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La tâche de Piaget: une épreuve engageant

A. Etudes du processus de quantification

Pour ce qui est de la quantification chez les adultes, deux types de processus différents y sont associés: le subitizing et le dénombrement (le comptage).

Le nom "subitizing"1 vient du verbe latin subitare et signifie "arriver subitement". Il a

été proposé par Kaufman et Lord pour désigner le traitement qui permet l'étiquetage rapide

de petites quantités présentées simultanément, généralement pas plus de 4 à 6 éléments (les temps de réponse et le taux d'erreurs des sujets augmentent considérablement quand le nombre d'éléments est plus important) (Kaufman et Lord, 1949). Au-delà de cette limite numérique, on considère que c'est un traitement par le comptage qui est utilisé. Une distinction de base en termes de traitements pré-attentionnels parallèles et sériels a été proposée (Treisman et Gelade, 1980; Eriksen et Yeh, 1985). Cependant, les mesures chronométriques sont souvent ambiguës pour décider d'une séparation entre les traitements parallèles et sériels (Snodgrass et Townsend, 1980). Depuis quelques années, des équipes ont alors tenté d'établir à l'aide de la neuro-imagerie, si ces processus, le subitizing et le comptage, pouvaient être distingués en termes de réseaux neuraux.

Le dénombrement, dont le comptage fait partie, est une opération complexe qui doit remplir trois conditions: (1) une correspondance terme à terme, (2) un respect de l'ordre dans les noms de nombres et (3) une correspondance du dernier nom avec le nombre total d'éléments, c'est-à-dire le cardinal. On retrouve ici l'aspect ordinal et l'aspect cardinal de la définition du nombre selon Piaget.

Nous évoquerons dans cette section le subitizing et le dénombrement (comptage), processus qui peuvent être utilisés dans les tâches numériques comme celle de la conservation du nombre de Piaget. Parmi les quatre études que nous avons recensées en TEP1 et IRMf2 (à notre connaissance, aucune étude en ERP n'a été publiée à ce sujet), les

deux courants (processus attentionnels parallèles ou sériels) sont représentés. Le premier courant considère que les deux processus de quantification sont distincts au niveau neural.

Ainsi, Sathian et coll. ont publié la première étude de neuro-imagerie (en TEP) où ils ont contrasté une condition de subitizing à une condition de comptage (Sathian et al., 1999). Les stimuli étaient constitués de seize rectangles et seuls les rectangles verticaux devaient être dénombrés (les autres étaient horizontaux). Cette étude montre que le

subitizing, par rapport à une condition de référence, recrute des régions occipitales

bilatérales (un seul rectangle était vertical et devait être détecté). Les auteurs ont conclu que le subitizing était un processus d'attention visuelle, contrairement au comptage où il y avait un déplacement de l'attention. De plus, les résultats de cette étude montrent un réseau spécifique pour le subitizing par rapport à celui du comptage qui était interprété comme faisant partie de celui du repos. Le subitizing serait alors une tâche très peu coûteuse au niveau cognitif car très automatisé (chez l'adulte).

1 Tomographie par Emission de Positons.

Fink et coll. ont publié une étude en IRMf où ils ont comparé une condition de

subitizing (en présentant 3, 4 ou 5 points, les sujets devaient décider s'il y avait strictement

4 points à l'écran) par rapport à un jugement de forme, la condition de référence, (les points sont-ils disposés en carré ?) avec des stimuli identiques (Fink et al., 2001). De même que Sathian et coll., ils ont trouvé des régions de la voie ventrale occipitale bilatérale (ainsi que le gyrus frontal inférieur gauche) pour le contraste subitizing minus la condition de référence (jugement de forme). De plus, aucune activation n'était significative dans les aires pariétales habituellement décrites pour le traitement numérique (ces dernières étaient activées dans la conjonction de subitizing et de comptage). Les auteurs en ont conclu que le subitizing recrute des régions du traitement visuel précoce et serait donc un processus attentionnel visuel.

