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Témoignage d’une mère : « l’accompagnement de ma fille autiste dans son entreprise »

Dans le document N 83/84 A.N.A.E. (Page 63-67)

sonne si particulière qu’il faut apprendre à connaître pour la com-prendre et communiquer avec elle... » Lorsqu’on est convaincu que l’inté-gration est le plus puissant moyen d’améliorer la situation de la per-sonne autiste, la question n’est plus de savoir s’il faut l’intégrer ou non, il s’agit de se donner les moyens de réussir cette intégration.

Une fois de plus, c’est l’expérience con-crète qui a guidé notre réflexion. À l’issue de six années d’intégration sco-laire, nous faisions le constat suivant.

Tous les problèmes rencontrés : échec, épuisement, régression, avaient été générés par le manque de formation de certains professionnels.

Nous tenions notre deuxième principe fondateur. La poursuite de l’intégration ne pouvait être confiée qu’à des profes-sionnels de haut niveau spécifiquement formés à l’autisme.

Les parents présents aujourd’hui savent combien il est encore laborieux de mettre en place l’intégration scolaire de leurs enfants. Mais quand il s’agit de mettre en place l’intégration profes-sionnelle d’adultes autistes, cela relève de la gageure.

Aussi, avons-nous eu beaucoup de chance de rencontrer en 1996 la profes-sionnelle ultra compétente mais surtout déterminée à relever ce défi. Respon-sable du suivi de la classe intégrée, Maria Pilar Gattegno avait gagné la confiance et l’estime des parents par un travail très rigoureux. Mais il y avait dans sa démarche quelque chose de tout à fait exceptionnel, une « vision à long terme ». Consciente que nos ado-lescents autistes allaient devenir des adultes autistes et qu’ils avaient besoin, en tant qu’adultes, d’une prise en charge adaptée pour continuer à pro-gresser, elle a mis en place, parallèle-ment à la vie scolaire, des stages d’initiation en milieu professionnel ordinaire. Elle rendait possible ce qui était logique et cohérent : poursuivre l’expérience réussie de l’intégration sco-laire par celle de l’intégration profes-sionnelle, à cette exception près qu’elle était, en France, pionnière.

Soutenue par notre association paren-tale, elle a construit et mis en place le programme job coaching. Si l’initiative parentale est encore indispensable au départ, un projet de qualité ne peut s’inscrire dans la durée que si les pro-fessionnels viennent relayer les parents fondateurs et instaurent avec eux une collaboration active.

Je suis persuadée que c’est notre collaboration professionnels-parents fondée sur le respect mutuel, la complé-mentarité et la transparence qui nous a permis de mener à bien notre projet.

Les parents assument le volet financier, juridique, fiscal et la recherche des entreprises.

Maria Pilar Gattegno et son équipe de job coachspsychologues et étudiants en psychologie gèrent tout le partenariat avec l’entreprise et l’accompagnement de l’adulte autiste sur son lieu de tra-vail et dans la vie sociale (Gattegno, 2005).

Notre activité correspond à un besoin totalement insatisfait d’insertion pro-fessionnelle de l’autiste en milieu ordi-naire. Il est urgent, non seulement de mettre en place des dispositifs d’insertion sociale et professionnelle spécifiques pour nos enfants, mais éga-lement de former les professionnels à cette prise en charge particulière.

En effet, lejob coaching est un travail d’équipe très novateur, fondé sur le partenariat actif des divers interve-nants : les psychologues, la personne autiste, l’entreprise, la famille.

L’équipe opérationnelle est constituée d’une psychologue expérimentée super-viseur-coordinateur, et de psychologues accompagnateurs oujob coachs.

Le coordinateur assure la sensibilisa-tion du milieu d’accueil, l’informasensibilisa-tion du personnel de l’entreprise, la supervi-sion et l’encadrement des coachs, la relation avec la direction de l’entreprise et les familles, les évaluations de la per-sonne autiste.

Lejob coach assure l’accompagnement de la personne autiste sur son lieu de travail et l’adaptation du poste de tra-vail. Au départ très présent pour aider à la réalisation des tâches et gérer la prise de contact avec les autres travail-leurs, il doit, quand l’autonomie de la personne autiste est satisfaisante, pré-parer l’intervention de plusieurs tuteurs avant de se retirer progressivement. Les tuteurs sont des salariés volontaires de l’entreprise.

