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Dans cette section, nous nous concentrons sur le système consonantique. Nous rapportons, les phénomènes observés par plusieurs auteurs, dans l’optique de déga- ger les caractéristiques du français méridional traditionnel. Les faits que nous déga- gerons concerneront des cas d’assimilation (§ 2.3.1), des relevés d’assourdissement (§ 2.3.2), la mouillure (§ 2.3.3), différents types de gémination (§ 2.3.4), la réali- sation des rhotiques (§ 2.3.5), le comportement des consonnes finales (§ 2.3.6) et, pour finir, les cas d’allègements consonantiques (§ 2.3.7). Les prochaines sections

2.3. Le système consonantique

seront l’occasion pour nous de montrer que l’enjeu de la description des systèmes phonologiques méridionaux repose à présent principalement sur les voyelles. En ef- fet, certaines particularités consonantiques des variétés méridionales traditionnelle ne sont plus attestées dans les centres urbains à la fin du XIXe siècle. De plus,

nous montrerons que, dans beaucoup de cas, les changements observés tiennent davantage à une lexicalisation de certains items qu’à un processus phonologique.

2.3.1

Les assimilations

Dans son travail, Séguy (1951) relève plusieurs cas d’assimilation. Tout d’abord, les assimilations de voisement dans les suffixes « -isme, -asme » sont, selon lui, au- tomatiques, par exemple, « catéchisme, fantasme » : [izm@], [azm@]. Séguy explique que dans le nord de l’hexagone les variantes non-voisées sont systématiquement attestées : [ism], [asm].

Un deuxième type d’assimilation a été relevé par Séguy. Les séquences /ks/, /ps/ et /bs/ sont réalisées [ts] et la séquence /gz/ est réalisée [dz]. C’est-à-dire que la première consonne assimile le lieu d’articulation alvéolaire de la deuxième et éventuellement sa proprité non-voisée dans le cas de /bs/. Nous fournissons en (2) des exemples de ce type de réalisation.

(2) a. /ks/ : « accent circonflexe », [atsaN], [-flEts@] ; b. /ps/ : « capsule », [katsyl@] ;

c. /bs/ : « absent », [atsaN]11; d. /gz/ : « exact », [Edza].

Ce type d’assimilation n’a pas été relevé par Brun (1931). D’ailleurs, pour un mot comme « accent », la réalisation commune à Marseille est [asaN], selon Brun. Les locuteurs marseillais semblent donc privilégier l’allègement du groupe consonantique /ks/ en [s]. Séguy explique que cette « caractéristique du Sud-Est », p. 26, peut également être recensée à Toulouse, nous y reviendrons.

2.3.2

L’assourdissement

Séguy (1951) note plusieurs cas d’assourdissement que nous souhaitons briè- vement évoquer. Tout d’abord, les séquences /gl/ et /bl/ sont systématiquement réalisées [kl] et [pl]. Nous reportons les exemples de Séguy (1951), p. 27, en (3). (3) a. « aigle », [Ekl@] ;

b. « aimable », [emapl@] ; c. « table », [tapl@].

Selon Séguy, le phénomène est relativement régularisé par les locuteurs, puisque les locuteurs qui voisent le [b] de « double » réalisent « triple » avec une occlusive voisée : [tribl@]. A contrario, si l’occlusive de « triple » est dévoisée alors celle de « double » est également réalisée de manière non-voisée : [dupl@]. Borrell (1975) recense un assourdissement de la séquence /bl/ dans « table, câble » pour seulement 16% des locuteurs interrogés. Ajoutons qu’aucun « junior » ne réalise ces mots avec une occlusive dévoisée. Brun (1931) et Walter (1982) ne font aucune remarque sur ce phénomène.

Séguy (1951) est le seul à décrire le processus de dévoisement des consonnes finales12. Selon lui, les consonnes en finale de mots sont systématiquement dévoi- sées. Nous fournissons en (4) quelques exemples de ce phénomène, d’après Séguy (1951), p. 18.

(4) a. « sud », [syt] ; b. « David », [davit] ; c. « gaz », [gas].

