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La revue systématique de la littérature visait deux objectifs principaux. Le premier était d’explorer et de synthétiser les études qualitatives portant sur les expériences des patients en communication avec des médecins en contexte de soins de première ligne. Le deuxième objectif était de comparer ces expériences de communication en fonction du statut ethnique et ethnolinguistique minoritaire des patients. Le Tableau 9 présente une synthèse des résultats issus de cet article.

Tableau 9. Synthèse des résultats de la revue systématique.

Objectif 1: Expériences de communication des patients

1. Expériences positives découlant des compétences relationnelles du médecin, de ses compétences techniques, et de son approche centrée sur le patient

2. Expériences négatives liées au manque de respect, aux contraintes de temps, à la prépondérance de la culture biomédicale, et au sentiment de vulnérabilité

3. Cinq catégories de conséquences : qualité de la relation, des soins, autonomie du patient et adhésion, satisfaction du patient et utilisation future des services Objectif 2: Variations ethniques et ethnolinguistiques

4. Quatre thèmes émergent et sont liées à la barrière linguistique, la discrimination, les différences culturelles de croyances et de valeurs et aux enjeux d’acculturation

Cinquante-sept études ont été retenues pour la revue systématique et seul 14 (25%) de ces études ciblaient plus particulièrement l’expérience des patients issus de minorités ethniques ou ethnolinguistiques. Trois thèmes majeurs ont été discutés par tous les patients, soit 1) les expériences positives, 2) les expériences négatives et 3) les conséquences de ces expériences. Les expériences positives découlaient de trois caractéristiques liées à l’approche du médecin, soit a) les compétences relationnelles du médecin (p. ex., empathique, à l’écoute, ouvert d’esprit), b) les compétences techniques du médecin (p. ex., le médecin référait le patient au besoin, investiguait en profondeur ou expliquait l’information au patient), et c) l’approche centrée sur le patient et adaptée à celui-ci (p. ex., le médecin s’intéressait au contexte spécifique du patient ou valorisait son opinion). Les expériences négatives se subdivisaient en quatre thèmes clefs, soit a) le manque de respect (p. ex., discrimination, interruption, perspective du patient ignorée), b) les contraintes de temps (p. ex., le patient se sent pressé, déshumanisé ou stressé), c) la prépondérance de la culture biomédicale (p. ex., pas de place pour les sujets psychosociaux, relation asymétrique, traitements invasifs), et d) le sentiment de vulnérabilité vécu par le patient (p. ex., dévoilement des informations sensibles, intimidé de poser des questions ou de s’affirmer). Les patients discutaient également des conséquences découlant de ces expériences négatives. Les conséquences sont regroupées en cinq catégories selon ce qu’elles affectent, soit a) la qualité de la relation avec le médecin, b) la qualité des soins, c) l’autonomie du patient et l’adhésion au traitement, d) la satisfaction du patient et e) l’utilisation des services à l’avenir.

En ce qui a trait aux expériences spécifiques des minorités ethniques ou ethnolinguistiques, quatre thèmes distincts ont été répertoriés. Ces thèmes se rapportent a) aux difficultés découlant de la barrière linguistique (p. ex., difficulté ou impossibilité de s’exprimer dans la langue du médecin, difficulté à trouver un interprète professionnel, inconfort face aux interprètes informels), b) la discrimination en fonction de leur origine ethnique ou ethnolinguistique (p.ex., des patients Africains Américains aux États-Unis rapportent avoir l’impression que les médecins les traitent selon les stéréotypes associés à leur groupe social, tel que le fait d’être moins intelligent, paresseux ou ne pas vouloir travailler), c) les différences culturelles de croyances et de valeurs (p. ex., représentations de la maladie, respect de l’autorité) et d) aux enjeux liés à l’acculturation (p.ex., les patients moins acculturés à la culture d’accueil appréciaient moins le fait d’être sollicité pour partager leur point de vue dans la consultation que les patients qui s’identifiaient davantage à la culture d’accueil).

