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5. Discussion générale et recommandations

5.1 Discussion des résultats rapportés

5.1.1 Expérience des patient.e.s-familles

Avant même d’aborder les questions de recherche posées au départ, il convient de souligner que les résultats de notre étude mettent en lumière que l’expérience que vivent les patient.e.s-familles en infertilité, telle que rapportée par les infirmières, est un parcours difficile

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et que ces difficultés se déclinent suivant différentes émotions (stress, souffrance, colère, deuil, déception), et même certains symptômes associés à la santé mentale (anxiété et dépression), ainsi que la stigmatisation associée aux tabous qu’elles perçoivent.

Ces résultats viennent rejoindre les écrits de la chercheuse britannique Helen T. Allan qui rapportait que les patientes souffrant d’infertilité étaient souvent sujettes à l’anxiété et à la dépression et que les infirmières avaient un rôle à jouer pour les aider à composer avec ces états anxieux. Toutefois, elle soulignait l’absence d’écrit infirmier explorant l’impact psychologique et émotionnel de l’infertilité (Allan, 2013). Quelques années plus tard, elle déplorait de nouveau le peu de recherches portant sur la pratique infirmière en PMA en général et sur les conséquences psychologiques, émotionnelles et sociales de l’infertilité et de la FIV, ainsi que la détresse qui les accompagne (Allan, 2017). Avec sa collègue Debbie Barber, la professeure Allan avait déjà souligné l’importance du rôle de l’infirmière en infertilité en ce qui aux émotions qui caractérisent ses relations avec les patientes (Allan et Barber, 2005).

D’autres auteurs ont déjà souligné l’importance de l’expérience vécue par les patient.e.s en PMA. Dans une étude portant sur un modèle de soins en fertilité axés sur les patientes (Patient-Centered Infertility Care, traduction libre), Cunningham & Cunningham déplorent que ce modèle britannique soit fondé sur une vision plutôt artificielle de ce que représentent les soins axés sur les patientes et qu’il ne tienne pas assez compte de l’expérience des patientes, pourtant située au centre de la relation de soins. Les auteurs recommandent de bonifier le modèle en y intégrant davantage le soin relationnel, de façon à répondre aux besoins et aux expériences des patientes et à conjuguer les aspects biologique, psychologique et social de l’infertilité, améliorant ainsi la qualité des soins offerts (Cunningham & Cunningham, 2013).

Parallèlement, il ressort des résultats de notre recherche que l’expérience des patient.e.s- familles peut aussi être ponctuée de joie et d’espoir, et que les infirmières ont l’occasion de les accompagner aussi dans ces moments plus heureux, L’espoir peut également être associé au

coping, une composante du modèle McGill (Gottlieb, 2013).

Les résultats de notre recherche mettent en relief le fait que, à l’extérieur de la clinique ou du monde de la PMA, il existe encore certains tabous en ce qui a trait à l’infertilité, aux traitements de PMA et aux dons de gamètes. Cette constatation reflète les écrits de plusieurs

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chercheurs précités qui considèrent le tabou comme une caractéristique de la trajectoire de soins en infertilité (Allan, 2007; Imeson & McMurray, 1996; Peters, 2003; Sandelowski, 1993; Tjornhoj-Thomse, 2005; Williams, 2007). Même au sein de la clinique, l’étudiante-chercheuse a observé un certain malaise chez le personnel lorsqu’il était question de certains sujets comme, par exemple, la gestation pour autrui et la préservation de la fertilité des patient.e,s transgenres. Même si le sujet fut rarement abordé au cours des entretiens et de l’observation, j’ai souvent senti que l’âge maternel avancé donne lieu à une certaine stigmatisation, comme si la décision pour une femme d’avoir un enfant après 40 ou même 50 ans constituait une véritable hétérochronie, au sens que lui donne Foucault (Foucault, 1966), alors que la notion d’âge paternel avancé est rarement, voire jamais l’objet du même contentieux.

En regard avec certains écrits sur la notion de tabou issus de l’anthropologie (Lévi- Strauss, 1949; Rapport et Overing, 2000), l’étudiante-chercheuse s’interroge à savoir si cette perception de tabou associé au domaine de la reproduction en général pourrait s’expliquer du fait que ce champ de l’activité humaine se trouve à la jonction de deux grandes dimensions visées par des tabous, soit la sexualité et les fonctions corporelles. Elle sous-tend également la notion du « caché » associé à l’appareil reproducteur de la femme, ce caché que les procédures et les traitements de PMA révèlent.

