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4.2 Les programmes PFC et LVTI

4.2.2 Protocole d’enquête

Nous développerons dans cette section le protocole d’enquête des programmes PFC et LVTI. Les locuteurs doivent être enregistrés lors de quatre tâches : une lecture à voix haute d’une liste de mots et d’un texte, puis lors d’une conversation guidée suivant le protocole LVTI et enfin une conversation libre. Nous revenons

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dans cette section sur chacune de ces étapes. Ces quatre tâches permettent d’ac- céder au continuum dégagé par Labov entre un discours formel, contrôlé et une parole plus naturelle et spontanée. Le protocole d’enquête prévoit également une procédure plus administrative. En effet, chaque locuteur doit signer un consente- ment de participation l’informant que les enregistrements seront exploités à des fins scientifiques qui peuvent mener à des publications. De plus, ce consentement garantit aux locuteurs que toutes les données seront anonymisées. Nous fournis- sons ce formulaire en annexe A.1 page 457. D’autre part, chaque locuteur doit également remplir une fiche signalétique ; nous y reviendrons dans la section § 4.3 lorsque nous présenterons les locuteurs qui composent notre corpus d’étude. 4.2.2.1 La liste de mots

La lecture de la liste de mots constitue la tâche la plus formelle du protocole. Les locuteurs doivent procéder à une lecture suffisamment lente et appliquée pour permettre une analyse fine après l’enregistrement. Cette précaution de lecture ainsi que la présentation sous forme de liste permet au locuteur d’exercer un contrôle très important sur ses productions. Nous présentons cette liste dans la Figure 4.1. Cette liste est composée de 94 items qui proviennent d’un lexique usuel. Les mots de vocabulaire proposés sont courts et ont souvent été rencontrés dans de précédentes enquêtes phonologiques (ce point permet d’assurer la comparabilité entre les enquêtes PFC et d’autres enquêtes). Cette liste a été conçue de sorte qu’il soit possible d’analyser des oppositions consonantiques ainsi que quelques clusters consonantiques. Il est également possible d’avoir accès à de précieuses informations sur les voyelles du système en position accentuée. Notons que cette liste se termine par des paires minimales potentielles. Ces paires permettent de relever les oppositions /a/ ∼ /A/ (85. patte, 86. pâte) ; /E/ ∼ /e/ (87. épais, 88. épée) ; /œ/ ∼ /ø/ (89. jeune, 90. jeûne) ; /o/ ∼ /O/ (91. beauté, 92. botté) ; / ˜œ/ ∼ /˜E/ (93. brun, 94. brin). Dans certaines variétés du français, cette liste ne permet pas de relever des caractéristiques pertinentes, comme les phénomènes d’harmonie vocalique ; c’est pourquoi une liste additionnelle peut être constituée.

L’étude des productions issues de cette liste sera très précieuse dans notre travail, puisqu’il sera possible d’effectuer systématiquement des comparaisons in- terlocuteurs. Nous ne pourrons toutefois pas poser de conclusions sur le système phonologique des locuteurs sur l’unique base de la lecture de cette liste. En ef- fet, si une opposition est produite chez un locuteur cela ne veut pas dire qu’elle est réellement présente dans le système. Par exemple, il est possible de relever une opposition /a/∼/A/ grâce aux items « patte, pâte » de la liste de mots pour un locu- teur donné sans pour autant que cette opposition se confirme dans les autres tâches du protocole. Cette opposition peut être la manifestation du contrôle qu’exerce le

Figure 4.1 – Liste de mots du protocole PFC/LVTI. 1. roc 2. rat 3. jeune 4. mal 5. ras 6. fou à lier 7. des jeunets 8. intact 9. nous prendrions 10. fêtard 11. nièce 12. pâte 13. piquet 14. épée 15. compagnie 16. fête 17. islamique 18. agneau 19. pêcheur 20. médecin 21. paume 22. infect 23. dégeler 24. bêtement 25. épier 26. millionnaire 27. brun 28. scier 29. fêter 30. mouette 31. déjeuner 32. ex-femme 33. liège 34. baignoire 35. pécheur 36. socialisme 37. relier 38. aspect 39. niais 40. épais 41. des genêts 42. blond 43. creux 44. reliure 45. piqué 46. malle 47. gnôle 48. bouleverser 49. million 50. explosion 51. influence 52. mâle 53. ex-mari 54. pomme 55. étrier 56. chemise 57. brin 58. lierre 59. blanc 60. petit 61. jeûne 62. rhinocéros 63. miette 64. slip 65. compagne 66. peuple 67. rauque 68. cinquième 69. nier 70. extraordinaire 71. meurtre 72. vous prendriez 73. botté 74. patte 75. étriller 76. faites 77. feutre 78. quatrième 79. muette 80. piquais 81. trouer 82. piquer 83. creuse 84. beauté 85. patte 86. pâte 87. épais 88. épée 89. jeune 90. jeûne 91. beauté 92. botté 93. brun 94. brin

