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Reconnu et servant de référence dans la littérature, Dupont a proposé dans [Dup97] une classifica- tion sur les principales causes aboutissant à une erreur de maintenance. Au nombre de 12 (dirty dozen21), ces erreurs sont directement à relier à la topologie de l’erreur proposée par Reason :

– Le manque de communication : cela relate simplement l’échec dans le processus de partage des informations, orales ou écrites. Dupont préconise une communication verbale directe entre les interlocuteurs, avec quelques précautions toutefois, car lors d’un échange oral, un pourcentage faible d’information est retenu, généralement le début et la fin de celui-ci. En conséquence, il est important de terminer un discours par l’énonciation des points-clés. En termes de communica- tion, il ne faut donc jamais rien présumer ou supposer.

– La complaisance : définie comme l’autosatisfaction. Celle-ci s’accompagne généralement d’une perte de conscience du danger. C’est la répétition dans la tâche qui amène l’opérateur à voir ce qu’il s’attend à voir, pouvant ainsi manquer d’importants signaux. Ce biais de fréquence est résumé par l’adage : « j’ai regardé 1000 fois et je n’ai jamais trouvé quelque chose qui n’allait pas ! ».

– Le manque de connaissances : le changement technologique grandissant contribue largement à l’erreur. Les formations toujours plus courtes et la capacité de l’Homme à ne retenir qu’un faible pourcentage de ce qu’il apprend (au profit des connaissances souvent utilisées) sont autant de facteurs qui entraînent une erreur de jugement. Dupont préconise d’employer des opérateurs qualifiés ou faire en sorte qu’ils le deviennent. Si le manque de connaissances se fait sentir, il ne faut surtout rien supposer et demander de l’aide à une personne en ayant les capacités.

– Les distractions : liées à tout ce qui peut distraire l’esprit d’une tâche mentale ou/et manuelle, même un instant. D’après les psychologues, la distraction serait la cause numéro un entraînant l’oubli. Nous pensons plus vite que ce que nos mains exécutent, laissant croire que la tâche est plus avancée que ce qu’elle est réellement. La moindre distraction ferait donc reprendre la tâche à une mauvaise étape. Cela serait la cause d’environ 15 % des erreurs de maintenance. Il est donc préconisé de finir sa tâche avant tout, ou de noter l’étape à laquelle elle doit être reprise. – Le manque de travail en équipe : plus une équipe s’agrandit, plus ce facteur prédomine. À relier

directement au manque de communication, les objectifs doivent être clairs et tous les membres doivent être impliqués dans le processus de décision.

– La fatigue : l’humain n’a généralement pas conscience de son état de fatigue jusqu’à ce qu’il devienne extrême. Le jugement est alors altéré, contribuant grandement à l’erreur. Il est préconisé de sensibiliser les opérateurs aux symptômes caractérisant cet état, afin de pouvoir le déceler soi-même ou chez les différents membres de l’équipe. Si tel est le cas, il est alors nécessaire de demander à faire contrôler son travail par un tiers.

21. Dupont ayant certainement voulu faire un clin d’oeil au film américain du même nom réalisé par Robert Aldrich en 1967.

– Le manque de ressources : ce manque peut interférer sur la capacité d’accomplir une tâche. Il peut être de l’ordre du défaut d’approvisionnement, du manque d’assistance technique ou encore de biens de qualité médiocre. Dans tous les cas, il est préconisé de commander et de stocker les biens attendus avant que le besoin ne s’en fasse sentir, ou de prévoir des solutions de mise en commun ou de prêts.

– La pression : la pression est définie comme l’attitude mentale consistant à fixer son mental sur un but à atteindre. Cette attitude, contrairement aux apparences, n’est pas le résultat de cir- constances extérieures, mais la capacité qu’a l’être humain de se projeter vers un futur inexistant et de le vivre comme s’il était réel. Il est donc important que l’opérateur puisse désamorcer ce processus en communiquant ses inquiétudes, doutes ou incertitudes, et surtout de savoir dire non.