Par ailleurs, il ressort des résultats que certaines infirmières non participantes estiment que l’infertilité ne constitue pas une maladie en soi malgré les écrits et la position de l’OMS à ce sujet (OMS, 2009). Cette ambigüité dans la perception de certaines infirmières par rapport à l’infertilité des patient.e.s semble liée à leur perception de la pratique infirmière en PMA. Celles qui estiment que les patient.e.s ne sont pas « malades » sont souvent celles que l’étudiante- chercheuse a entendu dire : « ce qu’on fait, c’est pas vraiment du nursing! » ou encore « suis-je une vraie infirmière? ». Cette invisibilisation de la problématique de l’infertilité semble alimenter la réduction ou la minimisation de leur rôle comme infirmière en PMA.

Vu l’importance significative des émotions que les patient.e.s-familles ressentent tout au long de leur expérience en infertilité, il n’est pas étonnant de retrouver le soin relationnel au premier plan des dimensions de la pratique infirmière en PMA que nous aborderons maintenant.

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5.1.2 Dimensions de la pratique infirmière en PMA

Selon les résultats de notre recherche, les principales facettes de la pratique infirmière en PMA peuvent être regroupées en cinq dimensions : le soin relationnel, le leadership/advocacy, l’apprentissage/enseignement, la collaboration et les interventions techniques.

Ces résultats s’apparentent aux écrits de quelques-unes des rares chercheuses ayant étudié le rôle de l’infirmière en PMA et souligné certaines dimensions, notamment l’advocacy (Allan, 2007; Payne & Goedeke, 2007; Peters, 2003) et le soin relationnel (Allan, 2007; Cunningham, 2010; Cunningham et Cunningham, 2014; Payne et Goedeke, 2007; Peters, 2003; Williams, 2008). Les chercheuses néo-zélandaises Payne et Geodeke avaient décrit les rôles des infirmières en PMA et définissaient ainsi leurs compétences : la dissémination de l’information, l’interprétation des données médicales, le soutien aux patient.e.s et la défense de leurs intérêts (advocacy) (Payne et Geodeke, 2007).

Parmi les dimensions de la pratique infirmière que cette recherche a permis d’identifier, deux d’entre elles s’inscrivent directement en lien avec les questions de recherche puisque l’étudiante-chercheuse cherchait à explorer la perception du rôle des infirmières en PMA, notamment sous l’angle de l’advocacy et du soin relationnel. Ces deux dimensions se retrouvent également, tout comme la collaboration et l’apprentissage/enseignement, dans les principes soutenant le modèle McGill en soins infirmiers McGill (Gottlieb & Gottlieb, 2013). En outre, les dimensions du soin relationnel et de l’advocacy sont des exemples de « pratique invisible », tel qu’illustré dans la problématique et la recension des écrits. Par contre, l’invisibilité de ces dimensions de la pratique infirmière en PMA n’est pas ressortie des entretiens individuels.

Quand je réfléchis à l’invisibilité dans notre quotidien à la clinique, je pense à certaines interventions observées ou vécues : l’infirmière qui soutient la préposée agressée verbalement par un patient; celle qui écoute patiemment la patiente lui raconter ses nombreuses fausse-couches; celle qui fait un appel téléphonique pour prendre des nouvelles de la patiente après une grossesse ectopique; celle qui dit à sa collègue qu’elle va appeler elle-même une

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certaine patiente pour lui donner son résultat négatif de grossesse parce qu’elle la sait particulièrement anxieuse… Tout ça, ça fait partie de nos interventions invisibles au sens qu’elles ne sont consignées nulle part, et qu’une gestionnaire non aguerrie pourrait ne pas les voir comme des exemples de soin relationnel ou d’advocacy. Mais il y a aussi le fait qu’au fil des ans, certaines d’entre nous se sont fait reprocher de « prendre trop de temps » avec les patientes, et donc de ne pas voir assez de patientes dans une journée de clinique; ces commentaires pouvaient venir d’une gestionnaire ou même d’une collègue (ce qui est plus pernicieux), une collègue qui ne consacre pas beaucoup de temps au soin relationnel ni à l’advocacy… Pour moi, c’est un symptôme de l’invisibilité de certaines dimensions de notre pratique, le fait que même certaines infirmières gestionnaires ou cliniciennes n’en reconnaissent pas la pertinence ni l’importance.

Les résultats de cette étude indiquent que la dimension la plus rapportée et observée est ce que nous avons désigné ici comme le « soin relationnel ». Ce concept correspond au

relational care que l’on retrouve dans le modèle de McGill et l’approche de soins fondés sur les

forces (Gottlieb & Gottlieb, 2017). En outre, dans un article publié en Angleterre, Debbie Barber avait décrit l’importance du rôle que les infirmières jouaient dans une clinique d’infertilité en ce qui avait trait à la consultation, au counseling et à la continuité des soins (Barber, 1994). Sous l’expression « soin relationnel », et suivant la définition retenue plus haut (voir point 2.1.3; Magnon et Dechanoz, 1995; p. 197), l’étudiante-chercheuse a regroupé plusieurs concepts qui peuvent s’apparenter au counseling cité par D. Barber dans son article descriptif sur la continuité de soins en PMA et que les participantes ont employés lors des entretiens et de l’observation, qu’il s’agisse de soutien psycho-affectif, d’écoute, de patience, de support, d’accompagnement, d’empathie ou de lien de confiance. Cette dimension vient rejoindre l’une des expressions du rôle de l’infirmière en PMA qui, selon Helen T. Allan, était décrit comme le soutien attentif (focussed support) que les infirmières donnaient aux patientes, que ce soit sous forme d’un simple contact de la main ou d’une explication (Allan, 2001a).