locuteur sur ses propres productions lors de la lecture. D’un autre côté, si aucune opposition n’est réalisée lors de cette lecture, malgré le contrôle du locuteur, alors il y a de fortes présomptions que cette opposition n’est généralement pas présente dans le système du locuteur. Ajoutons que l’on trouve dans cette liste toutes les voyelles que nous souhaitons étudiés dans le cadre de cette thèse : les voyelles hautes [i, y, u], les voyelles moyennes [e, E, ø, œ, o, O], les voyelles basses [a, A], le schwa et les voyelles nasales [˜A, ˜O, ˜E, ˜œ].

4.2.2.2 Le texte

La deuxième tâche du protocole est la lecture à voix haute d’un texte que nous exposons dans la Figure 4.2. Ce texte a été construit de telle sorte qu’il passe pour un article journalistique.

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Figure 4.2 – Texte du protocole PFC/LVTI.

Le Premier Ministre ira-t-il à Beaulieu ?

Le village de Beaulieu est en grand émoi. Le Premier Ministre a en effet décidé de faire étape dans cette commune au cours de sa tournée de la région en fin d’année. Jusqu’ici les seuls titres de gloire de Beaulieu étaient son vin blanc sec, ses chemises en soie, un champion local de course à pied (Louis Garret), quatrième aux jeux olympiques de Berlin en 1936, et plus récemment, son usine de pâtes italiennes. Qu’est-ce qui a donc valu à Beaulieu ce grand honneur ? Le hasard, tout bêtement, car le Premier Ministre, lassé des circuits habituels qui tournaient toujours autour des mêmes villes, veut découvrir ce qu’il appelle « la campagne profonde ».

Le maire de Beaulieu - Marc Blanc - est en revanche très inquiet. La cote du Premier Ministre ne cesse de baisser depuis les élections. Comment, en plus, éviter les manifes- tations qui ont eu tendance à se multiplier lors des visites officielles ? La côte escarpée du Mont Saint-Pierre qui mène au village connaît des barrages chaque fois que les op- posants de tous les bords manifestent leur colère. D’un autre côté, à chaque voyage du Premier Ministre, le gouvernement prend contact avec la préfecture la plus proche et s’assure que tout est fait pour le protéger. Or, un gros détachement de police, comme on en a vu à Jonquière, et des vérifications d’identité risquent de provoquer une ex- plosion. Un jeune membre de l’opposition aurait déclaré : « Dans le coin, on est jaloux de notre liberté. S’il faut montrer patte blanche pour circuler, nous ne répondons pas de la réaction des gens du pays. Nous avons le soutien du village entier. » De plus, quelques articles parus dans La Dépêche du Centre, L’Express, Ouest Liberté et Le Nouvel Observateur indiqueraient que des activistes des communes voisines préparent une journée chaude au Premier Ministre. Quelques fanatiques auraient même entamé un jeûne prolongé dans l’église de Saint Martinville.

Le sympathique maire de Beaulieu ne sait plus à quel saint se vouer. Il a le sentiment de se trouver dans une impasse stupide. Il s’est, en désespoir de cause, décidé à écrire au Premier Ministre pour vérifier si son village était vraiment une étape nécessaire dans la tournée prévue. Beaulieu préfère être inconnue et tranquille plutôt que de se trouver au centre d’une bataille politique dont, par la télévision, seraient témoins des millions d’électeurs.

In our experience so far, the style is not perceived as pompous and, according to some sophisticated informants, the passage reads far more like an extract from a second-rate regional newspaper than from Le Monde. If this is indeed true, it is to be welcomed, since reading aloud is a highly symbolic act which may remind participants of educational failure.

