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CHAPITRE III - La thérapie protéique : vectorisation de protéines membranaires grâce aux

3. Les systèmes d’expression acellulaires

Le principe de base des systèmes d’expression acellulaires est l’utilisation de la machinerie transcriptionnelle et traductionnelle d’un organisme afin de produire, à partir d’une information génétique exogène, une protéine recombinante spécifique. Ces systèmes pourraient donc offrir une solution aux limites des systèmes cellulaires présentées ci-dessus. Depuis la 1ère description faite en 1950 de l’utilisation de lysats cellulaires pour synthétiser des protéines in vitro (Borsook, 1950), cette technique a évolué. Ainsi, le premier système acellulaire traductionnel à partir d’ARNm et celui de

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transcription/traduction couplées à partir d’ADN ont ainsi été développés en 1961 et 1967 respectivement (DeVries and Zubay, 1967; Nirenberg and Matthaei, 1961).

3.1.Description des systèmes d’expression acellulaires

Les systèmes acellulaires peuvent être caractérisés selon 3 principaux critères : l’origine de l’extrait cellulaire (généralement d’organismes procaryotes (bactéries) et eucaryotes (germe de blé, réticulocytes de lapin…)), le type de système de production et enfin la technique de production.

3.1.1. L’origine de l’extrait cellulaire

Préparation des extraits cellulaires

La préparation de l’extrait est très simple pour E. coli puisqu’il suffit de lyser les bactéries et d’éliminer les débris cellulaires ainsi que l’ADN bactérien (Kigawa et al., 2004; Swartz et al., 2004). C’est donc le système le plus populaire et de nombreux kits utilisant des extraits d’E.coli sont actuellement commercialisés.

Le germe de blé est utilisé depuis 1973 pour la production de protéines. Cependant, la préparation de l’extrait à partir des germes, également appelés embryons, reste laborieuse et très longue (Harbers, 2014; Takai and Endo, 2010). Grâce à la commercialisation de kits, ils sont également très utilisés actuellement.

La préparation du lysat à partir de réticulocytes de lapin est également assez complexe (Jackson and Hunt, 1983), mais des kits commercialisés facilitent ainsi l’emploi de ces lysats.

D’autres types d’extraits cellulaires peuvent également être utilisés comme des lysats de cellules d’insectes (Ezure et al., 2010) ou de mammifères (CHO) (Brödel et al., 2014) et même de cellules humaines comme les cellules HeLa (Mikami et al., 2010)

Contenu des extraits cellulaires

L’extrait issu de ces organismes contient les éléments nécessaires à la transcription et la traduction et éventuellement aux MPT : ARN polymérase T7 purifiée, ARNt, ribosomes, facteurs de régulation (initiation, élongation, terminaison), facteurs de transcription… Comme ces extraits peuvent également contenir des substances inhibitrices (nucléases, protéases, enzymes hydrolysant les nucléotides triphosphates NTP), des systèmes purifiés ont également vu le jour. Ainsi, la machinerie entière de traduction d’E. coli a été reconstituée in vitro à partir de plus de 100 composants purifiés et présente une grande efficacité de traduction (Ohashi et al., 2010; Shimizu et al., 2001).

L’ADN et l’ARNm endogènes issus de l’organisme dont est extrait le lysat sont éliminés afin d’éviter la synthèse de protéines contaminantes non désirées.

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Choix du système d’expression

Comme pour les systèmes classiques cellulaires, le choix du système doit être déterminé en fonction du type de protéine (procaryote ou eucaryote) et des applications prévues. Les avantages et inconvénients des principaux systèmes d’expression acellulaires sont détaillés dans le Tableau 6. Pour revue, voir également (Chong, 2014).

Tableau 6. Avantages et inconvénients des principaux systèmes d’expression acellulaires.

3.1.2. Le type de système de production

Le choix du système de production dépend de la forme sous laquelle est apportée l’information génétique servant de modèle : ADN (plasmide, produit PCR linéaire) ou directement ARNm.

Information génétique exogène

L’ADN modèle codant la protéine d’intérêt doit contenir dans sa séquence des éléments indispensables comme un promoteur fort pour la transcription (généralement le promoteur T7), un signal d’initiation de la traduction en 5’ (séquence Shine-Dalgarno pour E. coli ou séquence Kozak pour les systèmes eucaryotes), et des séquences de terminaison de la transcription et de la traduction en 3’ (He et al., 2011).