2.3.3

La mouillure

Selon Brun (1931) et Séguy (1951), le « l » traditionnellement mouillé en fran- çais est remplacé par un yod en position interne et finale. Ceci a été confirmé par Grammont en 1966.

Il n’y a pas d’l mouillé ; sauf dialectalement, tous les anciens l mouillé sont devenus y : tailler (tayé) fille (fiy) grenouille (groènuy). [. . . ] Pour les mots qui contiennent le groupe -ill- on peut hésiter entre la prononciation il et la prononciation iy.

Grammont (1966), pp. 65-66, cité par Borrell (1975), p. 208.

Selon Brun, cette mouillure n’est pas présente à Marseille, puisqu’elle a déjà été substituée à yod ([j]) en provençal. Séguy, au contraire, explique que le « l » mouillé est bien présent à Toulouse.

Phénomène ancien : Dumas signale que les Gascons et les Provençaux disent bouïon, conseïer, et Sauvages13 leur reproche de ne pas faire

sentir le mouillement de l dans paille, vieillard, Corneille. Il est donc inexact d’affirmer, comme on fait couramment dans les manuels de

12. Nous reportons toutefois les observations de Séguy ici puisque nous avons pu relever hors corpus de nombreux cas de dévoisement final à Toulouse : « job, (e-)mail, gaz, etc. » [ZOp], [mEj

˚ ], [gas].

13. Abbé Sauvages (1785) Dictionnaire langedocien français contenant un recueil des princi-

pales fautes que commettent dans la diction et dans la prononciation françaises, les habitants des provinces méridionales. Nîmes. Vol. 2.

2.3. Le système consonantique

phonétique, que l mouillé, réduit à y chez les français du Nord, persiste chez les Méridionaux : en Provence tout au moins il a presque entière- ment disparu, disparition déjà ancienne puisqu’elle est attestée par les graphies provençale de V. Gelu, boutïo, bouteille, fïo, fille ; Marseille, en marseillais, se dit Marsïo.

Brun (1931), p. 40.

À Toulouse, l mouillé est encore très vivant, mais y se répand beau- coup, moins sous l’influence du français commun, que par suite d’une tendance spontanée (comparer l’état de l’occitan de Provence, où y a remplacé depuis longtemps l mouillé).

Séguy (1951), p. 21.

Dans l’étude plus récente de Borrell (1975), seuls 5% des locuteurs prononcent de manière identique « soulier » et « souiller » : 2% réalisent ces mots avec la semi- consonne [j] alors que les 3% restant prononcent systématiquement la séquence [l+j]. La mouillure n’est plus présente dans le centre urbain. D’ailleurs, Borrell souligne que la semi-consonne [j] a en grande partie remplacé la mouillure et qu’elle se trouve régulièrement en place de la séquence [lj] dans les zones rurales. Les mots « soulier » et « souiller » sont donc régulièrement réalisés [suje]. La mouillure ne serait donc plus présente en France y compris dans les variétés méridionales. Nous devons ici souligner le caractère étonnant de ces remarques puisque, selon nous, des mots comme « soulier » et « souiller » ne sont pas prononcés de manière identique en France, y compris en France méridionale.

Jusqu’à présent, nous avons évoqué la mouillure de la latérale. Nous souhaitons à présent exposer les observations portant sur la consonne nasale [ñ]. Selon Brun, cette consonne mouillée se rencontre aussi bien que la séquence [n+j] dans les productions marseillaises. Il explique qu’il est impossible de savoir laquelle des deux formes prévaut sur l’autre. Ainsi, il est possible pour un même mot de relever différentes formes (cf. (5-a)). Cette ambivalence a des conséquences sur l’ensemble des productions puisqu’il est possible de trouver des cas où la mouillure n’est pas attendue en français mais où elle est pourtant attestée à Marseille (cf. (5-b)). A contrario, pour certains items où la mouillure de la nasale est attendue, elle peut être impossible à rencontrer à Marseille (cf. (5-c)).