– Le manque d’assurance : juste milieu entre la passivité et l’agressivité22, l’opérateur doit être

autoritaire et intransigeant vis-à-vis du respect des normes, des réglementations ou des principes face à des situations où il serait contraint à la précipitation.

– Le stress : « la réponse de stress est le résultat d’un déséquilibre entre la perception individuelle des exigences de la situation et celle des ressources de l’individu pour faire face à ces demandes » [LF84]. Le stress affecte l’activité humaine et s’avère important en situation dégradée. Les erreurs commises ont alors souvent pour origine différents biais comme celui de confirmation (justifier une analyse immédiate en sélectionnant les informations qui la confirment).

– Le manque de conscience : défini comme « un échec à reconnaître toutes les conséquences d’une action, ou un manque de prévoyance ». Cela traduit en général un défaut d’observation qui amène un conflit dans une situation donnée. D’après l’étude de Dupont, ce problème se produirait le plus souvent chez les opérateurs expérimentés ne se posant plus les questions ayant trait aux conséquences (« que se passerait-il si... ? »).

– Les normes : Les normes sont les règles non écrites ou tolérées qui existent au sein d’un groupe. Le besoin d’appartenance [Mas54] est un besoin primaire de l’individu qui le pousse de façon générale à respecter ces comportements dictés par la majorité. Bien que ces normes puissent être bonnes ou mauvaises, Dupont préconise de toujours travailler selon les instructions officielles.

5 L’AIDE AU TRAVAIL

Nous avons vu précédemment que le mode de réflexion humaine est enclin à commettre des er- reurs. Certaines études ont été consacrées à établir les facteurs et les causes les plus probables compromettant une tâche de maintenance. Pour pallier cela, l’humain a recours à tout procédé lui permettant de s’acquitter de son objectif, autrement dit à une aide. L’aide vise donc à améliorer l’efficacité d’un opérateur pour effectuer son travail de manière qualitative.

22. En psychologie, l’agressivité est « la tendance ou un ensemble de tendances qui s’actualisent dans des conditions réelles ou fantasmatiques, celle-ci visant à nuire à autrui, à le détruire, le contraindre ou à l’humilier ». Extrait du dictionnaire de la langue française du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (www.cnrtl.fr).

5.1 Pourquoi recourir à une aide ?

5.1.1 Objectifs et définition

Dans l’industrie moderne, l’opérateur en maintenance est confronté à une complexification crois- sante des systèmes technologiques. Ces systèmes sont très souvent à la croisée de divers domaines tels que l’électronique, la mécanique et l’informatique. Il est alors improbable et difficile d’utiliser ou d’intervenir sur de tels systèmes sans aide. À ce titre, pour illustrer ce propos, nous citerons le concepteur du langage C++ Bjarne Stroustrup : « J’ai toujours rêvé d’un ordinateur qui soit aussi facile à utiliser qu’un téléphone. Mon rêve s’est réalisé, je ne sais plus comment utiliser mon téléphone ! ».

Au-delà de cette complexité, s’ajoute un renouvellement des gammes de produits proposés par les industriels, s’accompagnant le plus souvent d’une évolution technique/technologique. Pour un opérateur, la formation est alors le passage obligé pour acquérir de nouvelles connaissances de façon régulière. Cependant, les formations ont un coût non négligeable en termes de conception et de mise en oeuvre.

