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7.1 Guide d’entretien

1) Présentation :

Pouvez-vous vous présenter et décrire brièvement vos conditions d’exercice ? - âge, nombre d’années d’exercice en médecine générale

- milieu et mode d’exercice : secteur I ou II, zone urbaine/rurale, groupe/individuel

2) A propos des patients :

Comment définiriez-vous votre relation avec les patients en général ? Avez-vous eu un ou des patient(s) qui vous ont consulté tardivement ? Quelle relation entretenez-vous avec ce ou ces patient(s) ?

Pouvez-vous me raconter l’histoire de ce patient pendant la première consultation ? Comment a-t-il annoncé son symptôme ?

Quelle a été votre attitude envers lui ? Quel a été votre ressenti face à ce retard ?

A votre avis, quelles sont les raisons pour lesquelles ce patient a tardé à consulter ? Ou Comment interprétez-vous ce retard ?

3) Après la consultation tardive :

Quelles ont été les conséquences de ce retard ?

(Retentissement sur l’espérance de vie ? sur la qualité de vie ? sur la relation de confiance médecin – patient ?...)

Quel est l’état de la relation médecin-patient après cette consultation ? A-t-elle changé ?

4) Prévention

Selon vous, auriez-vous pu éviter ce retard à la consultation ?

Quels seraient les moyens de communication à mettre en place, afin d’éviter ce retard ? Y-a-t’il eu un changement dans vos pratiques après cette expérience ?

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7.2 Verbatim d’un entretien (entretien n°7)

- MC : Donc est-ce que tu peux te présenter et me dire depuis quand tu exerces ?

- P7 : Je suis âgée de 32 ans, je suis installée depuis avril 2016 dans le 13ème arrondissement, tout près de la station Olympiades. J’ai été remplaçante de 2013 jusqu’à 2016. J’ai décidé de m’installer une fois que j’avais fini par trouver quelqu’un avec qui je pouvais m’associer. Je suis en collaboration plus exactement. Je suis installée avec une jeune femme qui a le même âge que moi. On est deux à travailler officiellement et on tourne avec des remplaçants les jours où elle n’est pas là, et où moi, je ne suis pas là. Et j’ai une deuxième activité : je suis médecin de crèche une fois par semaine. Et je n’ai pas d’activité hospitalière, je n’ai pas de formation supplémentaire ni DU de gynéco ou quoique ce soit. Je suis en train de passer un DU de pédiatrie.

- MC : OK. Secteur 1 ? Secteur 2 ?

- P7 : Je suis en secteur 1. Et je fais des visites à domicile.

- MC : Du coup, notre projet, c’était de s’intéresser aux patients qui tardaient à consulter alors qu’ils pourraient avoir des symptômes plus ou moins alarmants. Aurais-tu un ou plusieurs patients en tête sur lesquels on pourrait discuter ?

- P7 : J’en ai deux qui sortent du lot réellement, mais avec le même profil. J’ai d’autres patients, pour des symptômes un peu moins graves, qui sont venus consulter un peu tard, ce qui a compliqué un peu la prise en charge.

- MC : Alors, on peut commencer par ces deux premiers patients ? L’histoire du symptôme par exemple ?

- P7 : D’accord. Alors, c’est un patient qui… En fait, anciennement, avant que ma collègue s’installe, il y avait un ancien médecin qui était parti à la retraite et qui a donc été remplacé par ma collègue. Elle suivait un monsieur turc, d’une quarantaine d’années, qui était porteur d’une hépatite B chronique, de mémoire, je dirais non traitée, plus ou moins suivie. Et qui avait, on va dire, un alcoolisme pathologique, mais pas un alcoolisme générant des complications de type agressivité etc…

Donc il est venu, je m’en rappelle très bien, en juillet 2016, voir d’abord ma collègue, pour un tableau de somnolence, teint bronzé et augmentation du périmètre abdominal. Et évidemment, à l’examen clinique, elle s’oriente assez rapidement vers une probable cirrhose. Elle lui demande de faire un certain nombre d’examens d’abord en ville, elle prend contact avec le service d’hépatologie de la Pitié-Salpêtrière, qui programme une consultation, un ou deux mois après.

Ma collègue part en vacances. Et le monsieur aussi, je crois. Et je reçois des résultats de biologie de ce patient qui était à Annecy, et donc, évidemment, je suis inquiète, avec un tableau de cirrhose décompensée, des critères de gravité, avec, je ne me rappelle plus du score de CHILD mais c’était vraiment catastrophique. J’appelle la femme de ce patient, je lui demande d’envoyer son mari faire une échographie abdominale en urgence avec un doppler du tronc porte, et le diagnostic tombe : tumeur, enfin, lésion suspecte du foie avec une thrombose de la veine porte.

