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Les ténèbres néfastes

2.1- Les « ombres »

Dans une magnifique représentation des ombres, Richard Millet retrouve, dans

L’Orient désert, ses souvenirs d’enfance sur le trajet qui le mène de Beyrouth vers la

Békaa en passant par le col du Baïdar :

Bouquets de pins maritimes sur les crêtes : plus aucun déjeuner en famille dans leur ombre.

Mes parents, mon frère, moi : des ombres. Des ombres cheminant dans leur nuit. Ça ne finit jamais, l’enfance, ni la douleur d’en avoir été chassé ; et pourtant, que d’humiliations, d’ennui, de fadeur, de morne souffrance, pendant toutes ces années, même contemplées par-dessus l’épaisse épaule de l’adulte !

Les enfants dévorent les adultes : des ombres mangent l’ombre qu’ils seront bien vite. Le temps est cette manducation tragique. (OD, 87-88)

La famille, l’enfance et toute l’existence de l’adulte sont devenues une « ombre »

du passé. Les souvenirs qui foisonnent sont la face sombre du temps. Le Liban et la

Corrèze de l’enfance vivent toujours dans l’esprit de l’auteur adulte grâce aux ombres des

personnes qui les ont habités ou visités. Ce que désigne Millet par « manducation tragique » est traduit par René Char comme « une morsure du temps », « un temps aux lèvres de lime1 ». Les ombres succèdent aux ombres et la perte de l’enfance met toutes les

ombres en relief et les fait revivre dans l’esprit de l’adulte ; « Ma vie parmi les ombres » est bien le titre le plus évocateur du foisonnement des souvenirs d’enfance dans la vie de l’auteur, cette ancienne vie dont il ne reste plus que quelques paysages et quelques odeurs

proustiennes pour la lui ramener.

Les ombres des êtres perdus, des personnes vieillies ou de celles qui n’étaient qu’une simple rencontre dans sa vie d’enfant mais dont l’initiation à la lecture ou à l’écriture a fait ses effets sont celles des personnages de livres, des personnes aimées de la

famille, des parents disparus ou des écrivains de passage qui ont eu, d’une manière ou d’une autre, une certaine relation avec Siom. Michel Lioure, dans son article « Ma vie

parmi les ombres : naissance d’un écrivain », compte un certain nombre d’écrivains

« vivants ou morts, dont [Pascal Bugeaud] n’a cessé de ressentir la présence ou la

proximité tutélaire » :

Né près des lieux où ont vu le jour Bernard de Ventadour et Jean-François Marmontel, le héros croit bénéficier également, par un hasard providentiel où il pressent comme une prédestination de la protection d’écrivains contemporains dont il apprend qu’ils ont croisé son chemin. Ainsi Virginia Woolf, "la romancière anglaise au nom de loup", devait passer aux environs de Siom, où elle eût pu rencontrer sa mère. Simone de Beauvoir avait des "attaches limousines". André Malraux, du temps qu’il était le "colonel

Berger" dans la Résistance, avait accordé sa protection à la mère et à la grand-mère du narrateur gravement lésées par les maquisards [...] le bref séjour de Françoise Sagan à l’hôtel familial, même en l’absence du narrateur, n’a pas été sans "conséquences littéraires" […] Lisant enfin Le Mystère Frontenac de Mauriac, […] il s’identifiait si profondément au personnage d’Yves Frontenac, l’adolescent promis, comme l’auteur, à une carrière d’écrivain, qu’il espérait pouvoir à son tour "raconter des histoires de cet ordre, vécues ou rêvées […]1

.