Nous verrons par la suite que même si elles permettent l’acquisition de nouvelles connaissances, cela se révèle insuffisant, l’ensemble des connaissances n’étant pas intégralement retenu. Ici, l’aide doit offrir la possibilité de fournir des moyens d’atteindre un objectif sans pour autant nécessiter une pratique professionnelle très longue. Elle ne se substitue pas pour autant à l’expertise. Selon [Gro98], aider un opérateur « c’est estimer qu’il risque de rencontrer des difficultés et que l’aide améliorera la réalisation de sa tâche, donc sa performance au travail. L’aide apparaît lorsque trois éléments sont réunis : une tâche, un opérateur chargé de réaliser la tâche et une aide (humaine ou technique) chargée d’assister l’opérateur dans sa tâche ». L’objectif des aides serait alors de décrire l’activité attendue en codifiant l’exécution du travail.

5.1.2 Les écarts

Il arrive malgré tout que l’effet escompté ne soit pas celui obtenu dans la réalité de la tâche. Ainsi, au lieu de promouvoir efficacité et performance pour l’opérateur, l’aide peut devenir une contrainte supplémentaire, augmentant par la même occasion la charge de travail initiale.

[Bra07] estime qu’une aide adéquate dépend principalement de trois facteurs : de la pertinence des fonctionnalités (adaptation de l’aide aux objectifs de la tâche), du niveau d’utilisabilité (compati- bilité de l’aide avec les caractéristiques physiques, cognitives et sociales de l’opérateur vis-à-vis de son travail) et des modes de régulation psychosociale (compromis entre les interactions humaines — aides techniques — organisation).

C’est la non-prise en compte de ces facteurs qui peut faire devenir l’aide « inutile, détournée, sabotée, inefficace et même complexifier le travail alors que l’objectif est de le simplifier », et plus particulièrement les aides peuvent [Bra07] :

– Fournir des procédures détaillées, mais qui ne permettent pas d’aider la planification de l’activité en cas d’erreur ou d’incident.

– Favoriser la constitution de représentations d’ensemble des objets traités ; mais ces schémas risquent également de masquer des informations qu’une activité cognitive doit reconstruire. – Améliorer les heuristiques des opérateurs novices et ainsi présenter des qualités pédagogiques,

mais s’avérer inefficaces pour des individus expérimentés.

– Réduire les temps d’apprentissage en faisant accomplir une partie du travail par le dispositif d’aide, tout en entraînant ainsi une déqualification de l’opérateur : il devient incapable de faire seul son travail.

– Diminuer la capacité des opérateurs à se rappeler rapidement les informations essentielles. – Détériorer les compétences liées au contrôle des actions des opérateurs, tout en permettant le

développement de nouvelles formes de compétences collectives.

– Restreindre les possibilités d’anticipation et de gestion des situations qui ne sont pas prévues dans les aides.

– Être d’une très mauvaise ergonomie, qui complexifie l’accès et l’usage de l’aide.

– Déplacer les responsabilités et créer un climat de surconfiance : l’opérateur risque de ne plus contrôler la complétude et la pertinence des informations et d’accepter en l’état les propositions ou les décisions de l’aide. Du coup, l’attribution des responsabilités devient un problème, surtout en cas d’incidents.

– Réduire les gratifications, car la réussite d’une opération est vue comme étant due à l’aide et non plus aux individus.

– Rendre difficile, voire impossible, de se constituer une vision globale du fonctionnement des installations, surtout si l’aide ne porte que sur une portion réduite du travail.

– Déqualifier l’opérateur, car il n’est plus utilisé que sur une petite partie du domaine de l’expertise, ce qui ne favorise pas un apprentissage global du métier.

– Ne pas améliorer la qualité et la durée de la prise de décision des utilisateurs ayant des attitudes de résistance à l’égard de l’aide ; ceci étant ces attitudes peuvent évoluer dans le temps. – S’accompagner de modifications de l’organisation du travail en remettant notamment en cause

la division du travail. Ces systèmes, comme beaucoup de nouvelles technologies, ne se contentent pas de se diffuser dans les entreprises, mais ils contribuent à leurs transformations.

Impossible alors de réduire l’aide à un simple glissement de connaissance de l’individu. Donc, fournir de l’aide, oui, mais pas n’importe comment !