Donc je fais ramener le patient en urgence début août et je fais hospitaliser en urgence en réa en hépato le patient, qui malheureusement va décéder 4 - 5 mois plus tard parce que le carcinome hépatocellulaire était trop avancé. Donc voilà pour le patient qui lui, ne voulait franchement pas se faire soigner. Je pense qu’il se savait, avant la première consultation du mois de juillet, je pense qu’il se savait malade. Je pense qu’il ne mesurait

peut-136 être pas la gravité de la situation mais un peu plus que ce que l’on pensait réellement. Et je pense qu’il avait un peu peur des solutions thérapeutiques et la preuve, c’est qu’il a quand même eu de la chimio etc et que ça n’a pas… Enfin, c’était trop tard…

- MC : Il n’y avait pas la barrière de la langue ?

- P7 : Non, il parlait bien le français. Il vivait depuis très longtemps en France. Peut-être, alors moi je le connaissais finalement assez peu mais j’avais peut-être l’impression, il n’avait pas fait de grandes études, mais quand même qu’il y avait une partie psychologique. Il n’avait pas vraiment envie, euh, c’était une hépatite B probablement de transmission materno-fœtale, parce que toute sa famille était porteuse. Sa maman était décédée d’une hépatite B donc je pense qu’il se savait porteur, c’était plus ou moins suivi donc il y a peut-être eu un peu de négligence de la part des médecins qui le suivaient, mais je pense aussi que c’était un monsieur qui n’avait pas trop envie qu’on l’embête et que du coup, il est venu consulté quand il n’a pas eu tellement le choix et quand sa femme lui a dit : « Non, là, ça suffit, ça ne va pas».

- MC : C’est ça, donc le motif de consultation a priori en juillet, c’était ?

- P7 : Exactement, en fait, je vous ai dit une bêtise. De mémoire, il est venu consulter ma collègue parce qu’il avait une prostatite en fait. Il avait des symptômes de prostatite. En fait, je vous ai dit pour une cirrhose, mais non ! En fait, il avait des symptômes de prostatite, et ma collègue, en le voyant jaune et ainsi de suite, les urines extrêmement concentrées, la décoloration des selles, la tendance à la somnolence, le flapping qu’il avait quand elle l’a vu pour la première fois. Elle lui a d’abord fait le bilan pour la prostatite et secondairement, le bilan hépatique. C’est pour ça que je pense aussi que ça a un peu trainé.

- MC : On ne sait pas s’il s’en est rendu compte ? Soit il a laissé trainer ?

- P7 : Oui, je pense que ma collègue et lui n’ont pas mesuré finalement à quel stade on en était déjà de sa maladie cirrhotique, et que la prostatite n’était qu’un motif parmi tant d’autres pour venir consulter le médecin. Mais là, c’était plus facile de venir consulter en disant : « j’ai une prostatite, et je n’ai rien d’autre ».

- MC : C’est plus facile à guérir…

- P7 : Oui et puis c’était concret. Je pense que c’était plus concret pour lui de dire « voilà, j’ai une infection urinaire, on va me donner des antibiotiques et ça va aller mieux ».

- MC : D’accord. On ne sait pas si par rapport à son histoire familiale, sa mère étant décédée d’une hépatite B ? - P7 : Oui, c’est possible qu’il y ait une partie psychologique qu’on ne connaît pas. C’est pour ça que je dis quand même : moi, j’ai un bémol sur le fait que je me demande s’il n’avait pas en fait beaucoup plus compris que ce qu’on nous laissait entendre. L’évolution de cette maladie, la gravité de la maladie etc. J’en ai beaucoup discuté avec lui après parce que je l’ai pas mal suivi pendant toute la période où il était en chimiothérapie et c’était un sujet qu’on avait abordé de la grande probabilité que malheureusement, il n’y aurait pas une fin heureuse à cette prise en charge. Et du coup, je voyais aussi sa femme en parallèle, qui est un peu spéciale, et qui a éprouvé beaucoup de colère envers son mari, par le fait qu’il est venu consulter trop tard, par le fait qu’il était responsable car il consommait de l’alcool et que pour elle, c’était essentiellement l’alcool qui était responsable de cette cirrhose alors que je pense que c’était bien plus partagé que ça Voilà, qui surtout lui en voulait de ne pas avoir fait les démarches pour se soigner avant, même si je pense que si on l’avait soigné 6 mois avant, ça n’aurait pas changé grand-chose, enfin peut-être que si, mais voilà ! Je pense surtout que c’était un monsieur qui aurait dû être pris en charge des années avant.

137 - P7 : Oui, clairement, je pense. Avec l’expérience personnelle de cette maladie.