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De façon plus générale, il ressort des résultats qu’il s’agit d’un champ de pratique très diversifié et intéressant mais également difficile. Souvent, la charge émotionnelle que représente les soins relationnels que les infirmières offrent à des patient.e.s-familles qui vivent une expérience de santé difficile et exigeante, nécessitant un investissement important sans aucune garantie de résultats, s’avère lourde à porter. Pour certaines, cette charge peut mener à l’épuisement professionnel, tel que relaté lors des entretiens et observé par l’étudiante- chercheuse.

Cette conclusion pourrait être mise en parallèle avec les premiers constats faits par Allan lorsqu’elle notait deux genres d’infirmières en PMA, caring vs non-caring, et ces deux moyens qu’elles utilisaient pour interagir avec les patient.e.s, emotional distance vs presence (Allan, 2003). Quoique ces modes de fonctionnement n’aient pas été observés dans le cadre de cette étude, il est possible que des infirmières, participantes ou non, y aient recours, consciemment ou inconsciemment.

Par contre, il ressort clairement des résultats que, comme l’avançait Williams en Nouvelle-Zélande, l’infirmière en PMA doit « apprendre à vivre avec ses émotions » (Williams, 2007; traduction libre) et qu’elle doit également « soutenir le client dans son expérience de santé et soutenir l’équipe multidisciplinaire, tout en contrôlant ses propres émotions» (Payne et Geodeke, 2007, traduction libre). Il convient de souligner que le contrôle de ses émotions n’est pas propre uniquement à la pratique infirmière en PMA.

Avant de venir travailler en PMA, j’avais été patiente en PMA et infirmière en néonatalogie (et bien d’autres choses, mais ça, c’est une autre histoire…). Comme bien d’autres infirmières, je croyais que ce champ de pratique serait moins exigeant mais je n’en suis plus si certaine. Par exemple, la « compassion fatigue » est toute aussi présente chez les infirmières en PMA et, à ma grande surprise, elle l’est peut-être davantage. Mon hypothèse est que les résultats (outcomes) sont meilleurs en néonatalogie Ce qui est lourd à la longue, c’est que les patient.e.s-famille que l’on accompagne en PMA n’ont que 30 à 40 % de chances de succès, tandis que les familles que l’on accompagne en néonat s’en tirent beaucoup mieux, puisque la très grande majorité des bébés traités

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survivent et rentrent à la maison avec peu de séquelles graves.

Je me demande parfois si ces pronostics et la rareté des résultats encourageants ont un impact sur l’attitude ou la tolérance de certaines infirmières. Le soin relationnel vient donc au premier rang de la perception qu’ont les infirmières de leur rôle auprès des patient,e,s en PMA, ce qui correspond à la conception de l’étudiante- chercheuse, tant à titre de patiente que d’infirmière en PMA.

Les résultats de cette étude font la lumière sur une autre dimension de la pratique infirmière en PMA, soit le leadership qui s’inscrit dans le rôle central que jouent les infirmières dans ce milieu, notamment sous l’angle de l’advocacy. Par contre, cette dimension n’Est pas ressortie aussi fortement que l’étudiante-chercheuse ne l’avait prévu au départ. Par ailleurs, plusieurs auteurs associent la défense des intérêts des patients (advocacy) à la pratique infirmière, d’une part parce qu’elles ont les connaissances scientifiques et techniques pour le faire et d’autre part, parce qu’elles sont en mesure d’établir la relation de confiance nécessaire à cette démarche (Choi, 2015; Mallik, 1997).

Rappelons que l’Ingram School of Nursing de l’Université McGill, en particulier, fait de la défense des intérêts des patient.e.s l’un des principes fondamentaux du modèle McGill (McGill University, 2019). De même, dans l’ouvrage consacré à l’approche de soins fondée sur les forces, la professeure Gottlieb décrit la défense des intérêts de la personne comme l’« un des rôles essentiels que doit jouer l’infirmière » (Gottlieb & Gottlieb, 2014, p.173), et s’inspire de Benner pour souligner que les patient.e.s-familles sont souvent aux prises avec un système de santé et des soins complexes, voire intimidants, et qu’ils comptent sur les infirmières pour les aider à traverser cette expérience (Gottlieb & Gottlieb, 2014; Benner, 2003).

