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ÉTUDES DE CAS Exemple d’intégration professionnelle

Dans le document N 83/84 A.N.A.E. (Page 50-53)

Apports de l’ergonomie

ÉTUDES DE CAS Exemple d’intégration professionnelle

d’une jeune adulte autiste

Le faible nombre d’autistes insérés professionnellement a pour conséquence une faible expérience qu’en ont les

ergo-nomes qui interviennent dans les entreprises. Une observa-tion, d’ailleurs presque fortuite, que nous avons faite, illustre à la fois les possibilités d’insertion et les difficultés.

Il s’agit d’une jeune femme (25 ans) travaillant dans une petite chocolaterie artisanale. Elle se dit elle-même autiste.

Sa fonction consiste à mettre dans des boîtes de formes diverses des assortiments de chocolats, eux aussi de formes diverses. Il s’agit de remplir les boîtes tout en respectant un certain poids. Cette jeune femme fait parfaitement son travail, qui lui plaît. Elle n’a pas à travailler devant la clientèle et n’a normalement à avoir de contacts qu’avec son patron et quelques autres employés, femmes et hom-mes, d’âge variable. Le problème vient, précisément, des rapports avec les autres employés. Elle parle très peu spontanément, bien qu’elle sache parler tout à fait norma-lement. Elle a fait des études primaires, et même un début de secondaire, mais perturbées par des arrêts fréquents et des séjours hospitaliers. Son niveau d’études n’est cepen-dant pas en cause, ni l’absence totale de diplôme. Elle lit, écrit et compte tout à fait correctement, en tout cas assez pour son travail qui, d’après son employeur, est irrépro-chable. Si les autres personnes de l’entourage semblent ne pas bien « savoir s’y prendre avec elle », c’est plutôt elle qui les fuit. Elle les trouve bavards, bruyants et surtout désordonnés. Hyperordonnée et méticuleuse, elle exige que

« les choses soient toujours à leur place », emballages vides, boîtes remplies, plateaux de chocolat d’où l’on choi-sit les chocolats à mettre dans les boîtes, vêtements, etc.

Finalement, pour éviter tout conflit, une solution apai-sante a été trouvée : un petit local pour elle seule, qu’elle range à sa façon et sans variante, et travaille à son rythme.

En dépit du fait qu’elle soit peu tolérante à tout change-ment, elle est plutôt bien adaptée à cette petite entreprise, qu’elle ne voudrait pas quitter.

Le point de vue des chefs d’entreprise

La portée du cas précédent peut sembler limitée, en raison du degré modéré d’autisme de cette personne, mais montre au moins qu’une insertion « quasi normale » est possible lorsque l’entourage professionnel accepte les aménage-ments ou réorganisations nécessaires. Par ailleurs, des interviews menées auprès de deux chefs d’entreprise ayant participé au projet d’accompagnement en entreprise « job coaching »(Gattegno, 2004) et ayant suivi le même adulte autiste pendant quatre ans ont montré que l’insertion, cer-tes pas simple, est possible selon certaines conditions essentielles :

– motivation et investissement de la part du dirigeant ; – motivation et acceptation du personnel ;

– bonne connaissance des symptômes autistiques de la part de l’ensemble du personnel ;

– stabilité des personnels dans l’entreprise.

Il s’agissait pour ces deux chefs d’entreprise, gérants de magasins de petite et de moyenne distribution, de leur pre-mière expérience d’intégration d’une personne autiste. Ils ne possédaient aucune connaissance et n’avaient aucune formation sur l’autisme avant de débuter l’intégration.

C’est par curiosité vis-à-vis de la pathologie qu’ils ont accepté de participer à un tel projet. Aujourd’hui, ils sont d’accord pour affirmer que cette expérience leur a fourni un enrichissement personnel, mais qu’ils n’auraient pas

non plus eu l’idée de tenter une telle insertion, s’ils n’avaient pas été sollicités par une association de parents, investie dans le projet d’accompagnement en entreprise

« job coaching ». Ce projet a pour objectif de permettre à l’adulte d’acquérir une autonomie dans les tâches qu’il a à réaliser au sein de l’entreprise. L’adulte doit effectuer diverses tâches et les directeurs reconnaissent qu’il s’agit notamment de missions que les autres employés n’ap-précient pas d’effectuer...

La réussite de l’intégration passe également par l’inves-tissement personnel de certains employés, qui peuvent devenir les tuteurs de l’adulte autiste, en travaillant à ses côtés, prêts à lui venir en aide s’il se trouve en difficulté dans l’exécution des tâches.

Plus particulièrement, pour ce qui concerne ce cas d’intégration, l’adulte autiste travaille en réserve où il prépare la marchandise destinée aux rayons du magasin.

