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8.2.1 La compétence

Si l’on se réfère à la définition de la compétence donnée par le CNRTL35, il s’agit de la « capacité

que possède une personne de porter un jugement de valeur dans un domaine dont elle a une connaissance approfondie ». Dès lors, l’humain en tant que ressource dans une situation inconnue serait à même de donner un avis éclairé en se fondant sur ses différents types de connaissances. La compétence s’appuie donc sur la connaissance, mais cela n’est pas suffisant. La compétence n’est pas seulement quelque chose que l’on sait faire, c’est-à-dire un simple « savoir-faire », mais un « savoir y faire ». Il faut donc être capable de se servir de ses connaissances avec pertinence lorsque la situation l’exige, tout en étant capable de juger le bien-fondé des règles à appliquer. [LB98] donne en ce sens deux définitions de la compétence :

1. Somme de savoirs, de savoir-faire, savoir-être.

2. L’individu est constructeur de ses compétences en combinant et mobilisant des ressources incorporées (connaissance, savoir-faire, expérience...) et des réseaux de ressources dans son environnement (professionnel, documentation, bases de données...).

Ici, la deuxième définition étend la première. Mais toujours d’après [LB98] , la compétence profes- sionnelle est un savoir agir validé dans un contexte particulier et en vue d’une finalité.

Ce savoir agir peut prendre toutefois différents aspects. En effet, il faut distinguer la compétence de reproduction et la compétence de production. La première est la capacité, dans l’accomplissement d’une tâche donnée, à reconnaître et à exécuter un agencement connu de savoirs et de savoir-faire. Quant à la compétence de production, le « solutionneur » doit découvrir l’ordre d’utilisation du savoir et savoir-faire pour accomplir sa tâche. Cette recherche dans l’ordre d’exécution suppose alors une maîtrise dans la capacité d’élaboration d’une solution, autrement dit d’heuristique.

34. Autrement appelé EVI. Un EVI est un environnement virtuel doté de modèles à base de connaissances dans lequel il est possible à la fois d’interagir et de permettre des comportements par interprétation de représentations dynamiques ou statiques [Tho09].

8.2.2 Une représentation de la compétence

[Jed94] a proposé quant à lui une représentation (Fig.41) d’un ensemble cohérent des compétences, en faisant l’analogie avec une structure atomique où :

– Les compétences sont positionnées comme des électrons de la couche externe d’un atome. – Les capacités sont positionnées comme les électrons des couches intermédiaires.

– Les connaissances constituent le noyau de l’atome.

Compétences

Mise en action dans une situation professionnelle aléatoire

Capacités Mise en action

dans une situation pédagogiquement contrôlée

Noyau des connaissances

de base

Figure 41: Représentation de la compétence sous forme « atomique » selon [Jed94]. Lorsque l’opérateur doit être formé sur une tâche, beaucoup de connaissances sont apprises (souvent des connaissances déclaratives) au prix d’efforts importants. Toutefois, l’intégralité des connais- sances n’est pas retenue, d’autant que le système est complexe. Seul un noyau de connaissances est donc acquis. La connaissance initiale va s’enrichir au fur et à mesure de l’expérience (ou de la pratique). À ce moment-là, l’opérateur va se forger ses propres schémas mentaux qu’il utilisera de manière privilégiée, lui permettant ainsi d’être plus efficace (diminution de la charge cognitive). Il développera en quelque sorte des routines d’exécution (connaissances procédurales).

Mais il va également explorer de manière personnelle (en fonction de ses intérêts...) le domaine de la tâche, ce qui lui constituera de nouvelles compétences. En fonction des situations profession- nelles rencontrées, l’opérateur pourra aussi acquérir de nouvelles compétences, mais ici de manière aléatoire. C’est ce phénomène qui explique notamment que les personnes ayant suivi la même formation n’ont pas forcément les mêmes compétences à l’arrivée.

Par voie de fait, l’expérience élargit les connaissances, et inéluctablement, celles qui sont ou se- ront peu utilisées s’estomperont (phase de rétractation des compétences). C’est à ce moment-là que fatalement les erreurs interviendront, et que les systèmes d’aides seront utilisés avec toute la problématique décrite au chapitre précédent.

