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2. Recension des écrits et cadre théorique

2.1 Recension des écrits

2.1.2 La pratique invisible

2.1.4.1 Le tabou

Nous l’avons déjà dit, le fait que l’infertilité demeure un sujet tabou (Allan, 2007; Roper, 2009) amène certain.e.s patient.e.s/familles infertiles à se confier à l’infirmière plutôt qu’à leur entourage.

Le mot « tabou» nous vient des langues polynésiennes où « tapu » signifie «interdit, mis à l’écart »; c’est une interdiction à caractère sacré ou religieux. Le Larousse définit le « tabou » comme un « interdit d’origine sociale qui frappe un être, un objet ou un acte en raison du caractère impur ou sacré qu’on leur attribue » ou « qui fait l’objet d’une interdiction religieuse » ou encore « qu’il serait malséant d’évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales » (Larousse, 2013; p. 987). Par extension, l’adjectif « tabou » s’entend d’un sujet à éviter pour respecter les codes, les normes d’une société donnée.

La notion de tabou est peu décrite en sciences infirmières, mais elle est davantage approfondie en anthropologie et en psychologie. En anthropologie, la notion de tabou est rattachée à l’interdit, à la prohibition de certains comportements au sein de la société (Schultz, Lavenda et Dods, 2018).

En sciences humaines, la notion de tabou est plutôt reprise sous l’angle de l’interdit et du refoulement des pulsions. Elle fait appel à des auteurs classiques, tels que Lévi-Strauss dans

Les structures élémentaires de la parenté (Lévi-Strauss, 1949), en anthropologie, et Freud dans Totem et tabou : quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés (Freud, 1913), en psychologie. En outre, le Dictionnaire des sciences humaines la

définit comme la « figure exotique de l’interdit » ou encore «un moyen de défense à caractère sacré et une forme de protection de nature sociale » (Valade, 2006; p. 1139) que Claude Lévi- Strauss considérait comme « la manifestation d’une pensée classificatrice et contraignante » (Valade, 2006; p. 1140).

Le tabou peut couvrir plusieurs dimensions, dont les suivantes : la sexualité (notamment l’inceste et l’homosexualité), l’alimentation en général (le cannibalisme en particulier); les fonctions corporelles (notamment le sang et les menstruations; Rapport et Overing, 2000) et la mort (y compris le meurtre, le suicide et l’avortement). Les tabous peuvent varier d’une société à l’autre et d’une époque à une autre. Dans la grande majorité des sociétés de l’ère moderne,

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l’inceste, le meurtre et le cannibalisme demeurent tabous. Selon Kroeber, si l’on demandait à dix ethnologues de postuler une institution humaine qui constitue un interdit universel, neuf sur dix affirmeraient que l’inceste est le seul tabou universel (Kroeber, 1939). Le tabou de l’inceste peut aussi être analysé sur le plan psychologique ou anthropologique, comme l’ont fait plusieurs experts dans un recueil d’écrits publié sur le tabou et l’interdit (Durieux, Nayrou et Parat, 2006).

C’est dans son ouvrage-phare susmentionné, Les structures élémentaires de la parenté, que Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue français de renom, avance en 1949 une vision sociologique de la prohibition de l’inceste, s’éloignant des théories psychologiques ou physiologiques, et aborde pour la première fois les règles culturelles qui fondent les interdits incestueux, qu’il associe à l’expression négative de l’obligation de l’échange, en l’occurrence des femmes, dans la détermination du conjoint (Barry, 2016), donnant lieu aux «relations d’alliance qui constituent le fondement du tissu social » (Smith, 2016).

Au-delà de l’utilisation classique du terme tabou, en ce qui a trait au tabou en PMA, il a été abordé brièvement dans la problématique, et plusieurs chercheurs précités l’ont déjà souligné comme une caractéristique propre à la trajectoire de soins en infertilité (Allan, 2007; Imeson & McMurray, 1996; Peters, 2003; Sandelowski, 1993; Tjornhoj-Thomse, 2005; Williams, 2007); il entraîne l’isolement social et la détresse psychologique des patient.e.s (Imeson et McMurray, 1996; Slade, 2007; Williams, 2007).

D’aucuns seront surpris d’apprendre que l’infertilité et la FIV sont encore des sujets tabous aujourd’hui vu que les médias en traitent souvent, surtout lorsqu’il s’agit de patient.e.s célèbres. Il n’en demeure pas moins que l’infertilité est encore taboue sur le plan individuel et plusieurs femmes le rapportent en lien avec leur expérience personnelle (Edelstein, 2018), tandis que des chercheurs rapportent que la FIV est encore taboue, citant des barrières sociales et culturelles au traitement de l’infertilité (Lunenfeld & Van Steirteghem, 2004). D’autres soulignent que l’infertilité masculine et le fait de ne pas avoir d’enfants (childlessness) sont davantage stigmatisés dans un contexte socioéconomique inférieur (Indekeu, Dierickx, Schotsmans, Daniels, Rober & D’Hooghe, 2013), et que près de la moitié des personnes infertiles au Royaume-Uni ne vont pas consulter un médecin ou un professionnel à ce sujet, cette proportion étant encore plus élevée dans les strates socioéconomiques inférieures (Datta et al., 2016). En outre, deux chercheuses, l’une américaine et l’autre israélienne, rapportent que la

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plupart des hommes infertiles se sentent émasculés par leur condition et préfèrent ne pas révéler à leurs proches qu’ils ont eu recours à un don de sperme (Inhorn & Birenbaum-Carmeli, 2008). Enfin, des chercheuses européennes ont cité le fait que l’infertilité soit encore stigmatisée dans une étude portant sur des patientes hollandaises et grecques qui faisaient appel aux groupes de soutien en ligne (Kaliarnta, Nihlén-Fahlquist & Roeser, 2011).

L’échec éventuel des procédures de PMA est particulièrement évacué, non-dit, tu, passé sous silence; l’étudiante-chercheuse se demande si les patient.e.s vivent ces échecs comme une deuxième infertilité, redoublant d’intensité. L’étudiante-chercheuse s’interroge à savoir si cette perception de tabou associé au domaine de la reproduction en général pourrait s’expliquer du fait que ce champ de l’activité humaine se trouve à la jonction de deux grandes dimensions visées par des tabous, soit la sexualité et les fonctions corporelles. Dans le cas de la FIV avec don de gamètes, on pourrait même y associer le tabou de l’inceste lorsque vient le choix des donneur.se.s dont sont exclus les membres de la famille immédiate (mère, père, fille, fils). L’étudiante-chercheuse voudra explorer de façon plus générale la présence de différents tabous dans la pratique infirmière en PMA au Québec, au sein même des perceptions des infirmières, de celles des patient.e.s et des siennes.

Constatant le peu d’écrits portant spécifiquement sur le sujet de la pratique infirmière en PMA à travers le monde, mais particulièrement au Canada, l’étudiante-chercheuse constate donc qu’il y a certaines lacunes dans ce domaine des connaissances infirmières et elle espère que la présente étude visera à pallier certaines, notamment sur le plan du rôle humain et relationnel de l’infirmière en PMA. Ce faisant, elle s’est appuyée sur différents repères théoriques.