- MC : Il n’avait pas d’autres soucis de santé a priori ? Qu’est-ce qu’on aurait pu faire pour le faire venir avant ? - P7 : Ba il y a eu aussi ce problème, alors là, c’était plus peut-être un problème de fonctionnement de cabinet, c’est-à-dire qu’il a été suivi par un médecin, du coup, qui était parti à la retraite, alors à quel rythme ? Je ne sais pas. Je ne sais pas comment il était surveillé à cette époque-là. Est-ce qu’on lui faisait faire une charge virale de l’hépatite B régulièrement ? Est-ce qu’il avait des écho abdo régulièrement ? Je n’en suis pas certaine. Ensuite, il y a eu cette rupture, puisque du coup, le médecin a changé donc est-ce que ça a été un frein ? Ce n’était pas le même âge. L’autre médecin était installé depuis 30 ans dans le cabinet. Est-ce que ça n’a pas été un frein pour relancer un suivi ? La confiance médecin-malade, on parlera du deuxième cas après, et typiquement on sent l’importance que ça a. Alors est-ce ça, ça n’a pas été un problème pour lui ? Je pense quand même que vraiment, devant tout ça, il y a cette expérience personnelle de la maladie. Je pense qu’il avait une connaissance quand même, une certaine forme de connaissance de l’évolution que ça pouvait avoir. Je pense que quand il est venu me voir, enfin quand je l’ai vu en urgence au mois d’août et que je l’ai envoyé d’emblée en réa, je pense quand même, enfin il avait l’air de faire croire qu’il ne comprenait pas, mais en fait je pense qu’il en comprenait un petit plus. Il était conscient de la gravité de sa pathologie, enfin, il était en partie conscient qu’il y avait un truc qui n’allait pas. Après de la gravité, je ne sais pas trop. C’était un peu un mystère, même après où j’ai continué à le suivre, je ne savais pas trop exactement ce qu’il comprenait. J’avais l’impression quand même qu’il savait qu’il était condamné quand même. Mais bon, je ne peux pas vraiment savoir mais j’avais l’impression quand même qu’il y avait des moments où il était lucide sur l’évolution.

- MC : D’accord. - P7 : Voilà.

- MC : Et ça a renforcé la relation ? Puisque c’est toi qui l’a suivi après, finalement, pendant le traitement ? - P7 : Oui. Je ne sais pas ce que ça lui a apporté. J’espère que je lui ai apporté un peu de réconfort parce que moi, j’avais pas mal de liens, j’étais en relation directe avec ses médecins. Quasiment dès le début, on savait que ce serait très compliqué qu’il s’en sorte donc on avait très vite abordé le sujet de la fin de vie, de ses désirs justement de retourner en Turquie etc.

En tout cas, il venait me voir. Après, est-ce que ça lui a apporté quelque chose ? Je ne sais pas, mais il venait me voir toutes les trois semaines environ.

- MC : D’accord. Et pas forcément ta collègue ?

- P7 : Non, il a arrêté de voir ma collègue. Mais je ne pense pas, il n’y avait pas de problème. Elle l’avait vu une fois au mois de juillet et comme j’ai repris la suite parce qu’elle était partie en vacances, ça s’est fait naturellement. Il n’y avait ni rancœur ni quoique ce soit.

- MC : Donc, lui, entre les antécédents familiaux, la mauvaise expérience qu’il a eu… Et sa femme lui en voulait après ?

- P7 : Oui, bon, alors sa femme, elle a un comportement un peu particulier. Elle est un peu ambivalente. Je la suis toujours du coup et elle exprime à la fois de la tristesse mais je ne suis pas certaine que cette tristesse était réelle. Je pense que ça faisait longtemps que sa relation avec son mari n’était plus ce qu’elle était. C’était un mariage, de mémoire, arrangé. Voilà et en fait, elle lui en voulait, parce que, comme elle dit : « il m’a laissé toute seule avec mes trois gamins ! ». Ce qui est un peu vrai. Et déjà, il était très éteint avant même de décéder. C’était un monsieur qui était quand même très discret, mais dans tous les sens du terme, c’est-à-dire qu’il était très discret

138 dans l’accompagnement à la maison aussi, c’est-à-dire qu’il intervenait assez peu sur l’éducation des enfants. Je pense qu’il intervenait assez pour tout ce qui est de l’entretien du domicile etc et je sentais bien qu’il y avait vraiment de la colère de sa femme vis-à-vis de lui, d’autant plus qu’il a fallu en plus qu’elle s’occupe de lui puisqu’il a quand même été très malade, et ça, ça a été très difficile, très très difficile.

- MC : D’accord. Et donc c’est toujours la peur ? L’angoisse de toutes les conséquences que ça peut avoir une fois qu’on a posé le diagnostic ?