La lecture à voix haute permet aux locuteurs d’exercer un contrôle sur leurs productions. Ce contrôle n’est toutefois pas aussi important que pour la lecture de la liste de mots. Aucune conclusion sur le système des locuteurs ne peut être tirée à partir de l’étude de ces lectures ; pourtant de nombreuses pistes d’analyse peuvent être dégagées ou peuvent confirmer ou infirmer des premières hypothèses formulées à partir de l’observation des productions de la liste de mots. En effet, Detey et al. (2016), p. 16, expliquent :

The text includes not only a large number of vocalic and consonantal oppositions attested in many varieties of French but also a range of ad- ditional phonological phenomena typical of French. All of the phonemic oppositions tested in the word list are present in the text (with many identical words used in both).

4.2.2.3 Les conversations

Le protocole PFC prévoit deux types de conversation : un entretien semi-guidé et une conversation libre. Au sein du programme PFC, la conversation formelle a pu prendre plusieurs formes : des questions de l’enquêteur pour recueillir toutes les informations demandées dans la fiche signalétique ou encore des questions du type : « Vous est-il déjà arrivé de frôler la mort ? » qui rappelle le protocole d’en- tretien développé par Labov. Dans notre travail, nous avons choisi de constituer des enquêtes PFC/LVTI. Le protocole LVTI prévoit d’obtenir des informations très précises sur le profil sociolinguistique du locuteur. Il ne s’agit pas de mener un interrogatoire mais plutôt de diriger une conversation. Ainsi, les informations recueillies lors de cette conversation vont compléter celles consignées dans la fiche signalétique. Trois grands types de questions ont été élaborées pour ébaucher le profil sociolinguistique d’un informateur : des questions sur la ville, le travail et le langage.

Nous fournissons dans la Figure 4.3 les questions portant sur la ville. Ces questions doivent nous permettre de mesurer le degré d’intégration de l’enquêté à son quartier, sa ville et son lieu de vie de manière générale. Nous devons également saisir le degré d’attachement du locuteur à sa ville.

Le protocole prévoit ensuite des questions relatives au travail (cf. Figure 4.4)12.

Il ne s’agit pas uniquement de savoir quels métiers ont pu être exercés par le locuteur. Le but est d’arriver à cerner le profil socio-économique de l’enquêté tout en comprenant comment le locuteur perçoit et vit son travail.

Enfin, on trouve des questions portant sur le langage (cf. Figure 4.5). Elles doivent nous permettre d’appréhender le lien qu’entretient le locuteur avec une

12. Ces questions ont été établies en collaboration avec Jens Thoemmes, Laboratoire CERTOP, Centre d’Etude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir, CNRS et Toulouse 2.

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Figure 4.3 – Questions sur la ville prévues par le protocole LVTI.

1. Est-ce que vous sentez toulousain/lyonnais/fribourgeois/x ? (Si la réponse est un oui/non non développé, enchaîner sur « qu’est-ce que ça veut dire pour vous qu’être toulousain/lyon- nais/fribourgeois/x ? » Si la sous-question n’accroche pas partir sur : « On parle parfois de vrais toulousains/lyonnnais/fribourgeois, qu’est-ce que ça évoque pour vous ? »)

2. Comment vous sentez-vous dans votre quartier ? Quels en sont les avantages et les inconvé- nients ?

3. Si vous deviez changer de quartier dans Toulouse/Lyon/Fribourg ou dans ses environs im- médiats, quel autre lieu choisiriez-vous et pourquoi ?

4. Y a-t-il une autre ville en France/Suisse/etc. où vous préféreriez vivre et pourquoi ?

certaine norme. De plus, nous pouvons recueillir des informations sur la manière dont la variété étudiée est perçue par le locuteur.

Les deux types de conversation du protocole n’ont pas les mêmes objectifs. Comme nous venons de l’exposer, la conversation guidée doit nous permettre de dresser un premier profil sociolinguistique. De plus, le rôle de l’enquêteur est de di- riger la conversation. Dans la conversation libre, au contraire, l’informateur est par définition libre de parler sur les thèmes de son choix. De cette façon, l’enquêteur doit pouvoir enregistrer deux registres : une conversation formelle et une conversa- tion informelle. Lors de la conversation informelle, il faudra réussir à enregistrer, dans la mesure du possible, une parole naturelle malgré le paradoxe de l’observa- teur. Pour atteindre cet objectif, la conversation informelle doit, dans l’idéal, être enregistrée avec un proche (ami, voisin, membre de la famille, etc.).