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CHAPITRE II - Les cellules souches iPS, un outil pour la modélisation physiopathologique

4. Les souris humanisées

4.1. Humanisation du système immunitaire

L’objectif du développement de modèles murins possédant un système immunitaire humanisé est de mimer le plus étroitement possible les fonctions immunes et hématologiques humaines. Ces souris sont dites souris HIS (Humanized immune system) ou HHLS (Human hemato-lymphoid system). Elles représentent de puissants outils pour investiguer l’hématopoïèse et l’immunité humaines normales mais également pathologiques, pour étudier les mécanismes d’infections par des agents pathogènes ainsi que pour tester de nouvelles molécules thérapeutiques.

Seules des souris immunodéficientes sont utilisables pour la transplantation de tissus ou cellules d’origine humaine du fait de l’absence de lymphocytes T et B murins et surtout de cellules NK dont la présence limite la prise de greffe des cellules humaines (Shultz et al., 2003). Nous détaillerons ci-dessous les différents modèles de souris immunodéficientes disponibles pour la génération de souris humanisées ainsi que les limites et améliorations de ces modèles.

4.1.1. Souris immunodéficientes SCID et NOD/SCID

L’histoire des souris immunodéficientes utilisées pour la reconstitution d’un système hémato-lymphoïde humain a réellement commencé en 1983 avec la création des premières souris C.B-17-Prkdcscid (SCID, severe combined immunodeficiency) et NOD (non-obese diabetic)-SCID qui ne produisent pas de cellules T et B à cause de mutations dans le gène PRKDC (protein kinase, DNA-activated, catalytic polypeptide) impliqué dans la réparation de l’ADN et donc nécessaire pour le réarrangement des récepteurs des cellules T et B (Bosma et al., 1983; Greiner et al., 1995; Prochazka et al., 1992; Shultz et al., 1995). Les souris NOD/SCID ont montré une meilleure efficacité de reconstitution hémato-lymphoïde que les souris SCID (Greiner et al., 1995). Cependant, elles conservent une activité de cellules NK qui ne permet pas une prise de greffe optimale (McCune et al., 1988; Shultz et al., 1995). L’efficacité de la prise de greffe peut être améliorée en traitant les souris NOD/SCID avec des anticorps anti-asialo GM1 (ganglioside-monosialic acid) qui inhibent complètement l’activité des cellules NK (Yoshino et al., 2000), ou en créant des souris NOD/SCID homozygotes mutées par exemple pour le gène de la β2-microglobuline (NOD/SCID/β2mnull), une protéine nécessaire pour l’immunité innée par le CMH de classe I (Christianson et al., 1997; Kollet et al., 2000). Cependant, dans les souris NOD/SCID, la production de cellules myéloïdes est imparfaite et les cellules lymphoïdes sont non fonctionnelles. De plus, ces souris développent rapidement des lymphomes thymiques, ce qui raccourcit considérablement leur durée de vie (8-9 mois) (Shultz et al., 1995).

55 4.1.2. Souris immunodéficientes NOG, NSG et BRG

A partir des années 2000, des lignées de souris complètement déficientes en cellules NK ont été développées grâce à l’introduction de mutations (IL2Rγ-/-) ou à l’absence (IL2Rγnull/null) de la chaîne γ du récepteur de l’IL2 (et d’autres cytokines également) indispensable au développement des cellules NK, associées ou non à des mutations dans les gènes Rag1 et 2 (recombination activating gene) empêchant les recombinaisons V(D)J nécessaires au développement des cellules T et B (Figure 13). Ces 3 lignées murines sont les suivantes : NOG (NOD/SCID/γc-/-) (Ito et al., 2002), NSG (NOD/SCID/IL2Rγnull) (Ishikawa et al., 2005; Shultz et al., 2005) et BRG (BALB/c-Rag2-/- IL2Rγ-/- ou BALB/c-Rag1-/- IL2Rγ-/-) (Brehm et al., 2010a; Traggiai et al., 2004), ces dernières présentant en plus une mutation dans le gène Rag1 ou Rag2. Les souris NOG, NSG et BRG se sont révélées bien plus efficaces que les lignées précédentes en termes d’efficacité de prise de greffe des cellules humaines. De plus, elles sont génétiquement très stables, ne développent pas de tumeurs spontanément et possèdent donc une durée de vie plus longue (> 15 mois). Elles ne sont cependant pas équivalentes entre elles en termes de reconstitution hémato-lymphoïde. Par exemple, les souris NSG et BRG sont équivalentes pour le développement des lymphocytes B alors qu’il a été montré que les souris NOG/NSG étaient plus efficaces pour le développement des lymphocytes T que les souris BRG (Brehm et al., 2010a; Lepus et al., 2009). Cette différence est due au fond génétique NOD des souris NOG et NSG plus permissif résultant d’un polymorphisme dans le gène codant le récepteur SIRPα (signal regulatory protein alpha) (Takenaka et al., 2007). En effet, lorsque ce récepteur (exprimé par les macrophages, les neutrophiles, les cellules dendritiques et certaines cellules progénitrices hématopoïétiques) est activé par son ligand CD47, cela induit un signal négatif « Don’t eat me » inhibant la phagocytose par les macrophages. Or, le CD47 humain présent sur les cellules transplantées a une faible affinité pour le récepteur SIRPα murin, ce qui entraîne leur phagocytose par les phagocytes murins. Le polymorphisme présent chez les souris NOG et NSG améliore la capacité de SIRPα à lier le CD47 humain et induit donc une tolérance par les macrophages, ce qui permet alors une meilleure prise de greffe des CSH humaines.

