pour accepter et en fait, ça va mieux à la fin. »

Ce temps de maturation semble nécessaire pour pouvoir affronter les conséquences médicales éventuelles.

M8 : « Je pense qu’il avait l’impression que s’il acceptait tout de suite, ça faisait trop à gérer pour lui, qu’il avait besoin de digérer l’information et d’accepter le traitement plutôt que d’avoir le traitement sur le champ. »

Il existe même pour un médecin la notion de « charger les batteries » avant d’affronter le monde médical et toutes ses complications, en décrivant cette période avec le lexique du combat :

« Ils ne viennent pas nous voir mais c’est peut-être qu’ils ont besoin d’accepter de tomber dans le milieu médical avec tout ce qu’il y a de traumatisant. (…) Faire des réserves peut-être. Je vois un côté : ‘’bon, j’ai enfin eu le courage de venir vous voir et d’affronter la vérité’’ et je pense qu’ils ont besoin de rassembler leurs forces avant de venir. »

3.5.1.2 Temporalité du médecin

a) Temporalité du médecin différente de celle du patient

Comme décrit ci-dessus, le temps du médecin n’est pas le même que le temps du patient : M13 : « Donc parfois, je pense que la notion que l’on accorde nous au temps, pour surveiller un paramètre biologique, paraclinique ou une maladie, ne fait pas écho de la même manière chez le patient. »

Certains médecins rapportent le délai de consultation comme un véritable retard d’un point de vue médical.

M10 : «Et ça traine depuis trois semaines environ, moi je trouve ça un peu tardif ! Trois semaines de toux, dyspnée, douleur, moi, je trouve ça un peu … »

47 M10 : « Mais je voudrais être sûr que je ne me trompe pas sur la durée… J’ai l’impression dans mes souvenirs qu’il avait consulté tard. »

M2 : «J’ai des fois l’impression qu’elle a retardé le diagnostic, mais c’est la position du médecin. Le patient finalement, c’est lui qui appelle ! »

b) Adaptation du temps du médecin dans sa pratique quotidienne

La plupart des médecins adapte son temps en fonction du degré d’urgence de la situation du patient, et selon les disponibilités des spécialistes.

M4 : « J’ai pris mon téléphone, et le lendemain matin, elle était hospitalisée pour une mise sous insuline. »

M13 : « Et même moi, dans ma manière d’organiser la prise en charge du patient, j’intègre le paramètre ‘’délai de rendez-vous chez le spécialiste pour la ville’’. »

Certains médecins n’hésitent pas à prendre plus de temps si la situation le nécessite.

M10 : « Il m’a pris beaucoup de temps, ce n’est pas un débat mais c’est juste, on est là pour ça. »

Ils s’adaptent aussi en fonction de la temporalité propre à chaque patient.

M9 : « Je me suis dit, tiens, je vais la laisser mûrir un petit peu tout ça, et je m’étais donné un mois. »

Un médecin utilise souvent cette temporalité à son profit pour la demande d’examens complémentaires.

M13 : « Vous allez refaire votre échographie dans un mois, dans deux mois, dans trois mois. Moi, si je sais que les délais sont longs, par exemple je vais dire ‘’essayez de l’avoir dans quinze jours’’, parce que je suis presque sûre qu’il va l’avoir dans un mois. Je pense que notre rapport au temps, il y fait ! »

c) Temps précieux et toujours trop court pour le médecin

Un médecin rapporte le manque de temps permanent en médecine générale.

M2 : « On retombe sur l’éternel problème de la consultation de médecine générale ’’je n’ai pas le temps !’’ »

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3.5.1.3 Temporalité de la maladie

a) Evolution lente et insidieuse de certaines maladies

Certains médecins remarquent que le délai de consultation peut être différent si la maladie est insidieuse, chronique et peu symptomatique.

M2 : « Forcément, comme toutes ces anémies qui arrivent d’une manière chronique, donc vachement bien supportées ! »

b) Evolution plus rapide d’autres maladies

Les conséquences pour le patient ne sont pas les mêmes si la maladie est susceptible d’évoluer plus rapidement.

M3 : « Une tumeur du sein, des fois, ça va vite. »

M2 : « Ça peut progresser très vite, c’est un abcès, donc ça va très vite, en quoi, en 24 heures de temps ! »

Et ces notions autour d’une maladie ne sont pas toujours connues des patients, ni même prévenues par certains médecins.

M2 : « Le patient n’a pas forcément cette conscience que ça peut s’aggraver très vite. » M2 : « Je l’ai envoyé fissa chez le médecin là-bas qui a dit « Non, c’est rien, c’est l’altitude » et dans la nuit, il y a le SAMU (Sourire). »

c) Le temps peut influer sur la maladie

Un médecin se questionne sur cette temporalité.

M13 : « Et est-ce que le temps a fait un effet sur la maladie, avant, pendant la consultation ou après ? »

Et cette influence de la temporalité est difficile à prédire, que ce soit une influence négative ou positive.

M7 : «Si on l’avait soigné six mois avant, ça n’aurait pas changé grand-chose, enfin peut-être que si, mais voilà ! »

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3.5.1.4 Temporalité sociale

La temporalité sociale regroupe tous les évènements intercurrents d’une vie, allant du plan politique, économique jusqu’au plan culturel.

a) La relation médecin – patient

Il n’y a pas de « règle » sur l’ancienneté de la relation entre le médecin et le patient qui a tardé à consulter. Ce lien peut être créé de longue date et rythmé par des consultations régulières, chez plusieurs médecins interrogés.