Les trois premiers thèmes représentent des facteurs qui exercent une influence directe sur les expériences des patients minoritaires tandis que le quatrième thème (i.e. les enjeux liés à l’acculturation) est un facteur qui peut exercer une influence indirecte sur les expériences des patients, et ce, par le biais de son influence sur les trois premiers facteurs (Figure 10). Par exemple, la revue systématique a permis de démontrer que plus le patient a une connaissance de (ou s’identifie à) la culture du pays d’accueil, moins il fera face à des difficultés découlant des barrières linguistiques et des différences culturelles.

Figure 10. Synthèse des quatre facteurs pouvant influencer les consultations interculturelles selon la revue systématique.

Ces quatre thèmes, renvoyant à quatre facteurs d’influence sur les consultations interculturelles, reflètent les constats de trois revues de la littérature qui cherchaient à identifier les facteurs d’influence et les barrières qui affectent les consultations interculturelles en particulier (Degrie et al., 2017; Paternotte, van Dulmen, et al., 2015; Schouten & Meeuwesen, 2006). Des facteurs d’influence comparables ont été répertoriés dans toutes ces revues, quoiqu’ils soient organisés différemment. En effet, Schouten et Meeuwesen (2006) organisent ces facteurs en cinq catégories, soit 1) les barrières linguistiques, 2) la discrimination, 3) les préférences des patients quant à la relation et la communication avec les médecins, 4) les différences de valeurs et de croyances culturelles, notamment l’individualisme et le collectivisme, et 5) les différences de croyances découlant des modèles explicatifs de la maladie. De leur côté, Paternotte, van Dulmen, et al. (2015) identifient quatre catégories de facteurs, soit 1) les différences de langues, 2) les différences dans les perceptions des

maladies, 3) les différences dans les représentations de la famille et 4) les préjugés et les stéréotypes. Enfin, Degrie et al. (2017) répertorient quatre catégories de facteurs : 1) l’humanité dans les soins, 2) la communication (incluant les barrières linguistiques), 3) le rôle de la famille et 4) la culture organisationnelle de l’hôpital.

Tel que présenté ci-dessous (Tableau 10), les facteurs identifiés dans les trois revues de la littérature peuvent aisément s’insérer à l’intérieur de trois des quatre facteurs identifiés dans la revue systématique présentée dans cette thèse, soit la barrière linguistique, la discrimination et les différences culturelles de croyances et de valeurs. Par exemple, les difficultés découlant des différences de croyances liées au modèle explicatif de la maladie soulevées par Schouten et Meeuwesen (2006) et les différences de représentations de la famille soulevées par Paternotte, Dulmen, et al. (2015) peuvent être regroupées sous un même facteur, soit les différences dans les croyances et les valeurs culturelles. En effet, Kleinman (1980) explique d’une part que le modèle explicatif de la maladie s’inscrit dans un système de croyances culturelles plus large et, d’autre part, que la culture joue un rôle important pour façonner les représentations de la maladie.

Tableau 10. Comparaison des facteurs d'influence sur les consultations interculturelles selon les facteurs identifiés dans la revue systématique de la thèse et dans les trois revues de la littérature antérieures.

Catégorisation selon Rocque et

Leanza (2015)

Barrière linguistique Discrimination Différences culturelles de croyances et de valeurs

Schouten et Meeuwesen

(2006)

 Barrière linguistique  Discrimination

 Différences de valeurs et de croyances culturelles; de modèles explicatifs de la maladie; préférences quant à la relation et la communication Paternotte,

Dulmen, et al. (2015)

 Différences

linguistiques  Préjugés et stéréotypes

 Différences de perceptions quant à la maladie

 Différences dans les représentations de la famille Degrie et al. (2017)  Barrière linguistique  Culture organisationnelle quant à la façon de surmonter les barrières linguistiques  Humanité dans les soins

 Différences de croyances quant à la communication

 Différences de croyances quant au rôle de la famille

Le quatrième facteur proposé dans la revue systématique de cette thèse, soit les enjeux liés à l’acculturation, exerce plutôt une influence indirecte sur les trois autres facteurs, dans le sens où dépendamment du profil d’acculturation du patient, les conséquences des trois autres facteurs pourraient être amplifiés ou atténués. Ceci dit, les trois revues de la littérature antérieures ne conceptualisent pas l’acculturation comme un facteur d’influence en soi, bien qu’on mentionne dans celles-ci l’influence du profil d’acculturation sur les soins en contexte interculturel. Par exemple, Schouten et Meeuwesen (2006) soulignent qu’il est important pour le professionnel de la santé de prendre en considération le profil d’acculturation de ses patients afin de développer une relation de confiance. De leur côté, Degrie et al. (2017) soulignent que le profil d’acculturation du patient peut influencer le contexte de soins, car ce profil touche aux croyances culturelles du patient ainsi qu’à ses préférences quant aux soins.

