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2.4 Conclusion

3.2.2 Cas particuliers de représentations

Jusqu’à présent et en considérant uniquement les plans inférieurs au pied, nous sommes partis du postulat que les syllabes sont strictement indépendantes les unes des autres. En effet, aucun arc n’a été postulé entre deux syllabes12. Or, il n’y a pas

toujours une coupure aussi nette. Il existe des arguments aussi bien phonologiques que phonétiques pour postuler qu’un segment peut appartenir simultanément à deux syllabes. Nous allons fournir un exemple en anglais et en français pour illustrer cette ambisyllabicité.

Considérons en anglais les mots « petrol » et « petrie ». Dans ce dernier, la plosive médiane est réalisée aspirée mais sans aucune glottalisation. En anglais, une plosive aspirée est la réalisation typique d’une attaque syllabique. Nous pouvons considérer que cette plosive fait donc bien partie de l’attaque branchante de la deuxième syllabe de « petrie ». Pour « petrol », la plosive médiane est également aspirée ; pour les mêmes raisons nous pouvons la considérer comme une attaque. D’un autre côté, elle est également glottalisée, propriété typique d’une plosive en position de coda. Phonétiquement, cette plosive se comporte donc à la fois comme une coda et comme une attaque. La différence structurelle engendrée par la réalisation de cette plosive est largement envisagée en DP. Dans la Figure 3.12,

Figure 3.12 – Représentation suprasegmentale de « petrol », d’après Durand (1990), p. 218. p e t r @ l ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ Rime Syllabe

la plosive ambisyllabique /t/ est à la fois dépendante de la voyelle /e/ et de la voyelle /@/ ce qui explique sa glottalisation d’une part et son aspiration d’autre part.

Prenons à présent un exemple en français sans trop anticiper sur les prochains chapitres. Il existe une alternance possible entre [@] versus [E] en français, comme dans l’exemple (1).

(1) « mener, mène », [m@ne], [mEn@]

Nous exposerons dans la section § 6.1.3 comment cette alternance a été traitée dans les différentes théories. Considérons juste pour l’instant qu’il existe une règle d’ajustement du e13 en français qui permet cette alternance lorsque la voyelle est

suivie d’une consonne tautosyllabique ou d’une autre syllabe dont la tête est un schwa. Dans le cadre que nous exposons, nous avons pour l’instant postulé un pied lexical pour toute voyelle qui n’est pas un schwa qui opère de droite à gauche. Une syllabe dont la tête est un schwa est rattachée à ce pied. Un moyen de considérer plus simplement l’ajustement du e a été proposée par Durand (1986b), p. 189. Dans son analyse, cet ajustement opère non pas au niveau de la syllabe mais au niveau du pied. Ainsi, une voyelle se réalisera par mécanisme de redondance comme une mi-ouverte si un segment dépend d’elle. Nous avons vu que le pied est un domaine universel d’ambisyllabicité. Nous pouvons proposer la Figure 3.13.

Figure 3.13 – Représentation suprasegmentale de « mener ; mène ».

« mener » « mène » m @ n e ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ Rime Syllabe Pied lexical m E n @ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦

Dans le premier cas, la première syllabe développe un pied puisqu’elle n’a aucun pied à sa gauche auquel se rattacher. Aucun segment n’est un subordonné de cette voyelle, elle ne peut donc pas alterner. Dans le deuxième cas, la deuxième syllabe est un dépendant de la première voyelle. Celle-ci peut donc alterner.

Nous pouvons déjà entrevoir l’utilité de la notion d’ambisyllabicité pour modé- liser le schwa et les voyelles moyennes. Avant de terminer sur ce point, nous devons insister sur le fait que lorsqu’une ambisyllabicité est invoquée au niveau supraseg- mental, il ne s’agit en aucune manière d’un segment long. En effet, le segment joue

3.2. Le cadre suprasegmental

à la fois le rôle d’une coda et d’une attaque mais il « n’occupe » pas deux places dans la modélisation, il n’est relié qu’à un seul nœud. L’ambisyllabicité est consi- dérée à tort, selon nous, comme une modélisation des consonnes géminées dans de nombreux travaux, or, nous verrons en § 3.4.1 que les géminées ne projettent pas du tout la même structure.

3.2.2.2 Les attaques et codas branchantes

Une autre spécificité de la représentation suprasegmentale concerne la struc- ture développée par les attaques et les codas branchantes. La représentation des attaques branchantes a subi beaucoup de remaniements au fil des travaux en DP. Anderson (1986) explique que dans ces attaques, la plosive doit gouverner les autres consonnes. Pour supporter son affirmation, il explique que ceci rejoint la théorie de Cairns et Feinstein (1982) qui posent que le type de syllabe le moins marqué est composé d’une séquence plosive-voyelle. Nous pouvons à titre d’exemple fournir la représentation en 3.14.

Figure 3.14 – Représentation suprasegmentale de « sprat » d’après Anderson (1986). s p r a t ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦

D’un autre côté, un an plus tard14, ce même auteur ne postule plus la plosive

comme tête de l’attaque. À partir de 1987, les travaux en DP vont essayer de se conformer davantage à l’échelle de sonorité. Pour cela, le segment le plus sonant de l’attaque mais aussi de la coda va devenir tête de sa structure. Dans l’exemple fourni en 3.15, la liquide qui est plus sonante que la plosive deviendra tête de l’attaque.

Ce type de représentation a longtemps perduré, cependant, concernant les at- taques pour ce travail, nous nous en tiendrons au type de représentation de 1986 pour plusieurs raisons. Dans de nombreux travaux de psycholinguistique basés sur des individus aphasiques, il a été montré que des syllabes CCV étaient très régu- lièrement réduites à CV. Nespoulous et Moreau (1997) ont, par exemple, montré que dans les séquences fricative-liquide-voyelle seule la deuxième consonne pouvait

Figure 3.15 – Représentation suprasegmentale de « trou » en respectant l’échelle de sonorité. t K u ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦

être omise. Par contre, dans les séquences /s/-obstruante, /s/ n’est pas réalisée. Prince (2016), dans son travail de thèse, confirme ces postulats : lorsqu’une liquide suit une obstruante (/pK/, /tK/, /gl/, etc.) et qu’il y a une transformation, l’obs- truante est éludée dans 3.7% des cas contrairement à 37.8% pour la liquide. Ces résultats ont amené Durand et Prince (2015) à reconsidérer le statut des attaques branchantes, pour postuler une plosive comme gouverneur. Nous verrons qu’en choisissant cette solution de modélisation, la représentation de l’échelle de sono- rité n’est pas définitivement absente des représentations. Au contraire, elle est bien lisible mais à un autre niveau (voir § 3.3.2.3). Notons que dans le choix que nous effectuons ici, nous nous rapprochons de la théorie du gouvernement qui défend elle aussi l’obstruante comme le segment gouverneur de la liquide. Nous donnons une représentation des attaques et codas branchantes en 3.16.

Figure 3.16 – Représentation suprasegmentale des attaques et codas complexes.

« trou » « parc » t K u ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ p a K k ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦ ◦

3.3

Le cadre infrasegmental

Nous avons montré dans de l’introduction de ce chapitre qu’une des critiques apportées au modèle génératif était que pour rendre compte de phénomènes natu-