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3. RESULTATS

3.4 Vignettes cliniques des patients évoqués par les médecins

3.5.3 Ressenti des médecins face au retard

Les médecins que nous avons rencontrés évoquent volontiers leurs émotions et sentiments à l’égard de ces situations. Ici, la subjectivité est à l’œuvre, dans ce registre des émotions et des sentiments.

Si pour un bon nombre le ressenti est péjoratif, pour les patients ou pour eux-mêmes, il existe aussi des expressions plus positives. Ce qui domine les affects des médecins, c’est le sentiment d’inquiétude ou de peur pour leurs patients mais aussi de stress, de mal-être, voire d’angoisse pour eux. Si la colère peut les gagner, ils sont parfois saisis de tristesse. D’autres émotions émergent, en particulier le sentiment de stupéfaction et d’incompréhension ainsi que d’échec et de frustration.

Seules la bienveillance, la compréhension et l’empathie viennent balancer ces affects négatifs. Pour exprimer leur ressenti, ils s’appuient sur des anecdotes marquantes :

M2 : « Le diagnostic retardé que je me souviens, c’est forcément les histoires de chasse. Et c’est les trucs graves. »

M3 : « Je m’en rappelle donc ça me marque. »

3.5.3.1 Ressenti négatif

a) Peur et inquiétude pour le patient

77 M1 : « Elle m’a fait peur. Rétrospectivement, j’ai eu super peur pour elle. »

M7 : « Mais franchement, j’ai eu peur ! »

Certains sont même inquiets pour le devenir du patient. M7 : « Evidemment, je suis inquiète. »

M13 : « Ça serait quand même bien qu’on se dépêche ! Je lui dis : ‘’Je vous envoie quelque part’’, mais ça faisait vraiment cancer. »

b) Stress, mal-être, angoisse

Ces situations peuvent angoisser car elles sont anxiogènes pour les deux protagonistes.

M2 : « Je pense que c’est plutôt ça et c’est peut-être le médecin qui est plus en angoisse là. »

M10 : « Alors là, je te parle de cas qui m’ont marqués donc clairement, oui, ces deux cas m’ont angoissés. »

M3 : « Moi, je suis plutôt anxieux, donc voilà (Rires). »

La situation peut engendrer un état de stress chez certains médecins, ainsi qu’une gêne, un malaise car les symptômes ne sont pas pris à temps et le pronostic peut s’aggraver plus ou moins rapidement.

M13 : « Moi ; je me suis mise dans plusieurs états de stress, d’activation. » M7 : « J’étais bien embêtée. »

M11 : « Donc c’est toujours un peu délicat à prendre en charge. »

c) Tristesse, colère

Plusieurs médecins sont même malheureux quand les conséquences sont graves, voire révoltés car ils en veulent presque à leurs patients d’avoir tardé si longtemps à consulter.

M1 : « Ça m’a crevé le cœur. »

M3 : « J’étais malheureux pour elle quoi. »

M1 : « Ça a été terrible, ça me mettait dans un état de colère. »

d) Culpabilité, sentiment d’échec et d’impuissance

Certains retards à la consultation mettent la position du médecin en difficulté et peuvent faire ressortir de la culpabilité.

M1 : « Moi qui suis tellement culpabilisée quand je trouve qu’il y a un retard, que c’est moi qui suis toujours étonnée que les gens maintiennent la relation. »

78 M12 : « Et je me suis dit que si on l’avait pris en charge un peu plus tôt et qu’on avait pensé à une pneumopathie hypoxémiante…C’est vrai que je n’avais pas fait attention au tabagisme. »

M12 : « Peut-être que je n’étais pas assez clair dans mon discours ou que je ne me suis pas fait tout à fait comprendre parce que entre ce qu’on dit aux gens et ce que les gens retiennent, il y a un écart. »

Ainsi, découle souvent une remise en question de la façon d’exercer des médecins qui le prennent parfois comme un sentiment d’échec et de frustration :

M13 : « Je n’ai pas encore trouvé la solution d’approche, je n’ai pas trouvé. Je n’y arrive pas en fait. »

M1 : « J’ai jamais réussi à lui faire entendre qu’il fallait qu’elle appelle plus tôt. » M6 : « Ils ne sont pas capables de le dire aussi et on va échouer. »

Ces attitudes de la part des patients peuvent entraîner chez certains médecins un sentiment d’impuissance et de résignation comme être face à un mur :

M14 : « Il n’entend pas ce qu’on lui dit. »

M6 : « S’il n’a pas envie de se soigner, vous ne pouvez rien faire de toute façon. C’est aussi possible qu’il refuse finalement les soins. »

Cette impuissance peut aussi se ressentir dans les actes de prévention mis en œuvre par le médecin pour lutter contre ces retards :

M13 : « C’est là où mon travail est très difficile parce que je ne parviens pas encore à leur changer leurs représentations pour les faire venir chez moi plus souvent ou plus fréquemment. »

e) Stupéfaction, incompréhension

La majorité des médecins est souvent étonnée de la réaction de leurs patients, que ce soit sur le délai d’attente avant de consulter ou leur comportement, allant parfois jusqu’à l’incompréhension avec une projection sur soi-même.

M4 : « Donc (rires) je suis un peu resté comme deux ronds de flan quoi ! (…) Donc, là, j’avoue, je suis resté extrêmement perplexe. »

79 M9 : « Et moi, je suis étonnée qu’il ait tenu avec ses douleurs là pendant tout ce temps-là. » « Alors moi, je ne peux pas imaginer qu’elle ne se soit pas dit : ‘’c’est peut-être grave ce que j’ai au niveau du sein.’’ »

3.5.3.2 Ressenti positif

a) Bienveillance, compréhension

A contrario, beaucoup de médecins sont dans la bienveillance et comprennent quelquefois le retard de certains patients. Ils respectent leur décision, sans leur en vouloir.

M5 : « De toute façon, j’allais dans son sens. Je pense qu’effectivement, à cet âge-là, 90ans, une tumeur du sein qui ne pousse pas, même si c’est gros, même si ça saigne, ce n’est pas ça, elle n’allait pas mourir de ça. »

M13 : « Donc je comprends pourquoi ils ne viennent pas me voir. » M3 : « Je ne leur en veux pas du tout. »

M7 : « Il n’y avait ni rancœur ni quoique ce soit »

b) Empathie

Plusieurs médecins tentent de se mettre à la place de leurs patients, de comprendre leurs réactions pour mieux les accompagner.

M2 : « J’imagine que ça doit retentir sur le morale quand même, quelque part ! Moi, je n’ai pas mal tous les jours ! »

c) Soulagement lorsque le diagnostic n’est pas grave

Quelques médecins manifestent leur soulagement lorsque le retard à la consultation n’a finalement pas de graves conséquences pour le patient.

M2 : « Heureusement que ce n’était pas un infarct ! »

M10 : « Moi qui ai failli lui annoncer un diagnostic de début de cancer et bien, j’étais bien content que ce soit une pleurésie purulente ! »

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