• Aucun résultat trouvé

Partie 3 – Étude du renoncement aux soins des femmes sans logement personnel

I. Synthèse des principaux résultats

1. Les familles sans-domicile : une population peu étudiée en France,

différente des adultes « isolés ».

La santé et le recours aux soins des femmes sans-domicile accompagnées d’enfants ont été peu étudiés en France avant le projet ENFAMS. Les enquêtes nationales SD 2001 et 2012 (Mordier 2016), ainsi que des travaux européens (FEANTSA 2012) ont constaté cette modification du profil des personnes sans-domicile : une hausse de femmes, de jeunes et de familles avec enfants.

Cette thèse a permis de décrire le profil des femmes sans-domicile hébergées et vivant en famille. Leur profil est différent des femmes qui ont été enquêtées dans les enquêtes SD 2001 et 2012. Les études des données des enquêtes SD ont parfois stratifié leurs résultats selon si les adultes enquêtés étaient nés à l’étranger et/ou avaient des enfants. Ainsi, nous pouvons comparer certaines caractéristiques des profils des enquêtés de ENFAMS ou de SD 2001 et 2012. Les femmes d’ENFAMS sont en moyenne plus jeunes que celles des enquêtes SD 2001 et 2012 avec une moyenne d’âge respectivement de 32, 36 et 39 ans. Cependant, les adultes non francophones nés à l’étranger enquêtés dans SD 2012 sont plus jeunes que la moyenne (37 ans). Les femmes d’ENFAMS sont plus souvent nées à l’étranger que les adultes de SD (94% contre 56%). L’enquête SD 2012 montre que les adultes sans-domicile nés à l’étranger sont plus souvent accompagnés d’enfants que les adultes nés en France, et indique une hausse de 85% du nombre d’enfants accompagnant des adultes sans-domicile entre 2001 et 2012. En 2012, les adultes sans-domicile francophones nés à l’étranger sont en majorité nés du Maghreb, des pays d’Afrique centrale et occidentale alors que les non-francophones sont plutôt issus de l’Est de l’Europe (Arménie, Russie, Georgie, Kosovo). Dans notre étude, les

174

femmes sont plutôt issues, comme les adultes de SD 2012 francophones nés à l’étranger, des pays d’Afrique, du Maghreb, et du Moyen et Proche Orient.

Ces différences de profils soulignent bien l’existence de différentes populations au sein de personnes sans-domicile. C’est pour cette raison, entre autres, qu’il est difficile de comparer nos résultats sur la santé et le recours aux soins avec ceux des enquêtes SD. Figure 23 – Photographie d'une femme avec son enfant dans un centre d'hébergement

Source :http://www.ouest-france.fr/europe/france/reportage-ces-femmes-brisees-se-requinquent-dans-la-dignite-3331273 « Au Havre, ce foyer accueille des femmes, parfois accompagnées d’enfants, qui ont besoin de soutien pour voguer vers une nouvelle vie »| Stéphane Geufroi.

2. Précarité, instabilité de l’hébergement et manque de soutien

financier

Les femmes étudiées dans ce travail de thèse se trouvent dans une forme de précarité extrême (Figure 23). Bien que la très grande majorité d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté et n’aient pas d’emploi, elles sont moins nombreuses à bénéficier de la plupart des aides que les femmes de la population générale (notamment l’allocation chômage, l’AAH, l’APL). Nous avons également pu constater que certaines femmes n’avaient pas de titre séjour valide, ou étaient dans l’attente d’une régularisation, qu’elles avaient des difficultés en Français et qu’elles pouvaient aussi avoir des difficultés à prendre les transports. Ces difficultés peuvent constituer de véritables barrières à l’accès à un

175 emploi en France. L’absence de stabilité résidentielle est également incompatible avec la recherche d’emploi. On a pu constater que les situations d’hébergement étaient diverses mais que l’accès à un logement à l’arrivée en France était difficile pour les femmes nées à l’étranger puisque certaines d’entre elles avaient été privées de leur logement dès leur arrivée en France.

3. Un état de santé alarmant

Bien qu’elles soient plus jeunes, la santé des femmes sans logement est plus mauvaise qu’en population générale, en particulier en ce qui concerne leur santé mentale - avec des états dépressifs fréquents - et leur santé nutritionnelle, marquée par une obésité importante et une insécurité alimentaire très élevée. Nos travaux actuels n’ont pas étudié les facteurs associés à la mauvaise santé ou à la survenue d’événements de santé chez ces femmes, mais ont permis de donner une première description de l’état de santé perçue et de certains indicateurs de santé. D’autres chercheurs travaillant sur l’enquête ENFAMS ont réalisé divers travaux sur la santé mentale (Roze et al. 2016), la santé respiratoire des enfants (Lefeuvre et al. 2016) ou la santé nutritionnelle (à paraître : Arnaud et al. 2017).