À cela s’ajoutent toutes les œuvres des grands écrivains que le narrateur a dû lire

dans sa première adolescence. Les « ombres » des écrivains rappellent celles de leurs personnages et, à leur tour, ces personnages vivent intensément dans les pensées du narrateur : tout d’abord, comme Yves Frontenac (VPO, 339), il souhaitait devenir

écrivain ; ensuite, comparant le paysage de Millevaches dans une ancienne carte postale à une lande du « Yorkshire où Catherine Earnshaw va retrouver Heathcliff », il dit qu’il

« n’[a] jamais séparé ce qu’on appelait l’ancien temps […] de ce que [lui] a donné la littérature […] » (113) ; par ailleurs, il rêve « d’habiter un lieu idéal : quelque chose qui […] serait à égale distance du château de Montheix, du Valois de Nerval, de la Sologne

du Grand Meaulnes et de la Bretagne de Chateaubriand » (414) ; enfin, il va jusqu’à voir, dans sa vie d’adulte, la figure de son amante Marina confondue avec celles des livres (ou parfois de l’histoire), figures qui l’ont marqué dans sa jeunesse :

Pourrait-elle, Marina Faurie, trop jeune fille d’aujourd’hui et par conséquent peu sensible, sinon sourde, à ce qui se déploie dans les vieux noms français qui m’ont tant donné à rêver, lorsque je vivais sur les hautes terres limousines, et dont l’énumération constitue à elle seule une sorte de poème, Julie d’Étange, Béatrix de Castéran, Madeleine de Nièvres, Clara d’Ellébeuse, Yvonne de Galais, Oriane de Guermantes, Sygne de Coûfontaine, oui, pourrait-elle ma jeune maîtresse, se montrer sensible, autant que je l’ai été, à seize ans, vouant même une sorte d’amour à cette femme dont je n’a jamais vu le portrait, au nom de Marie de La Morvonnais, sur la mort de qui le doux Maurice de Guérin a écrit en 1835 une belle Méditation ? (18)

Les ombres des écrivains, les ombres de leurs personnages, les ombres des figures historiques, les ombres des paysages, les ombres des objets, les ombres des personnages des propres romans de Richard Millet comme celles de Jean Pythre, de Céline Soudeils et de Philippe Feuillie, les ombres des grands-tantes de Pascal, Marie et Jeanne Bugeaud, de son oncle Berthe-Dieu, de sa grand-mère Louise, de son père inconnu qui est

d’ores-et-déjà une ombre, de sa mère et de lui-même, toutes ces ombres qui émerveillent la face

cachée de l’enfant dans l’adulte, font de lui un témoin des existences abolies, une sorte de

sauveur qui essaie de restituer la vie achevée des êtres réels ou imaginaires. Il essaie

d’incarner leur passé dans le présent en fouillant dans les archives de sa mémoire et de

son imagination. Il les a déjà perdus et il revient à eux à travers l’écriture de leurs paroles

et de leurs gestes ; il les fait revivre, réanime la mort et pénètre dans les ténèbres de

l’enfance où la douleur est énorme quant à la perte des êtres par l’effet du temps

« mordicant ». En effet, aux funérailles de sa grand-mère Louise, le narrateur ne croit pas à la mort totale de celle qui a remplacé, dans sa deuxième enfance, sa mère ; il dit qu’

« elle allait, sous terre, pouvoir continuer de songer à nous autres vivants » puisque les morts « n’existent que dans la mesure où on parle d’eux. » Il deviendra le porte-parole de ces êtres enfouis dans les ténèbres de l’oubli et il « écrira leur ombre » dans sa misère ou

dans sa grandeur ; il croit à la seule façon de les garder en vie : l’écriture. Celle-ci est

finalement le biais par lequel on « œuvr[e] à la destruction du temps, [on] entr[e] dans

une autre figuration de la vie et de la mort et [on] ouvr[e] dans la ténèbre un autre espace » (433-434), un espace où les morts sourient et étreignent et avec qui on peut causer même dans les fonds sombres des caves et des greniers où ils ressuscitent dans les

yeux de l’enfant explorateur.