Les systèmes de production

Trois systèmes de production sont disponibles :

- Système traductionnel seul : l’information génétique est apportée sous forme d’ARNm directement (Figure 16).

- Système couplé : la transcription et la traduction sont réalisées en continu dans le même milieu réactionnel permettant ainsi de produire la protéine en une seule étape à partir de l’ADN. Ce système est très utilisé pour la synthèse des protéines procaryotes car elles ne nécessitent pas de modifications post-transcriptionnelles de l’ARNm (Figure 16).

- Système lié : la transcription et la traduction sont réalisées séparément à partir de l’ADN. Ce système est très utilisé pour la synthèse des protéines eucaryotes où une étape de maturation post-transcriptionnelle de l’ARNm est nécessaire : l’épissage pour éliminer les introns et l’ajout d’une

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coiffe (M7 méthyl-guanosine) à l'extrémité 5’ et d’une queue poly(A) en 3’ pour ainsi éviter la dégradation précoce de l’ARNm.

Figure 16. Les types de systèmes (traductionnel seul ou couplé) et les techniques de production (batch ou continuous exchange cell-free, CECF) en système acellulaire. RM = milieu réactionnel et FM = milieu d’alimentation, ces deux compartiments sont séparés par une membrane semi-perméable dans le système CECF (à droite). L’ADN et l’ARNm sont schématisés par une double hélice et une chaîne simple brin respectivement. Les points bleus représentent les substrats frais essentiels du milieu réactionnel et les points oranges les produits de dégradation. Schéma modifié d’après (Junge et al., 2011).

3.1.3. La technique de production

Les protéines peuvent être produites soit dans un seul compartiment (batch) soit dans un système à plusieurs compartiments :

- Batch : la durée de vie de cette technique de production est limitée à quelques heures notamment à cause de l’épuisement rapide des nutriments essentiels, la dégradation de l’ARNm et l’accumulation des produits de dégradation (Figure 16).

- Système de séparation de la chambre de réaction en 2 compartiments : le système de production CFCF (continuous flow cell-free) développé par Spirin en 1988 (Spirin et al., 1988) a été simplifié avec le développement de la méthode en CECF (continuous exchange cell-free) (Figure 16). Dans ces systèmes, la production peut être maintenue pendant de nombreuses heures (> 20h) grâce au retrait régulier des produits de dégradation du milieu réactionnel (RM = reaction mix) séparé du milieu d’alimentation (FM = feeding mixture) par une membrane semi-perméable et l’apport continu de précurseurs frais et substrats fournisseurs d’énergie ce qui augmente le rendement de production des protéines (Shirokov et al., 2007).

3.2.Optimisations de la production des protéines recombinantes

Il est nécessaire de connaître la structure de la protéine, les conditions de synthèse requises, les étapes de traitement post-synthèse (MPT) et la finalité de la protéine produite afin de déterminer le protocole adéquat à utiliser et les éléments à rajouter dans le milieu réactionnel (Carlson et al., 2012).

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Il est ainsi indispensable d’optimiser des paramètres tels que la concentration en ions et acides aminés, la qualité et la concentration de l’ADN/ARNm servant de modèle, les dNTP et les ARNt à ajouter, la source d'énergie pour alimenter la synthèse protéique (glucose, glucose-6-phosphate ou ATP directement) ainsi que le système de régénération d’énergie, les conditions réductrices ou oxydantes… Par exemple, la création d’un milieu oxydant permet de favoriser la formation des ponts disulfures entre deux résidus de cystéine et donc le repliement correct de ces protéines (Kim and Swartz, 2004). Le système peut également être stabilisé par l’ajout d’inhibiteurs de protéases et de RNAse, ou optimisé grâce à des cofacteurs, inhibiteurs ou substrats ayant un effet bénéfique sur la synthèse des protéines… L’utilisation d’acides aminés modifiés/marqués/mutés peut permettre la production d’une protéine marquée détectable par immunofluorescence ou par radioactivité, ou même biotinylée pour faciliter sa purification (Spirin, 2004).

