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Recherche du lien entre le design du système de contrôle de gestion et la trajectoire du dirigeant

SECTION 1 TECHNIQUES MISES EN ŒUVRE POUR LES TRAVAUX EMPIRIQUE DE CETTE RECHERCHE

Cette section 1 présente la technique d’interview retenue, qui est celle des entretiens semi-directifs (1 . 1). Cette méthode est rendue possible parce que le terrain ne constitue pas, pour nous, une découverte. Car, si l’idée de cette recherche est issue de l’expérience professionnelle, c’est aussi cette même expérience qui permet de mettre en œuvre la recherche empirique, il s’agit en quelque sorte d’un opportunisme méthodologique.

De retour de ces entretiens, il les informations collectées sont traitées, afin de les transformer en données (1 . 2) : un codage des retranscriptions des discours et une catégorisation grâce à la grille d’analyse construite en partie 1.

1 . 1 Une exploration suivie d’une production de sens, les entretiens

semi-directifs

Le but est d’obtenir des informations sur des représentations ou sur des faits antérieurs ayant été assimilés et subjectivés par le dirigeant, avant d’être restitués lors de l’entretien. L’entretien doit pouvoir répondre au besoin « d’élucidation, d’explication et d’objectivation » (Blanchet et Gotman, 2005). L’objectif des entretiens est d’apporter des réponses aux questions figurant dans la grille d’entretien. Cet objectif requiert donc l’étude des discours, en tant que discours modaux pour tenter de traduire l’état psychologique du locuteur, et en tant que discours référentiels pour décrire l’état des choses (Blanchet et Gotman, 2005).

1 . 1 . 1 Préconisations relevées dans la littérature et mise en œuvre lors des entretiens, incidence sur les résultats

L’entretien semi-directif laisse une grande part à l’écoute du locuteur. « L’activité d’écoute (…) est productrice de signification » (Blanchet et Gotman, 2005). Préalablement à l’entretien, il convient d’expliquer au dirigeant la thématique intéressant l’enquête, ainsi que la logique à suivre, c'est-à-dire la communication de ses expériences et de ses représentations. L’écoute du discours du dirigeant permet de détecter ses représentations. Il dispose d’un ensemble d’arguments - ou de fausses excuses - pour justifier ses choix. Par exemple : « ... notre métier est spécifique et il n’est pas possible de …, c’est trop aléatoire... », ou bien encore : « ... nous avons déjà essayé de …, mais les salariés n’ont pas adhéré à cette façon de faire et j’ai dû abandonner... ». De tels arguments peuvent n’être en fait que des arguties, qui doivent interpeller le chercheur. En ce sens, Nuttin (1980) propose la méthode MIM (Méthode d’Induction Motivationnelle) consistant à relever dans un discours des verbatim pour déterminer les orientations privilégiées (« je m’efforce de … », « je serais heureux si… », « je fais mon possible pour… ») et celles rejetées par l’acteur (« j’essaie d’éviter… », « ce qui me déplairait le plus… »).

Afin que le discours du dirigeant soit le plus complet et personnel possible, il n’est pas prévu beaucoup de questions directes, ou actes ‘initiatifs’. Cependant, des relances l’incitent à définir plus amplement sa pensée, en favorisant une ‘rétroaction’ sur son propre discours. Ces relances constituent donc des actes réactifs.

1 . 1 . 2 Les biais difficilement contournables, induits principalement par le locuteur Différents biais risquent d’être introduits par l’interview. En effet, le principal postulat des études de cas est que l’interviewé consent à répondre en toute franchise, et qu’il accepte de livrer les déterminants de son comportement. Or, on est en droit de se demander si la cognition du répondant est captée entièrement par le mode déclaratif des entretiens, et si les entretiens permettent de saisir tous les déterminants d’un comportement. Plusieurs biais sont à prendre en considération.

Le chercheur est confronté à l’explicitation d’un savoir tacite, non codifiable, donc très difficile à verbaliser, faisant référence au modèle de conversion des connaissances de Nonaka et Takeuchi.

Des mécanismes de défense peuvent apparaître. Le dirigeant répondant peut pratiquer une autocensure de ses réponses, dans l’objectif de préserver l’intégrité de son statut vis-à-vis du chercheur.

Un biais de prestige n’est pas à exclure. En effet, il se peut que le répondant cache une partie d’une vérité peu flatteuse, ou qu’il mette en avant des éléments valorisants pour lui, possédant un fort contenu symbolique et conduisant à l’ ‘effet de héros’. Si le répondant cherche à produire un certain effet sur l’interviewer (Cossette et Audet, 1992, cités par Reynaud, 2001) il introduit un biais de prestige ; cet effet peut aller jusqu’au ‘bluff ‘. Cela peut être justement le cas pour cette recherche empirique, puisque ce fait constitue un des comportements potentiels des dirigeants. Cette étude risque donc d’être entravée en raison de la dimension même de ce qu’elle cherche à analyser.