Enfin, bien que le deuxième objectif de la revue systématique était d’explorer en détail les thèmes spécifiques aux consultations interculturelles avec des patients de minorités ethniques et ethnolinguistiques, on ne peut pas passer sous silence le fait que même des patients appartenant à des groupes ethniques et ethnolinguistiques majoritaires soulevaient des difficultés relationnelles supplémentaires, soit selon leur appartenance à d’autres groupes sociaux minoritaires (p.ex., les minorités sexuelles ou religieuses) ou découlant de la prépondérance de la culture biomédicale. Ce constat renvoie à l’idée que toute consultation patient-médecin représente une rencontre interculturelle. En effet, Kleinman (1980) explique que le médecin est socialisé à la culture biomédicale occidentale et que cette culture lui fournit un certain cadre de valeurs, de croyances et de représentations de la maladie et de la santé. À cet effet, des études illustrent qu’une culture propre au contexte de la médecine existe bel et bien et que celle-ci est transmise aux étudiants en médecine (Bandini et al., 2017; Beagan, 2000; Clark, 1997). Plus précisément, ces recherches montrent qu’au fil des études en médecine les étudiants en viennent à adhérer à un même système de croyances et de valeurs, et ce, indépendamment de leurs caractéristiques individuelles et de leur ethnicité (Beagan, 2000). La culture biomédicale a été décrite comme valorisant fortement l’autonomie, la responsabilité, l’individualisme ou encore la productivité (Kleinman et al., 1978; Stein, 1990). Ainsi, bien que le patient puisse partager le même ancrage ethnique que le médecin, il n’a pas baigné dans la culture biomédicale, ce qui peut expliquer l’écart important entre la perspective et les expériences vécues par le patient et la perspective biomédicale et les expériences du médecin. En outre, d’autres chercheurs ont souligné que la culture biomédicale et la culture occidentale partagent certaines croyances et

valeurs, ce qui fait en sorte que l’écart entre le système de valeurs, de croyances et de représentations auxquels adhèrent respectivement les médecins et leurs patients risque d’être plus important pour les patients qui n’ont pas baigné dans la culture occidentale (Levesque & Li, 2013; Stein, 1990).

Ce constat que toute consultation médicale peut être perçue comme une rencontre interculturelle souligne la nécessité de contextualiser la communication patient-médecin et de prendre en considération la complexité et l’influence des multiples contextes pouvant moduler cette communication. Ce constat rappelle le Modèle contextualisé de la communication interculturelle développé par Neuliep (2015). Selon ce modèle, toute communication prend place dans une série de contextes imbriqués les uns dans les autres qui influencent la communication. Ces contextes doivent être considérés afin de bien saisir la communication interculturelle.

Appliqué à la communication patient-médecin, le premier contexte général dans lequel s’inscrit cette communication serait le contexte culturel dans lequel se déroule cette rencontre, soit le contexte culturel occidental et, plus précisément, le contexte culturel de la société québécoise. À l’intérieur de ce contexte culturel, Neuliep (2015) souligne qu’il existe des contextes micro-culturels qui influenceraient aussi la communication interculturelle. Dans le contexte de la relation patient-médecin, un de ces contextes micro-culturels serait la culture biomédicale, qui influencerait les croyances, les normes, les valeurs et les représentations du médecin par le biais de la socialisation médicale (Beagan, 2000). Pour les patients appartenant à des groupes ethniques ou ethnolinguistiques minoritaires, il importerait de considérer aussi l’influence micro-culturelle découlant de ces groupes minoritaires. Les défis additionnels découlant des appartenances micro-culturelles des minorités ethniques et ethnolinguistiques pourrait expliquer en partie le fait que ces patients rapportaient davantage de difficultés de communication.