Notre premier objectif est d’obtenir pour la personne autiste la possibilité d’effectuer un travail guidé par les sala-riés de l’entreprise. Mais la nouveauté réside dans notre deuxième objectif : apporter à l’entreprise un soutien per-manent pour une pérennisation des emplois obtenus. C’est-à-dire que le jeune autiste ayant acquis les aptitudes de travail nécessaires sera toujours suivi par les psychologues qui inter-viendront de façon régulière ou ponc-tuelle dans l’entreprise en fonction des besoins des salariés de l’entreprise comme de la personne autiste.

Alors comment convaincre l’entreprise d’instaurer une collaboration aussi étroite et à long terme ? C’est la com-paraison entre l’intégration profession-nelle des personnes handicapées physi-ques et des personnes autistes qui nous

permet de faire prendre conscience à l’entreprise de la spécificité et de la nécessité du travail de collaboration avec les psychologues de l’intégration au sein même de l’entreprise.

En effet, l’observation, le bon sens, le dialogue avec la personne handicapée physique suffisent généralement à son intégration. Il n’en est pas de même pour la personne autiste.

L’altération de ses facultés intellectuel-les, son style cognitif différent, ses défi-cits de socialisation imposent de faire appel à des spécialistes car l’adaptation du poste de travail ne dépend pas seu-lement d’équipements matériels parti-culiers mais surtout d’une compréhen-sion de l’autisme et d’une transmiscompréhen-sion réciproque de connaissances et de savoir-faire concernant aussi bien le fonctionnement de la personne autiste que les caractéristiques de la tâche à accomplir.

L’information initiale sur l’autisme est essentielle mais la présence du coach sur le terrain au jour le jour permet d’approfondir la préparation du milieu d’accueil en réalisant un guidage des salariés de l’entreprise par rapport à la personne autiste. Dans ce climat de confiance réciproque, on peut compter sur la collaboration efficace de l’entreprise devenue partenaire actif du projet d’insertion.

Très concrètement, à titre d’exemple, nos partenaires Monoprix et ATAC illustrent cette collaboration exception-nelle en comptant parmi leurs salariés deux jeunes autistes embauchés en con-trat à durée indéterminée.

Permettre à des autistes d’avoir accès au monde du travail en milieu ouvert et de s’intégrer au mieux dans la commu-nauté sociale constitue une véritable révolution. Cela permet de dénoncer l’hypocrisie de la conception protec-tionniste caractérisée par la mise à l’écart systématique de la personne autiste et la création de lieux de vie iso-lés, coupés de tout contexte social et économique.

Quels que soient les lois et les textes réglementaires, la réalité française est la suivante : parce que cette personne est handicapée, on la sur-handicape en l’excluant de la communauté sociale. Il serait temps de passer de l’autiste enfermé et médicalisé à l’autiste éduqué et socialisé. Car la démarche essentielle est de trouver les meilleurs compromis entre les compétences personnelles exis-tantes ou à développer de la personne autiste et les exigences de situations sociales. Cela signifie que le handicap dépend surtout de la société et de la culture ambiante. Il est directement lié aux diverses situations auxquelles la personne autiste est confrontée dans

l’environnement ordinaire et dans la vie de tous les jours. En fait, il s’évalue en termes psychosociaux. Mais ce secteur professionnel de la prise en charge de la personne handicapée a du mal à s’extraire de son héritage, à la fois cari-tatif et paternaliste, pour s’insérer dans la société environnante.

Le travail novateur de Maria Pilar Gattegno (Gattegno, 2001 ; 2002) bou-leverse non seulement les modèles intel-lectuels en place, mais aussi les attitu-des et les pratiques professionnelles.

Car elle s’est dotée d’une véritable théorie de l’insertion. Cette théorie repose sur un constat lucide : le handi-cap c’est avant tout la perte d’autonomie et si toute vie, dans son principe, est digne d’être vécue, elle ne le devient réellement pour la personne handicapée que si celle-ci trouve dans la société un accueil et un accompagne-ment adaptés.

C’est pourquoi, le programmejob coa-ching concerne tout autant l’amé-lioration des compétences de la per-sonne autiste que l’information et l’aide à apporter au milieu d’accueil.

Mais l’intégration ce n’est pas seule-ment une question de méthodes et de compétences, c’est aussi et peut être avant tout un état d’esprit. Pour repla-cer la personne avec autisme dans la cité « il faut non seulement y croire » comme le suggère l’intitulé de cette journée scientifique mais il faut aussi construire concrètement et avec beau-coup de rigueur l’intégration de nos enfants par des évaluations précises, par repérage des compétences et des déficits, par une recherche des motiva-tions et des capacités en émergence.

