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Dans cette section, nous proposons une synthèse des connaissances présentées concernant le développement numérique, depuis le modèle piagétien jusqu'aux études actuelles. Nous synthétiserons ensuite les connaissances actuelles sur les bases cérébrales du traitement numérique. Enfin, pour ce qui est de l'exemple de la tâche de conservation du nombre, l'hypothèse du défaut d'inhibition de la stratégie intuitive "longueur égale nombre" a été avancée pour expliquer la réussite tardive des enfants (à l'âge de 7-8 ans). Nous résumerons alors les connaissances actuelles pour ce qui est des bases neurales de l'inhibition cognitive.

C'est en relation avec cette nouvelle vision du développement cognitif, celui de l'inhibition, que l'on précisera la thèse soutenue et que seront présentées les contributions expérimentales motivées par cette thèse.

A. Développement de la cognition numérique: du modèle piagétien

aux études actuelles

Le modèle piagétien du développement cognitif – dans lequel s'inscrit le développement numérique - (Piaget et Szeminska, 1941) consiste en une succession de stades qui permettrait à l'enfant de passer du stade sensori-moteur (0 - 2 ans) au stade de la préparation (2 – 7 ans) et de la mise en place des opérations concrètes (8 - 11 ans) avant d'accéder au stade des opérations formelles (après 12 ans). En considérant l'exemple de la cognition numérique, Piaget a construit une tâche dite de "conservation du nombre". L'expérimentateur aligne des jetons sur une table et demande à l'enfant d'en placer autant pour former une autre rangée, avec ses propres jetons. Une fois que l'enfant a réussi cette étape, l'expérimentateur espace davantage les jetons de l'une des rangées, créant ainsi une interférence entre le nombre et la longueur, et demande à l'enfant s'il considère que le nombre de jetons entre les deux rangées est le même. Quand l'enfant répond par la négative (avant 7-8 ans), Piaget conclut que le stade des opérations concrètes n'est pas atteint alors que si l'enfant répondait par l'affirmative (après 7-8 ans), Piaget considère que l'enfant est "conservant" au niveau du nombre.

De ces observations, Piaget en a déduit que la maîtrise du concept du nombre est acquise tardivement au cours du développement.

Cependant, des études ultérieures ont montré que, dès le début de la vie, les nourrissons possèdent des compétences numériques (Strauss et Curtis, 1981; Antell et Keating, 1983; Bijeljac-Babic et al., 1991) et même arithmétiques dès l'âge de cinq mois (Wynn, 1992, 1998, 2000). De plus, les enfants réussissent la tâche de conservation du nombre plus précocement (dès 2 ans) lorsque qu'une composante émotionnelle intervient

(les jetons sont remplacés par des bonbons que les enfants peuvent ensuite manger) (Mehler et Bever, 1967).

Ces études ultérieures à celles de Piaget montrent donc que l'échec des enfants, avant 7-8 ans, à la tâche de conservation du nombre adaptée de Piaget n'est pas nécessairement dû au manque de compétences numériques.

En outre, plusieurs études ont montré que les compétences numériques précoces se maintiennent au cours du développement, particulièrement lors de l'émergence du langage (vers 2-3 ans), même si les enfants peuvent avoir des difficultés à montrer leurs compétences numériques lorsque les caractéristiques linguistiques de leur langue maternelle les pénalisent (Hodent et al., 2005; Lubin et al., 2005).

Enfin, en ce qui concerne la tâche de conservation du nombre adaptée de Piaget, plusieurs études ont montré le rôle de l'inhibition cognitive dans la résolution de la tâche d'interférence entre le nombre et la longueur chez des enfants (en chronométrie mentale) (Houdé et Guichart, 2001) et que cette inhibition semblait être persistante chez les jeunes adultes (avec des marqueurs électrophysiologiques) (Daurignac et al., 2005).

B. Bases cérébrales du traitement numérique

En ce qui concerne le traitement numérique, le modèle du triple code de Dehaene semble actuellement former un large consensus (Dehaene, 1992). Dehaene propose, à partir d'études de chronométrie mentale, de neuropsychologie et de neuro-imagerie fonctionnelle chez des sujets sains et des patients cérébro-lésés, un modèle anatomo-fonctionnel pour trois types de représentation d'un nombre: la forme auditive-verbale, arabe et analogique. Les régions cérébrales (gyri pariétaux supérieur et inférieur bilatéraux principalement), qui sous-tendraient ces différentes représentations et les fonctions qui leur sont associées, seraient spécifiques du traitement numérique.

