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4.1.1 Le processus cognitif

L’erreur17 prend naissance dans la façon dont le système cognitif humain traite l’information

lors de la résolution de problèmes. Rasmussen dans [Ras86] propose à ce titre un modèle, dit de l’échelle double, illustrant la démarche générale de résolution de problèmes par un opérateur humain (Fig.22). Activation Observation Identification Interprétation Evaluation Définition de la tâche Choix de la procédure Exécution Comportement basé sur les habitudes

Comp ortemen

t basé sur les règles

Comportement basé sur les connaissances

Figure 22: Modèle de l’échelle double.

La taxonomie SRK issue de ce modèle définit trois niveaux de processus cognitifs :

– Skill Based (niveau de compétence, habileté) : ce niveau correspond aux actions effectuées de manière quasi automatique après un apprentissage pouvant être relativement long. Une fois intégré, l’appel à ses fonctions nécessite un minimum de ressources (mentales) pour être mis en oeuvre.

– Rule Based (Niveau des règles) : ce niveau correspond aux règles (procédures, algorithmes...) apprises par l’homme pour définir son action. Il nécessite un effort cognitif plus important dans la mesure où à partir de ses perceptions, l’Homme doit au préalable reconnaître une situation, sélectionner une règle appropriée puis entreprendre son action.

16. « L’erreur est humaine, persévérer (dans l’erreur) est diabolique ». Locution latine attribuée au philosophe Lucius Annaeus Seneca (-4 av. J.-C., 65 ap. J.-C.) qui fut le tuteur de l’empereur romain Nero.

17. L’étude de l’erreur appartient à un domaine à la croisée de nombreuses disciplines nous obligeant à un déve- loppement succinct de ces principales idées faisant référence.

– Knowledge Based (Niveau des connaissances déclaratives) : ce dernier niveau fait appel aux cas où aucune règle ou procédure connue ne permet de résoudre le problème donné. Ce niveau intervient lorsqu’une situation est inconnue. L’Homme doit alors trouver la solution par lui-même à partir de ses connaissances. Ce processus nécessite beaucoup plus de ressources cognitives que les précédents niveaux et peut prendre beaucoup de temps avant de permettre l’élaboration d’un plan d’action.

4.1.2 Topologie de l’erreur

C’est en se basant sur les études préalables de Rasmussen que James Reason, l’un des théoriciens de l’erreur, développa une topologie d’erreur généralement commise lors de l’utilisation d’un système par un opérateur [Rea93]. Tout d’abord, Reason introduit une distinction fondamentale entre deux catégories d’erreur, les erreurs actives et les erreurs latentes. Les erreurs actives ont un effet immédiat lorsqu’elles sont commises par leurs exécutants. Quant aux erreurs latentes, elles se développent « à partir des activités de ceux qui sont éloignés de l’interface de contrôle direct, à la fois dans le temps et dans l’espace : les concepteurs, les décideurs, les ouvriers qui construisent le système, les directeurs et personnels de maintenance ». Les erreurs latentes « peuvent rester longtemps en sommeil dans le système » avant de provoquer des conséquences néfastes. C’est souvent la combinaison de ces deux catégories d’erreurs qui est à l’origine des principaux accidents dans l’industrie. Cet enchaînement d’erreurs a d’ailleurs abouti au célèbre modèle de l’Emmental (Fig.23).

Erreurs actives

(flèche)

Erreurs latentes

(trous) (vices internes, faiblesses organisationnelles)

Danger

Accidents

Figure 23: Modèle de l’enchaînement d’erreurs de Reason, dit « modèle de l’Emmental ». Comme l’écrit Reason en guise de conclusion dans son ouvrage, « plutôt que de considérer les opé- rateurs comme les principaux instigateurs de l’accident, il faut comprendre qu’ils sont les héritiers des défauts du système, créé par une mauvaise conception, une mauvaise mise en place, un entretien défectueux et de mauvaises décisions de la direction ». Nous pouvons donc raisonnablement penser que l’on peut « casser » cet enchaînement en minimisant les erreurs actives, et ce, en agissant sur au moins l’une des strates du modèle de Reason.

Pour revenir à la topologie d’erreur de Reason (fondée sur les trois niveaux de fonctionnement cognitif de Rasmussen), elle est définie en trois types. On entend par type d’erreur les erreurs renvoyant à leur origine présumée.

Ces trois types sont :

– Les ratés/ les lapsus : basés sur les automatismes du sujet. L’action est mise en échec, soit par l’inattention, en omettant les vérifications d’usage, soit par l’attention excessive, en effectuant les vérifications à un moment inapproprié.

– Les fautes basées sur les règles : erreurs découlant d’une mauvaise application de mauvaises règles et erreurs dues à l’application de règles fausses18.

– Les fautes basées sur les connaissances déclaratives : apparaissant lors de situations nouvelles, elles sont le résultat d’une limitation des connaissances tournées vers un objectif dont la conscience du contexte est toujours incomplète.

4.1.3 Les formes d’erreur

Indépendamment du type de l’erreur, les formes d’erreur (c’est-à-dire les formes récurrentes de défaillance apparaissant quel que soit le type d’activité) sont conditionnées par les mécanismes de recherche cognitive regroupés en deux grands facteurs. Le premier est l’appariement par simila- rité, mécanismes prédominant lorsque les indices du contexte sont adéquats pour déterminer une connaissance unique, et que le niveau de connaissance de l’humain est important. On pourrait ré- sumer cela par l’adage : « à situation similaire, traitement similaire ! ». C’est a contrario lorsque les indices du contexte sont insuffisants, voire ambigus, et que le domaine de connaissance est limité qu’intervient le mécanisme d’appariement par fréquence. Cette illusion des séries, menant à penser que la situation va se répéter, induit d’agir comme si cela était le cas, ce qui conduit relativement souvent à l’erreur.

Cette explication des mécanismes de l’erreur est basée sur l’hypothèse que l’Homme possède deux modes de contrôle de l’activité et du traitement de l’erreur :

– Le mode de contrôle attentionnel : ce mode est caractérisé par un fonctionnement contrôlé, c’est- à-dire en tout état de conscience. Il est lié à la mémoire de travail qui a entre autres pour rôle d’établir des objectifs en sélectionnant les moyens nécessaires à leur accomplissement... Ce mode de contrôle demande lui-même un effort important.

– Le mode de contrôle schématique : caractérisé par des traitements inconscients automatiques. Il s’appuie sur la reconnaissance de régularité, de situations familières, et est donc peu efficace face à la nouveauté. Pour autant, il a l’avantage de ne demander quasiment aucun effort cognitif. Selon Reason, c’est donc les modes de contrôle qui entraînent les formes d’erreur. L’erreur humaine découlerait alors des mêmes sources mentales que celles de la perspicacité et en établirait « le revers de la médaille ». Les mécanismes précédemment décrits sont à l’origine de nombreuses erreurs commises dans le monde du travail, et nous allons plus particulièrement voir celles que l’on rencontre dans le domaine de la maintenance industrielle.

18. Les bonnes règles sont celles qui n’ont pas été mises en défaut dans une situation particulière. Elles ont donc de grandes chances d’aboutir à un succès dans le futur. Si elles sont mises en défaut, alors elles engendreront des règles spécifiques s’adaptant à l’éventail de situations particulières.