2.2- L’emboîtement : les caves et les greniers

Le ravissement de Pascal Bugeaud enfant, et plus tard adulte, quant au monde souterrain, au monde labyrinthique, à l’univers renfermé des greniers et des caves est tel que de grands passages de l’enfance siomoise dans Ma vie parmi les ombres sont

consacrés à la description des caves et de greniers de la « vieille maison et de l’Hôtel du

Lac », des caves de Marie, de Jeanne et de Louise, des odeurs du fermé, de la mort et des ténèbres. Le narrateur évoque ces endroits comme les « lieux privilégiés de [ses] premières découvertes » (50) ; à l’âge de six ans, il visite le sombre grenier de la vieille

maison :

[…] en 1959, c’était à ces bâtiments que pour moi se résumait le monde, et avant tout à ces escaliers, passages et couloirs qui, des caves de la vieille maison aux greniers de Marie et de Jeanne, constituaient un labyrinthe dans lequel je me suis longtemps égaré […].

Un labyrinthe où je ne pénétrais pas sans frémir ; l’ombre y était aussi épaisse que le silence, et je n’étais renseigné sur ma position que par la rampe de bois humide, par les yeux des chats brillant dans le noir, par les souffles plus froids venus de chambres dont pour rien au monde je n’aurais entrebâillé la porte, seul, la plupart du temps, pas assez grand pour atteindre les commutateurs […].

Le grenier de la vieille maison s’ouvrait devant la chambre où je suis né […]. (52-53)

Le narrateur s’exprime par la bouche d’un enfant qui, plus tard, saura mieux rattacher l’angoisse des ténèbres extérieures à l’effroi profond de l’être face à sa propre

difficile, du mouvement angoissant1 », explique Bachelard, et le labyrinthe dans lequel

erre l’enfant semble parsemé d’obstacles qui l’empêchent de bouger à son aise : le noir, le

silence, le froid et sa petite taille. Un retour à l’évocation de la chambre natale est volontairement mentionné par l’auteur. En effet, Bachelard se demande si le labyrinthe

est « un traumatisme de la naissance » et il résume que « le labyrinthe est une souffrance

première, une souffrance de l’enfance2

». Les peurs de l’enfant créeront toujours, malgré

la clarté et la lumière, une atmosphère macabre et un monde isolé où la solitude amplifie le sentiment de frayeur tel que « certaines angoisses enfantines trouveront toujours une porte étroite, un couloir un peu sombre, un plafond un peu bas pour en faire les images du

resserrement, les images d’une physique d’oppression, les images d’un souterrain3

».

C’est ainsi qu’est révélée l’angoisse de Pascal lorsqu’il quitte le grenier pour visiter « la

première cave » où la porte « marquait la frontière entre le monde habitable et celui des ténèbres » (VPO, 60), la tirant derrière lui, ayant ainsi traversé le seuil qui sépare la

lumière et l’obscurité. Ce ne serait que la ligne qui coupe la quiétude de l’enfance et la peur d’un monde nouveau et inconnu, le « monde des ténèbres » ou tout simplement, le

« monde souterrain ».

Celui-ci est exploré lorsque l’enfant découvre « une autre cave » qui est plutôt un

« caveau » ou un « tombeau » et où son imagination des morts abritant le monde souterrain justifie les angoisses enfantines expliquées plus haut par Bachelard :

Car ce qui m’inquiétait, dans ces caves, tout en maintenant à un haut degré ma curiosité […], c’était bien sûr le contenu des casiers, les étagères creusées dans le roc, les recoins que n’atteignait pas la lumière tombant du plafond correspondant au plancher de l’Hôtel du Lac (une mince épaisseur de chêne sonore séparant deux mondes aussi incompatibles que la vie et la mort, de sorte que mon oreille percevait, là-haut : bruits de pas, chaises remuées, coups sourds, rires, éclats de voix, me semblait n’appartenir à nulle langue, ne pouvoir être rapporté à aucun buveur diurne mais aux morts que j’imaginais allongés contre la muraille du fond […]. Une inquiétude vite muée en dégoût puis en une terreur qui m’obligeait à quitter les lieux le plus doucement possible, pour ne pas réveiller ce qui sommeillait là, dans le sol : surface meuble et tiède, apparemment […] qui avait tout d’une terre sablonneuse où s’enliser […]. (61-62)

L’invisible est ce qui crée la peur de Pascal : le « contenu », les « creux », les

bruits qui ne viennent de nul être visible, le souterrain caché et qui ressemble « aux sables mouvants » qui aspirent les êtres dans ce que Bachelard appelle un « fleuve souterrain4 ». Les voix et les bruits variés viennent des morts, selon Pascal, bien qu’il sache qu’un hôtel

1 G. BACHELARD, La Terre et les Rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948 (éd. 2004, « Les Massicotés »), p.207.