Un problème de rationalisation a posteriori est aussi à distinguer : le dirigeant cherche à justifier ses actions et à les mettre en cohérence avec ses valeurs. Il s’agit pour lui d’éviter la dissonance cognitive qui génère un inconfort psychologique. Plus un acteur est personnellement et individuellement responsable de décisions, plus il recherche l’autojustification.

Le répondant tente de mettre ses réponses en cohérence avec les capacités qu’il présuppose à l’interviewer, afin d’être compris, d’où une altération possible de sa sincérité, s’il cherche à faire accepter ses réponses par le chercheur.

Les entretiens, même semi-directifs, ne permettent pas d’appréhender la dimension affective dans sa totalité. Or, dans cette recherche des motivations profondes, l’affectif joue un rôle clé. De plus, on peut considérer que cette dimension affective est toujours présente dès lors que des comportements d’acteurs sont en jeu, elle est aussi souvent en liaison avec l’imagination de l’acteur étudié.

La crainte de manque de confidentialité peut constituer une contrainte à la divulgation des déterminants de son comportement. Cette notion de confidentialité peut aller jusqu’à motiver le silence sur la dimension stratégique de son comportement.

Ainsi, la sincérité des réponses peut ne pas être maximale, et des éléments relevant de l’inconscient risquent de ne pas être révélés par une méthode directe de recueil de données.

Tableau 26 récapitulatif des principaux biais induits par une méthode directe de recueil de données, et des parades

Raisons Biais Parades

Légitimation du statut du dirigeant, Opportunité de mise en avant, Orgueil, fierté, besoin de supériorité,

Biais de prestige Observation du langage non verbal,

Bonne connaissance préalable des données financières,

Sensation d’agression dans la vie privée, Stratégie personnelle et confidentielle, Utilisation des droits de propriété,

Impact des motivations dues à

l’enfance/adolescence, aux expériences professionnelles antérieures,

Mécanismes de défense

Empathie du chercheur, Assurance d’anonymat, Mise en avant de la notion de recherche scientifique,

Besoin d’autojustification,

Escalade de l’engagement, théorie de la cohérence, théorie de l’illusion du joueur,

Rationalisation a

posteriori

Utilisation d’un guide d’entretien ‘souple’,

Consultation des documents de CDG Interview des salariés et du comptable, Pudeur, difficulté de la révélation

d’instincts de convoitise, de sentiments d’ambition, de désir,

Image du dirigeant.

Dimension affective omise

Empathie du chercheur,

Mise en confiance par la connaissance du secteur d’activité (machines, matériaux…)

Afin d’éviter au maximum ces biais, il est possible de prévoir des paradesà mettre en œuvre.

L’entretien est mené à l’aide d’un guide « souple de questions non formulées d’avance », que Chiland (1983) qualifie d’ « entretien à réponses libres ». Néanmoins, le contenu et l’évolution des entretiens sont délimités à l’avance.

Une connaissance poussée de la situation de chaque entreprise, préalable à l’entretien, permet d’éviter les sujets douloureux, comme d’aider le dirigeant à mettre en avant les points forts de sa gestion.

La triangulation pratiquée, d’une part, au niveau de l’interview des salariés, du comptable ainsi que de l’entourage et, d’autre part, au niveau des documents observés et des constatations effectuées en atelier, permet de confirmer ou de mettre en doute les dires du dirigeant. Bien sûr, cette pratique de la triangulation ne permet pas d’infirmer des éléments du discours du dirigeant.

Le fait d’assurer de l’anonymat, concernant les enregistrements des entretiens comme l’observation des documents, sécurise le dirigeant. L’empathie, en générant un climat de confiance, est la principale parade aux biais exposés ci-dessus, afin de faciliter la communication. Outre le contenu du discours, le langage non verbal et la perception aident à découvrir les valeurs du répondant, et à les hiérarchiser.

Enfin, concernant les aspects plus subjectifs des informations à recueillir, nous avons fortement misé sur la mise en confiance générée par notre connaissance de cette branche d’activité. Le fait de pouvoir discuter ‘sur un pied d’égalité’, des machines et de leurs fabricants, des matériaux et de leurs fournisseurs, des quincailleries et de leurs représentants sur le secteur géographique, surprend mais interpelle très favorablement les dirigeants. Qui plus est, le fait de discuter ‘technique’ avec une femme les amuse, généralement, et suffit à

remplir leur besoin de mise en avant. Autrement dit, ils se sentent compris, mais supérieurs dans ce domaine ; car il est sans intérêt de se sentir supérieur à un interlocuteur ingénu.

Ainsi, concernant certains domaines, principalement d’ordre professionnel, les parades aux biais de la méthode sont envisageables, possibles, voire efficaces. Cependant, dans les domaines d’ordre plus personnel, un certain niveau d’incertitude reste à gérer.

1 . 2 Méthodologie de traitement des données, technique classique et