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4. Résultats

4.2 Thèmes récurrents issus de la collecte de données

4.2.1 Expérience des patient.e.s-famille rapportée par les infirmières

4.2.1.6 Tabous

La question des tabous associés à l’infertilité ou aux traitements de PMA a été abordée systématiquement lors des entretiens individuels, l’étudiante-chercheuse donnant ainsi suite aux

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questionnements induits par la recension des écrits en ce qui a trait à la présence de tabous dans la pratique infirmière en PMA (voir section 2.1.3.1). Selon certaines participantes, il n’y a pas vraiment de tabous associés à l’infertilité à l’intérieur de la clinique, et il y en a moins qu’auparavant à l’extérieur de la clinique, au sein de la population en général.

Moi je ne sens pas qu’il y a des tabous dans la clinique, mais peut-être à l’extérieur de la clinique. (C003, 26/21-22)

Je pense que c’est beaucoup moins tabou qu’avant… c’est plus accepté… Mais c’est sûr que dans certains milieux, peut-être pas. Mais ici, je pense qu’il n’y a plus de tabous… (D004,15/32-33)

Par contre, d’autres participantes rapportent que la notion de tabou et de stigmatisation associée à l’infertilité persiste et que les patient.e.s-familles le ressentent.

Often times, we know that infertility can be associated with shame, and that they keep it secret, right, so there’s that whole, you know, like a…kind of secrecy around it as well. (…) Yeah, the taboo … (…) When they finally come, that kind of “Ok, I’m finally coming in, seeking help, you know, and…” they might not want people to know about it. (B002, 1/8-13)

(MG : Entre couples infertiles, ce n’est plus tabou de parler d’infertilité) Ben non, (…) ils comprennent tout ça. (MG :… alors qu’avec ta belle-sœur, ta voisine, tu peux pas avoir cette conversation-là.) Non, ils vont juste trouver que tu exagères tout (…), que tu dramatises, que tu exagères, que tu n’as qu’à relaxer, et ça va marcher (…) ça va être ça leur prescription. (F006, 23/11-32)

Ces propos rapportés au sujet des sentiments ressentis par les patient.e.s-famille face aux perceptions de leurs proches en lien avec leur infertilité ont rappelé à l’étudiante-chercheuse des témoignages qu’elle a entendus justement à cet égard.

Nos patients nous le disent, c’est l’une des choses dont je me souviens, et moi, j’aimais ça, recevoir ce genre de témoignages et accompagner les patients quand ils me disaient : « Au moins ici, avec vous, la porte fermée, on peut en parler. Parce qu’à la maison, avec ma mère, avec ma sœur, personne ne comprend. Et les gens m’ont dit à Noël : Ben… pourquoi vous adoptez pas un chien à la place? »… Et là, les patient.e.s se mettent à pleurer, autant les hommes que les femmes, parce qu’avec nous, ils ont le droit, ils se le permettent.

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Ces témoignages illustrent bien comment les patient.e.s-familles se sentent autorisés à partager leurs émotions avec l’infirmière en PMA tandis qu’ils.elles estiment ne pas pouvoir le faire à l’extérieur de la clinique.

Ces propos font écho à ma propre expérience et me rappellent des écrits déjà cités sur la liminalité où les auteurs associent l’infertilité à une expérience liminale que la clinique de fertilité peut accueillir et ritualiser pour des patientes vivant des expériences semblables (Allan, 2007). Cette façon de décrire la clinique comme un endroit « sécuritaire » où les patient.e.s se donnent le droit de vivre leur expérience liminale d’infertilité me fait penser à ces contre-espaces, ces lieux privilégiés ou sacrés que, comme le décrivait Foucault, les sociétés dites primitives réservaient aux individus « en crise biologique », comme les femmes au moment de leurs règles ou après l’accouchement (Foucault, 1966). La clinique d’infertilité serait-elle une véritable hétérotopie de crise des temps modernes?

D’autres témoignages de participantes relatent du tabou encore présent en lien avec le recours au don de gamètes, notamment chez les femmes de plus de 40 ans, donc d’« âge maternel avancé », ce tabou étant parfois alimenté par certains médias.

Il y a des femmes de 40 et quelque qui ne comprennent pas pourquoi elles sont infertiles. Et même quand on leur explique, et que plusieurs peuvent leur expliquer les mêmes raisons, elles vont toujours pas comprendre. (MG : Parce que…?) Parce que, je pense qu’elles voient dans les médias, dans les médias sociaux, que la grossesse, c’est possible à tout âge. Et j’ai l’impression qu’elles pensent que c’est possible de façon spontanée, naturelle, sans aide… et je pense qu’elles ne réalisent pas que c’est souvent un don d’ovules…(F-006, 1/13-20)

Au fil de ses recherches et de ses travaux menant à la rédaction de ce mémoire, l’étudiante-chercheuse a pris conscience qu’elle avait elle-même contribué à alimenter les tabous entourant l’infertilité et la PMA. Ainsi, la décision de rédiger une étude autoethnographique sur la pratique infirmière en PMA s’imposait, permettant ainsi à l’étudiante- chercheuse de partager son expérience de patiente en PMA et de contribuer maintenant à abattre ces tabous.

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Même si je n’avais pas eu un enfant grâce à la FIV, je parlerais quand même de mon expérience. À cause de toutes ces années où j’ai travaillé en néonatalogie puis en fertilité et où je ne parlais pas du fait que j’étais suivie en PMA, je pense que c’est maintenant mon devoir d’en parler pour abolir les tabous et contribuer à la dé-stigmatisation, notamment en ce qui a trait aux grossesses chez les femmes d’ « âge maternel avancé » comme moi. Maintenant, je vais souvent dire « d’après mon expérience ou quand j’étais patiente… » et les collègues répondent « Ah! Bon, je n’y avais pas pensé… »

Par ailleurs, l’infertilité est encore un sujet tabou dans certaines communautés culturelles ou religieuses. L’étudiante-chercheuse a pu l’observer, notamment lorsque des patient.e.s ne veulent ou ne peuvent pas demander à un proche d’être témoin de leur signature du formulaire de consentement écrit, car ils.elles ne veulent pas dire à qui que ce soit qu’ils.elles vont faire une FIV.