Les systèmes classiques utilisant les extraits d’E. coli, germe de blé et réticulocytes de lapin sont incapables de réaliser des glycosylations (Tableau 5). Or, la glycosylation est l’une des plus importantes MPT et concerne notamment les protéines membranaires et les protéines sécrétées qui sont glycosylées immédiatement après leur entrée dans le réticulum endoplasmique. Des glycosylations ont pu être induites dans ces systèmes acellulaires en supplémentant le milieu réactionnel avec des vésicules microsomales provenant de la fragmentation du réticulum endoplasmique de cellules pancréatiques de chien (Lingappa et al., 1978), ou en ajoutant par exemple des composants purifiés extraits de la bactérie Campylobacter jejuni possédant une machinerie de N-glycosylation fonctionnelle (Guarino and DeLisa, 2012).

3.3.Production de protéines membranaires en systèmes d’expression acellulaires

Les protéines membranaires peuvent être produites en systèmes d’expression acellulaires selon deux principales méthodes : sous forme précipitée, ou sous forme soluble en présence de détergents ou de lipides (Junge et al., 2011). En effet, lorsqu’une protéine membranaire est produite en l’absence de compartiment hydrophobe, elle précipite spontanément ce qui peut ensuite avoir un impact négatif sur son activité après « re-solubilisation ». L’ajout de détergents ou de lipides crée alors un environnement hydrophobe essentiel pour la solubilité et la conformation correcte des protéines membranaires.

Synthèse en présence de détergents

La synthèse des protéines membranaires en présence de détergents conduit à la formation de protéomicelles. Or, certains détergents peuvent entraîner la dénaturation de la protéine, avoir un impact sur sa conformation et/ou son activité ou affecter la transcription/traduction en inactivant des composants essentiels (Klammt et al., 2005). De plus, les micelles ne miment pas tout à fait les

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membranes cellulaires et les conséquences sur la structure et l’activité de la protéine membranaire ne sont pas totalement maîtrisées (Seddon et al., 2004).

Synthèse en présence de lipides

Les lipides peuvent être amenés dans le milieu réactionnel sous différentes formes (Figure 17) : liposomes de composition définie, fractions isolées de membrane cellulaire (par exemple vésicules produites à partir de membranes internes d’E. coli), microsomes, nanodisques (nanoparticules lipidiques formées d’une double couche phospholipidique plane entourée par un coating protéique de soutien) ou de bicelles (mélange de lipides et de détergents) (Sachse et al., 2014).

Figure 17. La synthèse de protéines membranaires en système acellulaire en présence de différentes sources de lipides.

Lors de la synthèse de la protéine membranaire d’intérêt dans un milieu réactionnel contenant les éléments nécessaires (acides aminés, ARNt, ribosomes et autres réactifs), sa solubilisation peut être obtenue grâce à l’ajout de lipides sous forme de nanodisques, de microsomes ou vésicules, de liposomes ou de bicelles. D’après (Sachse et al., 2014).

Les principaux avantages des systèmes acellulaires sont leur rapidité (quelques heures contre 10-12 jours pour les systèmes cellulaires) et la production à haut débit de protéines recombinantes dans de petits volumes de réaction (µL à mL) conduisant à des taux de production de l’ordre du mg/mL de milieu réactionnel (pour des protéines solubles généralement). De plus, comme décrits plus haut, ces systèmes ouverts permettent des modifications faciles du milieu réactionnel et à tout moment en fonction de l’application prévue, le tout ayant pour objectif la production de protéines biologiquement fonctionnelles, de protéines toxiques pour les cellules ou de régulation ou instables. Ces techniques évoluent sans cesse afin d’augmenter le rendement, améliorer la fonctionnalité et la pureté des protéines produites. Celles-ci sont utilisables directement pour des études de

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protéomique structurale (résonnance magnétique nucléaire RMN ou cristallographie à rayon X) et des études fonctionnelles, de mutagénèse, la production de « puces à protéines » pour le criblage à haut débit de nouveaux médicaments-candidats contre des pathologies spécifiques mais également l’étude des processus biologiques comme la traduction protéique avec notamment le screening d’agents toxiques et l’identification d’inhibiteurs de la traduction (Carlson et al., 2012; He et al., 2011; Katzen et al., 2005; Klammt et al., 2006).