Il place les vêtements sur des cintres et accroche les anti-vols. Il s’occupe également des commandes en préparant les colis. L’adulte autiste s’épanouit ainsi à travers ces activités, se sent utile et participe au bon fonctionnement de l’entreprise. Les gestes à réaliser sont répétitifs, ce qui lui permet de travailler quasiment tout seul. Une fois l’autonomie acquise sur ce poste de travail, l’accom-pagnant, le psychologue superviseur et le directeur s’entretiennent afin de trouver une solution pour faire évoluer l’adulte en lui donnant d’autres tâches à effectuer.

Par exemple, pour ce cas précis, après avoir préparé la marchandise en réserve, la personne autiste doit ensuite la placer en rayon. Il s’agit d’une nouvelle étape pour lui. Il se trouve en contact avec le reste des employés, mais sur-tout avec les clients. L’accompagnant doit alors mettre en place des méthodes qui permettent de gérer les réactions de peur ou d’agressivité que l’autiste peut manifester. Il faut à la fois que ces méthodes soient efficaces auprès de l’adulte et qu’elles ne gênent ni ne perturbent l’orga-nisation du travail des autres employés.

Il est donc nécessaire que le directeur, l’accompagnant et le psychologue se rencontrent régulièrement, d’une part dans un objectif de transmission de connaissances quant aux troubles autistiques, et d’autre part afin de trouver les meilleures solutions de travail pour l’autiste et pour l’entreprise ; ce qui occasionne évidemment des contraintes supplémentaires pour le dirigeant.

Afin que l’intégration puisse être efficace, il faut évidem-ment que le dirigeant accepte ces contraintes et puisse éga-lement rester suffisamment longtemps dans l’entreprise. Or dans la petite et moyenne distribution, on constate un fort

« turn-over » des gérants.

Pour ce cas précis d’intégration, le premier dirigeant a été muté deux ans après le début de cette expérience. La per-sonne autiste a été déstabilisée par ce départ, car des liens sociaux à la fois professionnels et amicaux s’étaient créés.

De plus, le nouveau dirigeant ne semblait pas vouloir réel-lement participer au projet d’insertion. Les parents de la personne autiste ont donc contacté l’ancien directeur en lui demandant s’il acceptait de prendre l’adulte autiste dans son nouvel établissement et de continuer à travailler avec lui. Il a alors réuni l’ensemble du personnel et a demandé leur accord. Tous ont accepté de participer au projet. L’intégration avec ce premier directeur a repris ainsi pendant un an. Puis, il a été une nouvelle fois muté,

mais son successeur a bien voulu accepter de poursuivre le travail d’intégration.

Ce recueil de témoignages montre bien que le chemin de l’insertion professionnelle des personnes autistes est encore parsemé de difficultés, certes surmontables, mais pas tou-jours simples à gérer.

CONCLUSION

La problématique de l’insertion professionnelle des per-sonnes autistes est encore à construire.

Le pourcentage d’autistes bien intégrés dans un emploi stable est certainement très inférieur à ce qu’il pourrait être si les structures de travail étaient plus accueillantes et mieux adaptées. Le milieu ordinaire accueille déjà certains autistes, y compris des autistes fortement atteints, et pour-raient en accueillir davantage, en particulier par la voie d’emplois protégés en milieu ordinaire, mais les insertions de ce type resteront forcément limitées en nombre, sauf à espérer un changement profond des attitudes actuelles.

Quant au milieu protégé, très peu de structures sont adap-tées, tant pour l’emploi que pour la préparation, l’encadrement et l’accompagnement.

Le rôle de l’ergonomie ? Bien modeste, il faut bien dire, pour cette catégorie de personnes handicapées. Il y a certainement lieu d’aménager certains lieux de travail, mais ce n’est pas le point essentiel. C’est surtout au niveau organisationnel que les problèmes se posent et auxquels il faut apporter des solu-tions. Pour l’heure, l’ergonomie peut être utile en offrant son savoir-faire en matière d’analyses approfondies des situa-tions de travail sur le terrain pour mieux étudier les facteurs de réussite ou d’échec. L’urgence est de développer une meil-leure connaissance de la question, car pour bien adapter le travail à des personnes handicapées, quelles qu’elles soient, la bonne volonté et les meilleures intentions du monde ne suffisent pas, il faut aussi de la connaissance, sauf à vouloir jouer aux apprentis sorciers. Mais c’est un vrai cercle vicieux : comme il y a peu d’autistes insérés, on connaît mal les problèmes de cette insertion, et comme on connaît mal les problèmes de cette insertion, nous sommes mal armés pour adapter les situations de travail.

Il faut également étudier davantage les entourages

institu-tionnels : accompagnants16, tiers répondants, structures intermédiaires adaptées à l’autisme, qui sont de vrais métiers et non de simples activités de bénévolat, comme c’est le cas le plus fréquent actuellement. Ces métiers abso-lument nécessaires sont destinés à se développer au cours des prochaines années.

RÉFÉRENCES

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16. Une étude sur le travail des accompagnants d’autistes est en cours à l’Université de Paris 5.

L’accompagnement

de personnes autistes :

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