8.2.3 Vers l’expertise

Pour LeBoterf [LB98], nous avons vu que la compétence (professionnelle) est un savoir validé dans un contexte particulier en vue d’une finalité. Mais alors qu’est-ce que l’expertise ?

Déjà dans les années 80, les frères Dreyfus de l’Université Berkeley ont montré [DD80] que justement c’est la prise en compte du contexte qui est l’une des caractéristiques essentielles de l’intelligence humaine. D’une manière plus intuitive, nous définissons l’expertise comme étant la compétence dans l’excellence. Mais qu’en est-il vraiment ?

Nous allons voir ce qu’il en est en présentant le modèle de Dreyfus d’acquisition de compétences. Il ne s’agit cependant pas à proprement parler d’un modèle, mais plutôt d’une théorie. Celle-ci expose les cinq étapes du passage de novice à expert d’un domaine :

Étape 1 : Le novice

Le novice est une personne avec peu ou sans expérience dans un domaine précis. Son objectif est de parvenir rapidement à des résultats sans comprendre comment les obtenir, la moindre difficulté pouvant alors mettre en échec ses actions. N’ayant aucune intuition sur la manière de résoudre les problèmes, il va s’appuyer sur des règles absolues, faisant abstraction du contexte.

Étape 2 : Le débutant avancé

La personne commence à assimiler les schémas d’action et les règles, et prend conscience du contexte d’application au travers d’exemples qu’un instructeur peut lui fournir. Encore dépendant des règles, il sait choisir une démarche, sans toutefois comprendre la stratégie globale d’application.

Étape 3 : Le compétent

Profitant d’expériences plus nombreuses, le compétent est capable de placer et trier les éléments importants, se faisant ainsi sa propre modélisation de la problématique. Face à une nouvelle situa- tion, il est donc capable de réduire le nombre de paramètres à prendre en compte pour faciliter la résolution d’un problème. Il prend ainsi le contrôle de la situation et peut faire preuve d’ini- tiative. Cependant, il réfléchit peu sur ses méthodes de travail, il n’est donc pas dans une logique d’amélioration continue.

Étape 4 : L’efficace (ou le spécialiste)

Le spécialiste essaie de comprendre le contexte général afin d’en extraire une vision d’ensemble. Son expérience s’enrichit de celle d’autrui pour affiner son « intuition ». En effet, à ce niveau, la théorie acquise (maîtrisée) fait davantage place à l’intuition pour reconnaître une situation et y réagir. Il comprend d’où viennent les règles et les maximes36 et sait quand les appliquer (il ne se

contente pas de recettes à suivre). Étape 5 : L’expert

L’expert ne prend plus de décisions conscientes dans le sens où il sait ce qu’il faut faire, quel est le but à atteindre et le moyen d’y parvenir, le tout de manière intuitive. Il peut avoir du mal à expliquer ces choix qui lui semblent naturels ; il sent les choses comme par « magie ». Enfin, il cherche continuellement de nouvelles méthodes et manières de mieux faire les choses.

Comme on peut le voir, le novice ne fonctionne pas du tout comme l’expert. Pour qu’un expert puisse communiquer avec des personnes qui ne le sont pas, il doit se mettre au niveau requis. Pour un humain, cette adaptation peut se faire de manière aisée et évolutive au cours d’une discussion, d’une aide apportée... Il n’en va pas de même pour un système informatique. Pour faire un parallèle avec le domaine de l’IHM, on parle « d’adapter l’impédance » [Cae96], comme dans le domaine électrique. L’idée est qu’une interface doit s’adapter à une vitesse cognitivement compatible avec la vitesse de perception et de compréhension de l’utilisateur. L’objectif étant d’éviter la surcharge cognitive de l’opérateur (dépassement des capacités et des exigences nécessaires à l’accomplissement d’une tâche).

Selon Rasmussen, « le développement de l’expertise s’accompagne d’un déplacement des connais- sances de l’explicite vers l’implicite », ce qui explique pourquoi l’humain est capable d’en savoir plus que ce qu’il peut en dire ! L’expert ne se résume donc pas à ses seules compétences, car bien que spécialiste, il est capable de moduler son niveau en fonction de l’apprenant. Nous avons donc tout intérêt à l’heure actuelle à remettre l’humain, ou plutôt l’expert, au coeur du système d’aide pour assister un opérateur lorsque la situation l’exige.