- P7 : Tout à fait. En plus, elle avait aussi une autre obsession, c’était d’être potentiellement contaminée par l’hépatite B, évidemment. Donc à un moment, elle voulait qu’on fasse quasiment tous les trois mois, que je prescrive une sérologie alors qu’elle était vaccinée.

- MC : C’était un peu anxiogène pour elle ?

- P7 : Oui, et puis toujours à rejeter la faute sur son mari : « il le savait, il ne s’est pas fait suivre, il nous a fait prendre des risques ».

- MC : Et alors, le deuxième patient ?

- P7 : Alors le deuxième patient, c’est un peu le même tableau sauf que lui, il a anticipé. C’est un monsieur qui en fait, est le cousin de ma collègue. C’est un monsieur d’une cinquantaine d’années aussi, qui lui s’est présenté à ma consultation. En fait, qui a demandé un rendez-vous en urgence par l’intermédiaire de ma collègue avec moi du coup, parce qu’elle ne voulait pas le recevoir, ce qui était normal. Et donc, je le vois un lundi ou un mardi après-midi, jaune comme un citron, enfin plutôt blanc comme un linge mais avec un teint vraiment tirant sur le jaune, voire le vert, et un énorme ventre donc évidemment le diagnostic n’a pas été compliqué à poser. Avec un terrain, alors vraiment de consommation excessive d’alcool depuis de nombreuses années, donc strictement alcoolique, sur un terrain psychologique extrêmement lourd je pense, plus que ce qu’il veut bien me dire. Et en fait, ça faisait plus d’un an qu’il était dans cette situation-là avec des critères de cirrhose décompensée, avec une augmentation du périmètre abdominal, des œdèmes des membres inférieurs, des œdèmes dans les bases pulmonaires, une tachycardie, un pic fébrile tous les soirs, enfin vraiment tous les critères de la cirrhose décompensée. Et le délai de la prise en charge ?

Probablement la peur du diagnostic aussi. Alors, lui, vraiment, niveau socio-économique plus élevé, quelqu’un de plutôt très intelligent, qui savait très bien son diagnostic.

- MC : Ah bon ?

- P7 : Oui, lui, il savait ce qu’il avait.

- MC : Parce qu’il n’a pas forcément de connaissances médicales ?

- P7 : Oui, mais alors, lui, c’est un petit biaisé parce qu’il a sa cousine qui est médecin. Si, si, même s’il n’avait pas forcément le mot exact, il connaissait son diagnostic, il savait la cause et c’est vrai que les explications au fait qu’il ne soit pas venu, je pense que c’est vraiment la peur que ça va générer derrière, ce que ça a généré derrière d’ailleurs. C’est-à-dire des consultations avec moi quasiment toutes les semaines, la tentative de sevrage, la prise en charge de la pathologie en tant que telle, la prise de médicaments. Voilà. Donc pour lui, ça a surtout été, je pense, ça. Mais maintenant, c’est très intéressant parce qu’il adhère, là, c’est le revers de situation : on a stabilisé sa cirrhose et il adhère vachement à tout, à la prise en charge. La seule chose qu’on n’arrive pas à faire pour l’instant, c’est à le sevrer, mais c’est parce que malheureusement, comme tous les patients alcooliques, la

139 consommation d’alcool n’est pas seulement un plaisir, elle est surtout un bon antidépresseur donc c’est cette prise en charge là qui est un peu difficile, mais bon, on est sur le coup !

- MC : Donc c’est-à-dire que maintenant, il adhère au traitement ?

- P7 : Ah complètement, c’est-à-dire que c’est le revers de la situation ! Je pense qu’il est arrivé en se disant : « ça y est, maintenant je suis devant le médecin. OK, j’ai trainé, mais maintenant, je ne déconne plus ».

- MC : Donc il y a eu un déclic quand il est venu à la consultation ?

- P7 : Ah oui, vraiment. Je pense qu’il y a eu un déclic quand sa famille lui a dit : « là, maintenant, il faut que tu ailles consulter un médecin parce que vraiment, ça ne va pas ! »

Je pense que c’est la famille qui a été le déclencheur mais plutôt la famille accompagnante quand même, d’une certaine manière. Bien qu’il y a quand même sur son état dépressif, une base familiale lourde mais on va dire que sa tante, donc la mère de ma collègue, a été plutôt une aidante et une accompagnante.

- MC : D’accord. Et il arrivait à avoir sa vie active ? - P7 : Il travaille oui ! Il est actif, il bosse.

- MC : Donc en fait, ça ne le gênait peut-être pas dans sa vie quotidienne ?

- P7 : C’est une question que je lui ai souvent posée, c’est de lui demander comment les gens le voyaient parce qu’il avait quand même un teint, alors évidemment quand on est en hiver et qu’on ne voit que la tête, bon, il avait

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