Par exemple, … quand c’est le fameux temps de faire signer les formulaires de consentement, où ça prend un témoin, mais on ne veut pas que les gens autour le sachent. Donc, peut-être au sein des communautés, puis ce n’est pas toutes les communautés…certains groupes culturels. (C003,26/23-29)

When it was free, I was, I would announce a little bit about what exists for people (in my community), but I don’t know like I see some taboo…? I always thought that this community they have no awareness about this thing exists…I was not even comfortable to talk about it, but I did it. I did it and then after a few clients come from my talk. And even I was surprised, a lot of people don’t even know that IVF, it exists. (J009, 15/27-33)

D’autres tabous ont été rapportés par des infirmières, notamment, tel que mentionné dans la sous-rubrique « stress », les tabous des deuils périnatals, des fausses-couches ou même de la possibilité d’une fausse-couche éventuelle.

…la perte d’un bébé (…) c’est une perte, c’est un deuil, et c’est quelque chose que j’oublierai jamais… (MG : je trouve que c’est un sujet qui est encore tabou : la fausse couche, le décès d’un bébé…) Oui (…) Mais des fois, les gens savent pas quoi dire, Les fausses-couches, honnêtement, moi quand ça m’est arrivé, il y a quelqu’un qui m’a dit : « T’es triste?... » Euh, oui! « C’est pas grave, tu vas en avoir un autre! » Ça, c’est quelque chose qui me rentre dedans parce que… vraiment tu es aussi bien de ne rien dire. Mais je comprends que l’être humain, des fois, on ne sait pas qui dire puis quelque chose sort… on remplit le vide. » (E005, 7/7-8/4)

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Ce témoignage très personnel est venu interpeler l’étudiante-chercheuse et lui rappeler son propre parcours de reproduction et même celui de sa mère.

C’est quand même un incident important dans un parcours de reproduction. Moi, j’ai eu trois grossesses par FIV qui se sont terminées par des fausses-couches. Quand je suis devenue infirmière, j’ai d’abord travaillé en néonatalogie où on avait des patient.e.s qui avaient connu plusieurs deuils périnataux. C’est un sujet qui m’a toujours intéressée parce que ma mère avait perdu un enfant, mort-né, un an avant ma naissance. Alors ça fait partie de notre patrimoine familial même si je ne l’ai pas connue; on l’appelait Marie. Mais c’était la première de la famille, et ma mère, quand elle en parle, elle vient les yeux pleins d’eau, 60 ans plus tard…et moi, quand j’en parle, j’ai la chair de poule.

La participante aborde aussi le quasi tabou de la fausse-couche éventuelle qui semble pousser certaines infirmières à ne pas nécessairement féliciter les patientes lorsqu’elles leur annoncent que le résultat de leur test de grossesse est positif, comme si la possibilité d’une fausse-couche précoce les retenait. Cette attitude a également été observée par l’étudiante- chercheuse lors de l’activité des « rappels ».

Quand on appelle une patiente qu’on sait que ça fait plusieurs fois qu’elle essaie et on dit « C’est positif! » (…) Mais d’un autre côté, je pense que si on prend l’habitude de dire à une patiente « oui, oui , c’est positif mais… ». La personne va dire « mais …quoi? C’est parce que ce n’est pas assez positif? Je pourrais le perdre? » Mais rendu là, personne n’a de boule de cristal. Personne ne peut voir l’avenir. Alors, « c’est positif, le résultat est clairement positif. Félicitations. Prenez vos vitamines et on se voit à l’échographie de viabilité. » Puis c’est tout. (MG : Ce qu’on vient de dire, je pense que ça ne fait pas l’unanimité dans l’équipe.) E-005 : Non. (MG : J’en entends des collègues qui disent : « Oui, c’est positif mais… vous savez, il faut attendre pour confirmer » (E005 : 9/31-34; 10/1-9)

Cet échange de réflexions a rappelé à l’étudiante-chercheuse un témoignage dont elle s’est souvenue au cours de l’entretien individuel et qu’elle reprend ici :

J’ai déjà posé la question à un couple de patients qui avaient eu un résultat positif mais qui n’ont pas vu de cœur fœtal lors de l’échographie de viabilité deux semaines plus tard : « Est-ce que vous auriez aimé mieux qu’on ne vous félicite pas, qu’on vous dise tout simplement vous avez un « beta » positif mais c’est un peu tôt pour croire à votre grossesse, il faut vraiment attendre. » Ils m’ont dit « Non,

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nous on était contents, on est enfin ‘tombés enceinte’. On l’a vécu pendant deux semaines, cette joie-là. C’est certain que là, on retombe du septième ciel …mais on aurait pas voulu être privés de ça, de cette joie-là. »

En résumé, il existe encore des tabous chez les patient.e.s-familles et dans leur entourage en ce qui a trait à l’infertilité, aux traitements de PMA et aux échecs potentiels de ces interventions, et ce, encore davantage dans certaines communautés culturelles. Chez les infirmières, il appert qu’il persiste certains tabous, notamment en ce qui a trait aux fausses- couches éventuelles, malgré les verbatims paradoxaux de quelques infirmières participantes qui ont souligné qu’elles ne perçoivent plus vraiment de tabous envers la PMA.