(5) a. (i) « ligne » [liñ@]∼[linj@] ; (ii) « gagner » [gañe]∼[ganje]. b. (i) « opinion » [opiñO˜ON] ;

(ii) « manière » [mañEr@]. c. (i) « signifié » [sinifje] ;

Selon Séguy, la nasale palatale est bien présente à Toulouse dès que l’orthographe « n + i » la soutient. D’ailleurs, Borrell montre que cette consonne prend peu à peu le pas sur /nj/ dans le système des locuteurs. En effet, les paires « la nielle ∼ l’agnelle », « Rainier ∼ Régnier » et « la nièce ∼ l’Agnès » sont respectivement distinguées par 26%, 18% et 35% des locuteurs. En d’autres termes, l’opposition /nj/ ∼ /ñ/ n’est pas présente pour la grande majorité des locuteurs, et principale- ment les « juniors ». Pour 70% de ces locuteurs qui ne présentent pas l’opposition /nj/ ∼ /ñ/, la mouillure est la forme privilégiée. En ce sens, Walter ne pose que la nasale /ñ/ pour la locutrice de Toulouse. En revanche, /ñ/ et /nj/ sont présentées dans l’inventaire phonologique de la locutrice marseillaise ; ce qui corrobore les observations de Brun. Les résultats présentés par ces auteurs nous semblent très étonnant. En effet, les productions méridionales que nous rencontrons à l’heure actuelle nous semblent phonétiquement plus proche de la séquence [nj] que de [ñ].

2.3.4

La gémination

Nous abordons à présent les consonnes géminées. Selon Brun (1931), les gé- minations sont en train de disparaître des productions marseillaises. En effet, des mots comme « collègue, horrible, immense, inné » sont plus souvent réalisés [l], [r], [m], [n] que [ll], [rr], [mm], [nn]. Toutefois, dans certains mots bien précis, la gémination est encore bien présente : « attention, docteur, correcte » [atta˜asjO˜O], [dottœr], [korett@]. À Toulouse, Séguy (1951) explique que les consonnes nasales sont systématiquement géminées si la graphie les soutient. Ainsi, « Anne » ne peut être réalisé qu’avec une consonne géminée [ann@] afin d’éviter toute homonymie avec « âne » [an@]. Plus tard, Borrell (1975) fait le même constat que Brun à Marseille, en démontrant que la tendance à Toulouse n’est plus à la gémination. À l’intérieur d’un radical (« sonnet, addition »), moins de 10% des locuteurs réa- lisent une consonne double. De manière générale, les géminations sont favorisées, d’une part, entre un préfixe et un radical et, d’autre part, s’il s’agit de latérales. Ces affirmations sont issues des relevés de productions de « illogique, illumination, irresponsable, irritable » pour lesquels une gémination peut être observée par res- pectivement 79%, 71%, 31% et 18% des locuteurs. Entre un préfixe et un radical les taux de réalisation des consonnes géminées sont effectivement plus élevés qu’à l’intérieur d’un radical (comparons « illogique, illumination, irresponsable »∼« ir- ritable »). De plus, les taux de gémination sont bien plus faibles pour « irrespon- sable, irritable » que pour « illogique, illumination » (i.e. lorsqu’une autre consonne qu’une latéral est le sujet de ce phénomène). Même si la gémination est de plus en plus rare à Toulouse, Borrell explique que sa présence est néanmoins encore corré- lée au support graphique. En effet, dans une séquence comme « je l’ai vu » aucun locuteur de son corpus ne réalise une gémination de la latérale : [Zøllevy]. Quelques années plus tard, Walter (1982) ne relève que quelques cas rares de géminations.

2.3. Le système consonantique

La plupart de ces cas concerne des latérales entre un préfixe et un radical : « illo- gique ». Toutefois, elle relève également plusieurs cas de géminations sans support graphique : « à ce moment-là » [mom˜ANlla], « dans le fond » [d˜alløf˜O], « on leur apprend » [˜ONllœ K ].