2

Ibid, p.243.

3 Ibid, p.243-244.

entier est en train de bouger là-haut avec ses clients, ses visiteurs, ses serveurs et ses

propriétaires. Il se crée un monde de ténèbres puisqu’il imagine que « les morts de la

famille Bugeaud reposaient là, dans cette cave, et non au cimetière », « ils gisaient là, dans la cave, en attendant la résurrection de la chair », se persuade-t-il. Son seul refuge

lorsqu’il est soumis à ses propres imaginations effrayantes c’est le retour au visage de sa

mère qui, elle aussi, occupe une place importante dans ce monde souterrain : elle est celle qui le sauve et qui le protège. Il la voit « étendre en souriant sur [les morts] une main comminatoire, en un geste qui [lui] faisait comprendre qu’[il] n’avai[t] rien à craindre d’eux, qu’[ils] pourr[aient] un jour être ensemble, elle et [lui], n’imaginant pas qu’[il]

puisse mourir seul, ni elle sans [lui] […] » (63-64).

L’image de la mère et l’image de la grotte qu’on substituerait ici à celle de la cave sont isomorphes selon Bachelard et Durand qui s’entendent pour donner à ce symbole, le sens d’un « retour à la mère », plus précisément à la « mère tellurique » (la cave se

rattachant à la maison donc à la terre), au giron protecteur de la vie originelle.

Suivent des découvertes régulières dans les caves de Marie puis de Louise à Villevaleix ; il imagine tout un monde d’horreurs : des « morts peuplant les greniers »,

des « morts ensevelis », des « momies » (68-70), des « chauves-souris monstrueuses » (326)… Toutes ces images sont revues par l’adulte qui raconte et qui se souvient surtout de l’odeur « méphitique » de ce monde :

Ni le mot "renfermé", ni celui de "remugle" ne sont assez forts, malgré leur justesse, pour désigner l’odeur délétère et funèbre que je respirais là, comme dans les chambres où venait de mourir quelqu’un […]. (168)

Le narrateur adulte et écrivain use de sa faculté olfactive pour se souvenir des

odeurs qu’il abhorrait enfant : ce sont ces odeurs macabres qui, peut-être,

construisaient-elles ce monde de ténèbres, un monde qui le rattache aussi au vin et à sa couleur.

Gardé au fond des caves dans les souterrains siomois, son « odeur insidieuse » donnait à Pascal « l’impression de marcher dans quelque chose qui avait à voir avec le sang autant qu’avec le produit de la vigne » (423). Richard Millet évoque, dans un article

à publier en Tunisie sur « Le vin du Liban », ses souvenirs du monde souterrain des caves limousines où le vin « venait d’une cave si profonde qu’il [le] répugnait, comme tout ce

qui séjourne au sous-sol, [lui] faisant même imaginer que, s’[il] en buvai[t], il avalerai[t] un peu de sang des morts dont [il s’] étai[t] persuadé que certains reposaient là, dans les

ténèbres de la cave. » Et il conclut que les vins libanais sont considérés comme « une

l’enfance, c’est-à-dire une manière d’éternité1

». Ce retour incessant à l’enfance explique l’attachement à un monde révolu, la perte de la perfection d’un univers que seuls les

souvenirs ravivent : malgré la noirceur des images des caves et des greniers, il est une certaine nostalgie pour les « angoisses enfantines » que Millet évoque, encore une fois, dans les pensées et les imaginations de plusieurs de ses personnages lorsqu’ils sont solitaires dans leur chambre, blottis dans un lit froid, au fond d’une obscurité que nulle

lumière ne peut réduire.