Enfin, l’advocacy a souvent été décrite en pratique infirmière en PMA, Allan y faisant allusion comme l’un des rôles perçus par les patient.e.s, notamment lorsqu’elles remettent en question les ordonnances du médecin (Allan, 2000). D’autres chercheurs ont également associé la dimension de l’advocacy avec les attentes qu’ont les patient.e.s quant au rôle des infirmières en PMA (Cunningham, 2010; Imeson et McMurray, 1996; Payne et Goedeke, 2007; Peters, 2003; Williams, 2007).

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Comme infirmière en PMA, j’agis comme

patient advocate lorsque je consulte le

médecin pour m’assurer que l’ordonnance de la patiente est bien complète; lorsque je m’assure que l’embryologue tiendra compte des préoccupations de mes patient.e.s pour la préparation d’un transfert d’embryon; lorsque je vérifie que tout le dossier de la patiente est complet et à jour; lorsque je m’assure que la patiente et la

fellow se comprennent bien même si elles

ne parlent pas la même langue; lorsque je demande au médecin d’interrompre la procédure de prélèvement pour permettre à la patiente de récupérer; c’est ce qu’on considère comme de la « case advocacy » ou défendre les intérêts de la patiente. Mais j’ai aussi fait de la « cause advocacy », ou défendre la cause de nos patient.e.s, lorsque j’ai participé à des manifestations contre l’abrogation du financement public de la PMA, ou lorsque j’ai rédigé des mémoires destinés à des instances publiques ou encore lorsque j’ai participé à des tribunes publiques sur les questions de l’infertilité et de la PMA.

Quant aux trois autres dimensions de la pratique infirmière en PMA que les résultats de cette recherche ont permis d’identifier, deux d’entre elles peuvent également être rattachées au modèle McGill en soins infirmiers, savoir la collaboration et l’apprentissage/enseignement. Sur le plan de la collaboration, la collaboration interprofessionnelle est ressortie des résultats comme l’une des forces de ce milieu clinique, tandis que la collaboration intraprofessionnelle a été observée mais peu mentionnée et que la collaboration avec les patient.e.s-familles mériterait d’être renforcée. Payne et Geodeke avaient déjà souligné que le rôle de l’infirmière en PMA consistait notamment à soutenir l’équipe multidisciplinaire de la clinique (Payne et Geodeke, 2007). Le partenariat est l’un des fondements du modèle McGill et de l’approche de soins fondée sur les forces; la défense des intérêts des patient.e.s-familles en est d’ailleurs une caractéristique importante (Gottlieb & Gottlieb, 2014). Ce genre de collaboration avec les patient.e.s a été observé mais peu d’infirmières l’ont rapporté comme tel, même si les exemples d’interventions qu’elles font au quotidien en sont souvent une illustration.

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Enfin, la dimension de l’enseignement auprès des patient.es-familles est très présente dans les résultats même si elle est parfois minimisée en importance, comme si ces interventions pouvaient être facilement remplacées par des instructions écrites ou données sous forme de vidéos. Il demeure que les interventions d’apprentissage/enseignement ou de partage de l’information, comme l’« infoligne », l’« infogroupe » ou les consultations en « suivi de FIV » sont également des occasions pour écouter, soutenir et accompagner les patient.e.s-familles. Ces interventions font appel au soin relationnel et constituent des occasions de fire de l’advocacy et de prendre la parole pour défendre les intérêts des patient.e.s-famille.

Comme la professeure Gottlieb, nous parlerons ici d’apprentissage/enseignement plutôt que simplement d’enseignement afin d’en souligner le processus actif. En outre, il convient de souligner que pour apprendre, la personne doit être prête et disposée à le faire (Gottlieb & Gottlieb, 2014). Les résultats de la recherche indiquent que le stress et l’anxiété peuvent parfois nuire à cet apprentissage. L’infirmière doit tenir compte de cet aspect de l’expérience des patient.e.s-familles. Par ailleurs, l’apprentissage comme mode de développement de la santé est l’une des valeurs de base du modèle McGill. Déjà dans les années 1970, Moyra Allen prônait un rôle élargi pour l’infirmière, visant à compléter ceux des autres professionnels de la santé, notamment en aidant les personnes-famille à composer avec les aléas de la vie en apprenant des modes de promotion de la santé (Allen, 1977). Les résultats de notre recherche mettent en valeur certains de ces aspects de l’apprentissage de la santé, notamment sous l’angle de la cessation tabagique, de la nutrition et des saines habitudes de vie.

En somme, les résultats de cette recherche ont identifié cinq dimensions de la pratique infirmière en PMA, tout en mettant en valeur le soin relationnel surtout, ainsi que l’advocacy, en lien avec les questions de recherche.