Quant au courant opposé, il est alimenté par les travaux de Piazza et coll. qui suggèrent que les réseaux neuraux du subitizing et du comptage sont entremêlés.

Dans la première étude en TEP (Piazza et al., 2002), les sujets devaient énoncer à voix haute le nombre de points présentés à l'écran (entre un et neuf points). Les points pouvaient être répartis spatialement avec une forme "canonique" (comme un carré ou sur plusieurs rangées symétriques, etc.) ou répartis de manière pseudo-aléatoire. Deux conditions étaient distinguées: le subitizing et le comptage, en fonction du nombre de points. Pendant les deux conditions de repos, la consigne était identique mais les sujets ne voyaient que deux types d'écrans: un seul point (pour la condition de subitizing) ou six points (pour la condition de comptage) avec un seul type d'arrangement spatial. Les auteurs ont montré que le réseau commun de quantification (subitizing et comptage) comprend les régions classiquement impliquées dans les traitements du nombre, c'est-à-dire l'aire occipitale moyenne bilatérale, le sillon intrapariétal bilatéral, le gyrus frontal moyen droit et le cervelet gauche. De plus, les résultats montrent que l'amplitude de la réponse hémodynamique des clusters1 est fonction du nombre de points à quantifier (i.e. elle

augmente quand le nombre de points augmente). Enfin, les auteurs ont mis en évidence des régions spécifiques pour le comptage (le gyrus pariétal droit, le gyrus occipital moyen gauche et l'insula droite) mais pas pour le subitizing. On note également qu'aucune région n'a pu être mise en évidence en fonction de l'arrangement spatial. Les auteurs ont conclu que le subitizing était un sous-réseau de celui du comptage, au niveau neural.

Toutefois, nous pouvons garder quelques réserves concernant ces résultats parce que le réseau commun, mis en évidence dans cette étude, est issu d'une analyse de moyenne et non d'une conjonction. Or, on sait que ce type d'analyse présente le biais de pouvoir faire ressortir des régions fortement activées dans une condition et faiblement activées dans

l'autre (c'est le signal moyen au cours du temps d'un voxel qui est testé). L'analyse moyenne des deux conditions de cette étude fait ressortir un ensemble de régions fonctionnelles mais qui ne sont pas strictement communes aux deux processus de subitizing et de comptage. Les deux conditions sont, en moyenne, activées pour les deux conditions, mais pas strictement pour chacune d'elle séparément. Au contraire, une analyse de conjonction met en évidence les voxels pour lesquels chaque condition est activée de manière significative (Price et Friston, 1997). Dans l'étude de Piazza et coll., le réseau mis en évidence par l'analyse moyenne montre effectivement un réseau très proche de celui du comptage, condition qui recrute plus fortement les régions cérébrales que le subitizing. Il est donc plausible que les conclusions des auteurs soient biaisées par le type d'analyse utilisée.

Dans la seconde étude de Piazza et coll. (2003), les auteurs ont voulu évaluer l'augmentation d'activité du réseau du comptage en fonction de chaque nombre de formes (de une à sept). Ils ont utilisé un paradigme de type événementiel en IRMf dans une condition de subitizing et de comptage (Piazza et al., 2003). Dans la condition de référence, les sujets devaient nommer mentalement la couleur des formes (les stimuli étaient les mêmes que pour le subitizing et le comptage). Les résultats montrent que, d'une part, aucune région n'est activée de manière plus significative pour la condition de

subitizing par rapport au comptage et par rapport à la condition de couleur, alors que le

comptage active le réseau habituel (décrit ci-dessus) par rapport au subitizing. D'autre part, les auteurs montrent que, parmi les régions de la quantification, les variations de signal BOLD1 augmentent en fonction du nombre de formes (depuis une forme jusqu'à sept). Enfin,

les auteurs ont noté que les régions pariétales bilatérales ne participent pas au subitizing puisque le signal BOLD de ces régions n'est pas significativement différent de zéro.