2.3- La chambre noire : espace clos, flux d’images et peur infantile

À travers la représentation effrayante qu’il donne de la nuit, le narrateur de Ma vie parmi les ombres exprime l’angoisse que lui inspire le noir ténébreux de la chambre

close, au milieu d’un silence funèbre et à travers l’imagination bien développée d’un

enfant solitaire. Cette chambre se situe en Corrèze, à Siom, là où la nuit est plus dense et

plus profonde. Pascal Bugeaud était horrifié à l’idée de dormir seul « dans les chambres où il n’y avait nulle lampe de chevet », dans « son lit de ténèbres », dans les chambres

« froides, humides, tristes [et] sinistres. » Il préférait se faufiler dans la chambre de sa grand-tante Marie, « chez qui [il] dormai[t], la plupart du temps » (49). Mais à Villevaleix, chez sa grand-mère Louise, il dormait seul dans une des trois chambres du premier étage, « la première étant occupée par [sa] grand-mère […] et la troisième par [sa] mère, quand elle venait à Villevaleix, de sorte qu’[il] étai[t] presque toujours seul

là-haut dans cette chambre » (222). L’insomnie l’accable : l’épreuve de monter la nuit à l’étage et d’écouter les pas de Louise se relever pour redescendre est déjà une introduction aux imaginations nocturnes et solitaires de l’enfant :

Mais lorsque la nuit était là et qu’il me fallait monter seul un escalier semblable à celui de la maison de Marie […] je ne me défendais pas d’un frisson qui faisait sourire Louise, elle qui vivait là, seule, depuis si longtemps […]. Elle me promettait de monter dormir là-haut, dans sa chambre d’été dont j’entendais grincer le lit qu’elle quittait quelques instants plus tard, me croyant endormi, voire rendormi, après que j’avais perçu dans mon premier sommeil son pas lourd dans l’escalier qui lui faisait peine à monter. […] elle marchait comme si elle se déplaçait dans un autre monde, cette vieille femme étrange, inquiétante […]. (224)

Il perçoit le bruit des persiennes de sa chambre en bas qui se referment puis il se

dirige vers la porte de l’armoire pour la fermer à clé et la couvrir d’un drap car la glace

qui occupe toute la porte est un signe de malheur selon Marie : « il n’est pas bon de

dormir en face de sa propre image, car on risque de ne pas se réveiller du bon côté du

miroir, et de demeurer prisonnier à jamais de son propre reflet, devenir un fantôme avant

l’heure. » La peur de l’enfant vient aussi donc des superstitions et des croyances de Marie qui lui a appris aussi que laisser une porte ouverte c’est « entrebâiller une porte sur les

ténèbres » (225), celles-ci étant selon Durand, « chaos et grincement de dents1 », donc un lieu souterrain infernal, l’endroit d’où sortent les « puissances inconnues » :

[…] si grande était ma peine que je finissais par gémir, par pleurer, d’abord doucement, pour ne pas réveiller les puissances inconnues, puis en m’engouffrant tout entier dans le hurlement que je ne pouvais plus retenir et par lequel j’en appelais à Marie, à Jeanne, jamais à Louise […]. (228)

La chambre nocturne est dès lors l’espace où s’opère une vertigineuse descente

vers un souterrain épouvantable, ne serait-ce que le lieu des angoisses propres à l’enfant et qui se développent et continuent à exister chez l’adulte comme chez la mère de Pascal

qui lui parlait des insomnies en expliquant :

Des insomnies, mon petit Pascal, tu ne sais pas ce que c’est que de ne pas dormir, de remuer jusqu’à plus soif de l’obscurité qui nous entoure, de s’en faire un foulard assez grand pour servir de linceul. Et cette solitude, cette solitude… (375)

Il semble que la nuit de l’enfant, de sa mère, de sa grand-mère et de sa grand-tante

ait le même poids infernal. Les superstitions des adultes se calquent sur les visions de

l’enfant, de génération en génération, on pénètre plus profondément dans la noirceur des

« ténèbres nocturnes » qui, pour Durand, « constituent le premier symbole du temps2 », celui-ci étant immobile, infini et lourd comme la mort. L’obscurité sert de « linceul »