Dans le cadre de la tâche de conservation du nombre adaptée de Piaget, l'expérimentateur demande de comparer les grandeurs numériques de deux rangées d'objets (processus de comparaison numérique, entre autres). Dans le cas où le nombre d'objets par alignement est supérieur à cinq, le sujet peut identifier le nombre d'objets entre les deux rangées en additionnant des sous-groupes d'objets pour atteindre le nombre total (additions) ou en dénombrant chaque rangée d'objets (dénombrement par subitizing ou comptage).

Une méta-analyse des études de neuro-imagerie fonctionnelle (pour des tâches de comparaison de nombres, d'addition et de dénombrement) montre qu'un réseau pariéto- frontal et un réseau occipito-temporal bilatéral sont communément recrutés pour ces tâches numériques. Toutefois, il semble exister quelques variations au niveau des réseaux,

pour les régions frontales par exemple, pour les additions par rapport à la comparaison de nombres (en raison du coût cognitif plus important pour les additions) et au niveau pariétal pour ce qui est du dénombrement.

C. Bases cérébrales de l'inhibition cognitive

Comme nous l'avons déjà évoqué, la tâche de conservation du nombre implique également un processus d'inhibition cognitive (les sujets doivent inhiber la stratégie "longueur égale nombre"). En effet, plusieurs études ont montré que pour des enfants d'âge scolaire comme pour de jeunes adultes, l'interférence entre le nombre et la longueur est surmontée en inhibant la stratégie heuristique "longueur égale nombre".

Les bases neurales de l'inhibition cognitive sont localisées (Harlow, 1868; Damasio et

al., 1994) dans les régions préfrontales. Les structures qui semblent primordiales dans

l'inhibition sont situées au niveau des aires ventro-médianes (Bechara et al., 1998; Paus et

al., 1998; Nobre et al., 1999; Houdé et al., 2000), au niveau du gyrus frontal inférieur

(Konishi et al., 1998; Konishi et al., 1998; Konishi et al., 1999; Konishi et al., 2003; Aron et

al., 2004) et au niveau du cortex cingulaire antérieur (Bush et al., 1999; Bunge et al., 2001;

Bush et al., 2002; Heyder et al., 2004). La latéralisation et la localisation des foyers de l'inhibition sont sans doute liées à la structure du matériel et au type de tâche.

En outre, les études sur le développement cérébral au cours des deux premières décennies de la vie ont montré que les lobes frontaux ont une maturation anatomique tardive se terminant au cours de l'adolescence (Thompson et Nelson, 2001; Sowell et al., 2003; Casey et al., 2005). Cette maturation frontale progressive pourrait alors expliquer la mise en place tardive au niveau fonctionnel de l'inhibition cognitive (une sorte de "maturation fonctionnelle") qui se traduit ici par la réussite tardive des enfants à la tâche de conservation du nombre de Piaget.

D. Présentation des contributions expérimentales

Cette inhibition cognitive, qui serait alors un mécanisme essentiel au cours du développement, est-elle toujours d'actualité pour le jeune adulte sain alors qu'on sait qu'il réussit la tâche numérique adaptée de Piaget (et ce, depuis l'âge de 7-8 ans) ? C'est la question à laquelle nous allons tenter de répondre en apportant des résultats comportementaux et des données d'imagerie cérébrale.

D'une part, la première recherche que nous avons menée a pour objectif d'étudier les bases neurales (en électroencéphalographie –EEG- et en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle –IRMf-) de la résolution d'une tâche numérique adaptée de celle de Piaget chez de jeunes adultes. Il s'agit d'explorer la dynamique temporelle (par l'EEG) et spatiale (par l'IRMf) des aires cérébrales activées quand les jeunes adultes doivent surmonter une interférence visuo-spatiale par rapport à celles d'une condition de contrôle (où il n'y a pas d'interférence, mais covariation entre le nombre et la longueur).

D'autre part, la seconde recherche a pour objectif de répliquer et de préciser, en IRMf, les résultats précédents avec des contrôles expérimentaux nouveaux au niveau perceptif (processus qualitatifs versus quantitatifs) et au niveau des stratégies numériques.

L'ensemble de ces travaux vise à mieux comprendre comment le cerveau des adultes permet la résolution de la condition d'intérêt (interférence entre le nombre et la longueur) par rapport à une condition de contrôle (covariation entre le nombre et la longueur).

Etude 1: étude

exploratoire de la

résolution d'une tâche de