Mais Maria Pilar Gattegno aurait-elle réussi sans ce qui est à mon sens déter-minant et remarquable dans sa démarche professionnelle : le respect et la confiance spontanés qu’elle témoigne à nos enfants ?

Les respecter, c’est travailler sans cesse les compétences sociales, développer les atouts et les points forts au lieu de s’attacher à l’observation stérile des incompétences et des symptômes dits pathologiques, leur faire confiance.

C’est les accompagner en milieu

ordi-naire où la diversité des situations et la multiplicité des contacts sont une source inépuisable d’apprentissages, d’entraînement, donc de progrès.

Éduquer des autistes ne se limite pas à des séquences d’apprentissages thémati-ques. L’éducation est partie intégrante de leur existence et ils devront apprendre la vie tout au long de leur vie.

Mettre au monde un enfant autiste est une situation génératrice d’une souf-france difficilement supportable et l’exclusion sociale systématique de cet enfant, dans notre pays, accable encore davantage des parents durement éprou-vés.

J’ai connu, les premières années, l’impuissance, le désespoir, l’isolement et cet irrationnel sentiment de culpabi-lité largement entretenu par les psy-chiatres. Et puis, un jour, on m’a écoutée, on a tenu compte des remar-ques, des observations de la mère de Raphaële et l’on a même apprécié mes initiatives. Cette collaboration avec les psychologues de notre association m’a permis de me réparer, de mobiliser l’énergie, le courage et l’optimisme dont nous avons besoin, en tant que parents, pour faire face.

Pour conduire un programme d’inté-gration en entreprise, l’investissement des parents doit être à la hauteur de l’engagement des professionnels. La conviction n’exclut pas la lucidité. Je suis pleinement consciente que ma fille Raphaële ne sera jamais autonome et indépendante. Mais l’intégration pro-fessionnelle a donné un sens à sa vie, a révélé son immense courage, sa volonté et sa joie de vivre, et m’a permis de dépasser ma souffrance de parent et d’être fière de ma fille autiste.

Le drame du chômage, aujourd’hui, souligne combien le travail est un puis-sant facteur d’équilibre, de prise de repères et de prévisibilité pour l’être humain dans notre société. Maîtriser même partiellement sa vie, au lieu d’être totalement assisté, permet d’éviter les dérives dépressives et agres-sives de l’âge adulte auxquelles sont exposés les autistes en milieu fermé.

« À une culture des murs, il faut

substi-tuer une culture de la personne. » Cette remarquable formule du psychosocio-logue Jean-René Loubat résume toute la problématique actuelle1. Les sociolo-gues affirment que nous nous situons à un tournant historique de l’action sani-taire et sociale. Que ce secteur doit entamer une rénovation fondamentale.

Qu’aux dérives idéologiques passées, il faut substituer une déontologie profes-sionnelle fondée sur l’affirmation des droits de la personne handicapée, sur la volonté de replacer cette personne au centre de tous les dispositifs, sur la recherche de sa promotion personnelle et sociale.

Tout conforte ces nouvelles approches, y compris le travail du législateur qui, dans la loi du 2 janvier 2002, préconise pour la personne handicapée, je cite :

« Une prise en charge et un accompa-gnement individualisé de qualité favori-sant son développement, son auto-nomie et son insertion, adaptée à son âge et à ses besoins. »

Et pourtant, notre association cherche toujours des soutiens financiers pour développer son activité d’intégration.

Peut-être est-ce encore trop audacieux, alors que le débat actuel porte sur la compensation du handicap, d’affirmer que la véritable compensation serait peut-être la reconnaissance citoyenne par le droit au travail ?

Les années passent et je constate que la conclusion de mes interventions de parent-témoin est toujours la même : un appel à la mobilisation parentale.

Parce que les professionnels français sont encore peu nombreux, ils ont besoin du soutien actif de parents déterminés et combatifs sinon ils ris-quent de s’épuiser dans un combat iné-gal face à l’immobilisme coupable de notre pays en matière de formation à l’autisme et l’absence de prise en charge adaptée.

Claude Collignon2

1. J.-R. Loubat : Élaborer son projet d’établissement social et médico-social et Instaurer la relation de service, Éditions Dunod.

2. Présidente de l’association Plate-Forme Passage, 5, rue Bargue, 75015 Paris.

A.N.A.E.

A P P R O C H E N E U R O P S Y C H O L O G I Q U E D E S A P P R E N T I S S A G E S C H E Z L ’ E N F A N T

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