4.1.3. Modalités et suivi de la transplantation

En plus de la sélection de la lignée murine la plus pertinente pour la transplantation, d’autres paramètres sont à choisir afin de générer des souris humanisées, comme le conditionnement de la souris ainsi que le type de cellules et la voie d’injection (Figure 13). En effet, le pré-conditionnement de la souris receveuse est généralement nécessaire et peut être réalisé par irradiation gamma ou rayon X, ou chimiquement par traitement au busulfan (Hayakawa et al., 2009). L’humanisation de ces souris peut être obtenue par transplantation de tissus hématopoïétiques fœtaux comme le foie ou le thymus, ou de CSPH humaines CD34+ issues de sang de cordon, de foie fœtal, plus efficace pour la

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génération de souris HIS (Lepus et al., 2009), mais également de moelle osseuse et de sang périphérique après mobilisation avec du G-CSF. L’injection des CSPH dans les souris nouveau-nés est généralement réalisée par voie intrahépatique, intracardiaque ou intraveineuse (veine faciale), alors que dans des souris adultes elle se fait préférentiellement par voie intraveineuse (veine de la queue) (Ishikawa et al., 2005; Ito et al., 2002; Traggiai et al., 2004). Les CSPH ayant un fort tropisme pour la moelle osseuse, leur injection systémique va conduire à leur homing dans la moelle osseuse de la souris. L’injection des CSPH dans les souris nouveau-nés mimerait mieux le développement hématopoïétique humain, et il a été montré que le taux de prise de greffe était bien plus élevé qu’en utilisant des souris adultes (Brehm et al., 2010b).

Figure 13. Les modalités de génération de souris possédant un système immunitaire humain.

La reconstitution hémato-lymphoïde chez la souris immunodéficiente receveuse est généralement analysée à partir de 2-3 mois post-greffe et se traduit notamment par la présence de cellules humaines dans la moelle osseuse, la production de cellules hématopoïétiques matures circulantes (lymphocytes T et B, monocytes/macrophages, cellules NK, cellules dendritiques...), la colonisation des organes lymphoïdes primaires et secondaires (rate, ganglions lymphatiques) et même d’autres organes comme le foie, les poumons, le cerveau, la peau, l’intestin... Ainsi, dans les modèles humanisés NOG, NSG ou BRG, des taux de 30-60 % de cellules CD45+ humaines peuvent être retrouvés dans le sang circulant, et maintenus pendant 6-9 mois. Puis, la production de cellules humaines commence à décliner (Legrand et al., 2008).

4.1.4. Limites des modèles de souris humanisées et améliorations des lignées murines

Les souris NOG, NSG et BRG sont les plus couramment utilisées pour obtenir des souris HIS car elles permettent une bonne reconstitution hémato-lymphoïde. Cependant, avec ces lignées, il n’y a pas ou

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peu de production de neutrophiles (< 2-3 % des leucocytes humains), de globules rouges ou de plaquettes, le développement de certaines cellules reste incomplet (notamment les lymphocytes T)... L’hypothèse est que, bien qu’il existe des réactivités croisées entre les cytokines murines et humaines, l’action des cytokines murines ne serait pas optimale pour la reconstitution hématopoïétique par les CSH humaines. Ainsi, des lignées de souris NOG, NSG ou BRG ont été modifiées génétiquement pour sécréter à des niveaux quasi physiologiques des cytokines hématopoïétiques humaines afin de créer un environnement plus favorable pour les cellules transplantées (Figure 13). Grâce à l’expression endogène de cytokines humaines comme TPO, SCF, GM-CSF, IL3 et M-CSF certaines lignées ont obtenu une prise de greffe plus élevée et prolongée (> 6 mois) ainsi que le développement de la lignée myéloïde (granulocytes, macrophages…) et/ou des lymphocytes T dans la moelle osseuse, la circulation sanguine ou dans les tissus (Billerbeck et al., 2011; Brehm et al., 2012; Rathinam et al., 2011; Rongvaux et al., 2011, 2014; Takagi et al., 2012; Willinger et al., 2011).