Nous avons mis en évidence (dans la partie 3) que les événements de vie difficiles et la dépression ont un impact sur la perception de leur santé. Les résultats de l’enquête Samenta indiquaient une prévalence similaire de troubles dépressifs de 28,8% chez les hommes et femmes sans-domicile d’Île-de-France accompagnés d’enfants en 2009 (Laporte et al. 2015). Les violences sont aussi très fréquentes dans le parcours de vie de ces femmes, elles sont plus nombreuses à en avoir subies que les femmes de la population générale. La littérature indique que les femmes qui quittent leur pays, le font souvent à cause d’évènements violents (Cognet et al. 2012) (comme c’est le cas dans notre étude pour près de 40% des femmes qui ont fui leur pays à cause d’une menace) et le risque de subir des violences pendant le voyage est important (Chauvin et al. 2015). Le caractère transversal de l’enquête ENFAMS ne nous a pas permis d’explorer les facteurs associés au fait d’avoir subi des violences (puisque l’on n’avait pas connaissance de la date de survenue des violences) et de savoir si les violences ont plutôt eu lieu dans le pays d’origine, pendant le voyage, ou après dans le pays d’accueil. Une étude de

176

Médecins du Monde montrait que les violences ont, en général, eu lieu dans le pays d’origine (ce qui peut représenter comme on l’a vu un motif de départ du pays d’origine) (Chauvin et al. 2015).

La population sans-domicile est souvent préjugée et stigmatisée comme étant consommatrice excessive d’alcool et/ou de drogues (Beck et al. 2006). La consommation de substances psycho-actives est aussi un motif d’exclusion ou de non-accès aux centres d’hébergement (Michalot et Simeone 2010). Ce stéréotype ne correspond pas à la réalité dans la population que nous avons étudiée. La consommation de substances (tabac, alcool ou drogues) est moins importante chez les femmes sans-domicile dans notre étude que dans la population générale. L’enquête Samenta soulignait que, bien que la dépendance à l’alcool soit plus importante chez les personnes sans logement qu’en population générale, les personnes sans logement sont moins consommatrices (Laporte et al. 2010).

4. Un recours aux soins plus faible, de nombreuses barrières mais

pas seulement financières

Ce travail souligne que, malgré un état de santé plus mauvais, les femmes sans logement ont moins recours aux soins que les femmes en population générale. Dans la littérature, les facteurs associés à un faible ou à l’absence du recours sont souvent l’absence de couverture maladie, de faibles ressources financières, un faible niveau d’études, l’éloignement géographique des centres de soins, les problèmes de transport et de langue. Que ce soit dans l’étude de l’absence du dépistage du cancer du col de l’utérus ou dans l’étude du renoncement aux soins, la plupart de ces associations ont été effectivement retrouvé.

Cependant, il n’a pas été retrouvé de lien entre le revenu et le recours aux soins dans notre étude. Ceci peut s’expliquer par le fait que les femmes de l’étude ENFAMS se trouvent toutes en situation de grande précarité financière (avec 96% d’entre elles qui ont des revenus en dessous du seuil de pauvreté), ce qui n’a pas permis d’établir de différence significative dans cette population. De la même manière, la couverture maladie qui est parfois décrite comme un des facteurs le plus déterminant dans le renoncement aux soins (Kreider et Nicholson 1997; Winetrobe et al. 2016) ne l’est pas

177 dans notre étude. Etant donné que la majorité des femmes couvertes ont la CMU ou l’AME, on peut alors s’interroger de l’efficacité de l’accès à ces deux types de couverture. Comme nous l’avons décrit dans la Partie 1 de cette thèse, une femme sur quatre n’a pas de couverture maladie : est-ce dû à une difficulté à accéder à la CMU ou à l’AME ? Cette possibilité est à envisager ; et ce d’autant plus que 22% des femmes se sont vues refuser des soins parce qu’elles avaient une de ces deux couvertures maladies.

Cette thèse a permis de souligner l’importance du suivi gynécologique dans l’accès au dépistage des cancers féminins puisque la proportion de femmes non dépistées pour le cancer du col de l’utérus est deux fois moins élevée chez les femmes avec un suivi gynécologique que chez celles sans suivi. Cependant, l’accès au suivi gynécologique est inégal puisque les femmes les plus vulnérables ont déclaré ne pas avoir de suivi gynécologique (ces femmes sans suivi avaient également un niveau d’études plus faible, avaient plus de difficultés en Français, avaient plus souvent été victimes d’agressions physiques ou sexuelles et étaient plus nombreuses à ne pas avoir de couverture maladie).

178

II. Apports et limites méthodologiques de