2.3.5

Les rhotiques

Dans son étude, Séguy (1951) répertorie trois types de rhotique en France : api- cale, dorsale, pharyngale. Cet auteur explique que la variante dorsale s’est imposée à Paris dès le moyen-âge. La variante pharyngale est attestée dans le sud-est de la France. Ceci avait été rapporté par Brun (1931) qui a décrit à Marseille un « r grasseyé », p. 39. Séguy rapporte que la rhotique apicale [r] est largement attestée à Toulouse et plus largement dans l’ensemble du sud-ouest de la France. Toutefois, l’auteur précise : « à Toulouse, la confusion de l’état actuel dénote un phénomène en pleine période d’évolution », p. 20. Ceci est d’ailleurs confirmé par les résultats de Borrell.

À vingt ans de distance, il nous arrive, de moins en moins souvent il faut le reconnaitre, d’entendre des r roulés ; ceux que l’on peut en- core noter apparaissent chez des sujets âgés. Si cette réalisation est exceptionnelle dans la ville, elle est plus répandue autour de Toulouse, surtout chez les sujets qui ont peu de contacts avec la métropole régio- nale.

Borrell (1975), p. 250.

Walter (1982) rapporte deux grands types de rhotiques chez les locuteurs mé- ridionaux : des spirantes uvulaires voisées et non-voisées [K] , [K

˚

] 14et des vibrantes

apicales roulées [r]. Les locuteurs interrogés près des grandes zones urbaines, y com- pris près de Marseille et Toulouse, font état de la première variante. Au contraire, la variante roulée n’est présente que chez les locuteurs en zone rurale ; ce qui corro- bore les propos de Borrell ci-dessus. Ajoutons toutefois que la spirante a également souvent été rapportée chez ces derniers locuteurs par Walter. La propagation de la spirante vers les zones rurales serait signe d’une disparition à terme de la rhotique roulée.

2.3.6

Les consonnes finales

Dans cette section, nous abordons la présence ou l’absence de la consonne finale d’un mot. Il est intéressant de soulever le fait que, pour illustrer les cas

de réalisation de la consonne finale, Brun (1931) et Séguy (1951) rapportent des exemples identiques. Nous illustrons quelques-uns de ces exemples en (6).

(6) a. Réalisation de [s] final : « moins, encens, tandis que, anis » ; b. Réalisation de [k] final : « escroc, broc, aspect, respect » ; c. (i) Réalisation de [t] final selon Brun : « juillet » ;

(ii) Réalisation de [t] final selon Séguy : « août, lit, nuit, Muret, Portet ».

Les deux auteurs expliquent que le processus n’est pas systématique et il est même souvent limité à ces exemples. Il semble ici que la réalisation de la finale tient à la forme lexicalisée de chaque item plus qu’à un processus de réalisation de la finale. Cette hypothèse est plus ou moins avancée par ces deux auteurs.

Cette prononciation vicieuse est donc réduite désormais à quelques vo- cables : elle est en régression.

Brun (1931), p. 41.

La tendance ancienne du fr. d’oïl est à l’effacement. Mais les théori- ciens ont fait maintenir un certain nombre de consonnes, surtout dans les mots savants, et leurs prescriptions, souvent contradictoires, jouent leur rôle dans la conservation de ces sons en fr. méridional : toutefois, les causes principales en sont les calques occitans et l’introduction du français par voie graphique.

Séguy (1951), p. 36.

De cette manière, Séguy explique pourquoi il est possible de trouver les pronon- ciations [myrEt], [pOrtEt], pour « Muret, Portet »15. En effet, il s’agit de la pronon- ciation classique en gascon. Pour 30% de ses locuteurs, Borrell recense également la prononciation [myKEt]. Ce très fort taux s’explique là-encore par le caractère local de ce mot. En revanche, seulement 8% de ses locuteurs réalisent la consonne finale de « lit ». Les « juniors » présentent d’ailleurs des taux de réalisation de cette consonne finale bien plus faibles que ceux de leurs ainés (« Muret » 9%, « lit » 0%). Cette caractéristique des consonnes finales est en perte de vitesse à Toulouse et plus largement en France méridionale.

2.3.7

Les allègements consonantiques

Dans le cadre de la section 2.2.3, nous avons exposé le fait que le schwa est fortement lié, en français, à la loi des trois consonnes énoncée par Grammont (1894). Rappelons que cette loi prévoit qu’on ne peut pas trouver en français trois