M2 : « Ces deux patients sont des patients très anciens dont je dois être le médecin traitant depuis au moins une vingtaine d’années. »

M9 : « C’est un monsieur que je vois par contre très régulièrement depuis une dizaine d’années. »

Tandis que d’autres liens sont inexistants avec des patients encore non connus du médecin. M4 : « C’était la première fois que je la voyais. »

M5 : « Je l’ai vue deux fois, il y a 4 ans et il y a 2 ans. »

b) Priorités autres que la consultation médicale

La notion d’altruisme ressort dans certains propos avec des patients qui font passer leur famille ou leur travail avant eux-mêmes.

Les obligations sociales participent à la temporalité sociale. Il existe une interaction entre les besoins du patient et ce qu’il considère être une priorité (familiale, amicale…). La situation du patient devient secondaire au bénéfice d’un autre engagement vis-à-vis d’un tiers. Cette exigence sociale engage le patient à négliger son état au nom de cette obligation. Le temps social, celui du tiers, s’impose alors.

M10 : « C’était toujours pour ses enfants, elle a quatre enfants. »

M9 : « Très, très, inquiète pour son fils, et pour elle, négligence complète ! »

M1 : « Ils ont un positionnement vis-à-vis de leur santé comme ils ont vis-à-vis de leur vie, qu’ils passent après tout le monde, mais que ce soit pour les loisirs, pareil, enfin voilà, et pour leur santé. (…) Même dans leur vie, ils passent après. »

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c) Evènements intercurrents empêchant la consultation médicale

La majorité des médecins avance souvent l’argument d’évènements de vie personnels ou sociaux interférant avec la possibilité d’aller consulter. Ces évènements peuvent être de nature commune à une population.

M1 : « Ils ont laissé passer les fêtes avant de m’appeler. »

M6 : « Ils ont toujours repoussé la consultation parce qu’il y avait d’autres priorités, soit disant. »

Ou être plus individuels et personnels comme des soucis familiaux ou même des loisirs. Tous ces évènements intercurrents peuvent faire que le patient va trier ses actions en fonction de ce qu’il considère comme être la priorité ou non.

M13 : « Souvent, ce n’est pas que lié à l’amplitude horaire de l’accueil ou de la disponibilité. C’est souvent soit un problème administratif, soit un problème de violence, soit un décès, soit un évènement majeur dans la famille. »

M2 : « Il y a toujours des circonstances externes qui font que : s’il n’avait pas eu le départ (en voyage), il aurait consulté ! »

Le travail joue aussi un rôle important, car plusieurs patients ne consultent pas pour ne pas avoir à s’arrêter de travailler.

M10 : « C’est vrai que sur le moment, en gros, ils te disent ça, c’est dans les excuses entre guillemets du retard diagnostic, c’était ‘’je ne veux pas m’arrêter, je ne me suis jamais arrêté’’, ‘’ce n’est pas dans ma philosophie !’’ (…) C’est le mec qui bosse beaucoup et qui n’a pas envie de s’arrêter de bosser. »

M12 : « Le patient du dimanche est un patient qui met sa santé de côté parce qu’il travaille beaucoup, le parisien moyen ‘’métro, boulot, dodo’’ mais c’est le dimanche qu’il va se rappeler qu’il a un genou douloureux, ou que quand il a pris les escalators la dernière fois, on l’avait bousculé, et depuis il a une douleur de hanche par exemple. » M11 : « Certains qui sont pas mal pris par leur travail. A Paris, on a peut-être pas mal de gens comme ça qui trainent parce qu’ils ont leur boulot. »

d) Délai important de consultation par manque de moyen médicaux

La majorité des informateurs évoque un manque de moyens sur le territoire d’Ile-de-France, tant sur le plan humain que matériel avec une pénurie de médecins généralistes, notamment à

51 cause de départs en retraite non remplacés. Ce déficit peut entrainer des difficultés d’accès à un professionnel de santé.

M1 : « C’est je pense, sauf urgence, absolument impossible d’avoir un rendez-vous dans les deux jours avec son médecin traitant. »

M12 : « L’autre frein pourrait être l’attente d’avant d’être vu par un médecin. » Ces difficultés concernent toutes les spécialités confondues.

M12 : « On l’a envoyé pour faire un test ou autre, et comme ça peut traîner pour avoir un rendez-vous, dans quatre, cinq, six mois, il peut revenir avec d’autres choses plus complexes. »

Nous notons que la temporalité du médecin est toujours différente de celle du patient. Tandis que les médecins décrivent un manque de temps permanent pour exercer leur métier, les patients ont besoin d’un temps pour mûrir et accepter un symptôme, voire une maladie.

Ces deux temporalités sont influencées par la temporalité de la maladie, plus ou moins rapide, et la temporalité sociale qui concerne tous les évènements intercurrents et les facteurs liés au système de soins (délai important de rendez-vous…).

Après avoir développé les résultats autour des différentes temporalités, nous allons nous intéresser cette fois-ci aux représentations des médecins concernant les retards à la consultation.

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