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Partie 1 – Caractéristiques socio-démographiques, état de santé et recours aux soins des

IV. Résultats

12. Santé nutritionnelle

Près de la moitié des mères étaient anémiées lors de l’enquête (49,5%) dont 50,5% des femmes anémiées qui présentait une anémie légère et 49,5% qui étaient en anémie modérée ou sévère (Tableau 12). L’insécurité alimentaire était élevée chez les femmes sans-domicile, 86,3% d’entre elles ont été touchées durant les 12 derniers mois, contre 6,1% des femmes de la population générale (p<0,001). La mesure de l’IMC au moment des enquêtes a révélé une proportion plus importante d’obésité chez les femmes sans-domicile : elles sont 68,2% à être en surpoids ou obèses (30,1% sont obèses), contre 36,3% en population générale (10,9% d’obésité) (p<0,001).

Tableau 12 – Santé nutritionnelle des femmes sans-domicile (ENFAMS, 2013) et des femmes de la population générale (SIRS, 2010) en IDF.

Variables n SIRS (N=1819) % IC 95% n ENFAMS (N=764) % IC 95% value p-Anémie Aucune 338 50,5 [46,4-54,6] Légère 177 25,0 [21,5-28,5] Modérée 174 24,3 [20,9-27,7] Sévère 2 0,1 [-0,1-0,4] Insécurité alimentaire <0,001 Insécurité 143 6,1 [4,5-7,7] 621 86,3 [83,2-89,4] Sécurité 1674 93,9 [92,3-95,5] 115 13,7 [10,6-16,8] Indice de Masse Corporelle <0,001 Maigreur 84 5,0 [3,8-6,1] 11 1,2 [0,2-2,2] Poids normal 978 58,8 [55,1-62,5] 189 30,6 [24,5-36,7] Surpoids 470 25,4 [22,2-28,5] 249 38,1 [33,4-42,8] Obésité 249 10,9 [9,0-12,7] 191 30,1 [24,8-35,4]

Note : N, Effectif total ; n, Effectifs ; %, prévalences pondérées ; IC95%, Intervalles de confiance. Champ : Femmes ayant participé à l’enquête ENFAMS en 2013 ou à l’enquête SIRS en 2010.

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V. Discussion

Une population plus jeune et plus souvent née à l’étranger

Comparativement à la population générale, ces femmes sans logement sont plus jeunes, et plus souvent nées à l’étranger. La différence dans la structure d’âge s’explique, en partie, par la sélection de la population enquêtée par ENFAMS : elles étaient toutes accompagnées par au moins un enfant de moins de 13 ans, ce qui excluait les femmes plus âgées.

Les femmes d’ENFAMS nées à l’étranger, ne sont pas arrivées en France récemment, en moyenne elles sont en France depuis 5 ans. La durée moyenne depuis leur arrivée en France est différente selon le pays de naissance (Annexe 3). La migration des enquêtées d’ENFAMS nées en Afrique sub-saharienne et au Maghreb est plus ancienne que celle des femmes nées en Europe de l’Est (Observatoire du Samusocial 2014).

D’après un document de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des Nations Unies, le nombre total de migrants a augmenté deux fois plus rapidement entre 2000 et 2010 qu’entre 1990 et 2000 (OCDE et Nations Unies/DAES 2013). Depuis 2010, l’augmentation aurait ralentie en partie à cause des effets de la crise économique (Organisation internationale pour les migrations 2010). La taille et la nature des flux migratoires évoluent rapidement en fonction notamment des contextes politico-économiques des pays d’accueil et d’origine. En effet, le rapport de l’enquête ENFAMS précise que les motifs de migrations sont différents selon la région de naissance de l’enquêté28 (Annexe 2). Tandis qu’en Afrique Sub-saharienne et au Maghreb, les raisons de migrations sont principalement économiques ou familiales, « fuir une menace » est la principale raison de migration en Afrique (autre qu’en Afrique Sub-Saharienne) (48,8%), en Europe (en dehors de l’UE) (83,2%) et en Asie (56,3%). Les individus enquêtés nés en UE sont venus en France principalement pour des raisons économiques (76,1%) (Annexe 2). De même, ce rapport précise que les motifs de migration sont différents selon le statut administratif des individus : ceux qui étaient demandeur d’asile au moment de l’enquête sont venus en France principalement pour fuir une menace (87,0%). Les personnes qui

28 Les résultats du rapport ENFAMS présentés dans ce paragraphe concernent l’ensemble des adultes enquêtés (pas seulement les femmes).

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étaient « régularisées » ou avaient un titre de séjour sont venues en France autant pour raisons économiques, que familiales ou pour fuir une menace.

Ainsi, la comparaison de la distribution des régions des pays de naissance entre les femmes nées à l’étranger de SIRS et d’ENFAMS doit ainsi prendre en compte la différence des périodes d’études. En 2010 et en 2013 le contexte économique et politique en France et dans les pays d’origine des individus a pu changer. Il faut prendre en compte que, selon le pays d’origine, les individus n’ont pas le même accès à un visa, aux droits (et ainsi à un logement et à une situation économique stable) en France selon les accords entre pays (Ministère de l’Intérieur 2016). Cette différence dans l’accès à un visa peut expliquer que les femmes sans-domicile ne soient pas originaires des mêmes pays étrangers que les femmes en population générale. Par ailleurs, on a observé dans cette étude que la migration a été un des obstacles à l’accès au logement puisque pour une partie d’entre elles, elles ont été privées de logement dès leur arrivée en France.

Une situation très précaire, peu d’aides sociales

Bien qu’elles soient moins diplômées que les femmes en population générale, plus de 75% ont un niveau d’études égal ou supérieur au secondaire. Leur situation économique est très précaire, avec une proportion d’emploi et des ressources financières faibles. Bien que leurs revenus soient très modestes – avec 96% d’entre elles vivant sous le seuil de pauvreté, elles sont moins nombreuses à bénéficier des allocations chômage, de l’AAH et de l’APL, et bénéficient autant des allocations familiales que population générale - résultats allant contre certaines idées reçues sur l’immigration et la perception d’aides sociales (Chojnicki 2012). En revanche, elles sont plus nombreuses à bénéficier du RSA, et d’une pension alimentaire. Ces résultats confirment ceux de l’étude de l’enquête SD 2012 qui indiquent, par exemple, que les personnes sans-domicile nées en France perçoivent plus d’allocations chômage (16%) que les personnes sans-domicile nées à l’étranger (8%) (Yaouancq et Duée 2014b). De même, cette étude indique que 39% des personnes sans-domicile nées en France percevaient le RSA contre 17% des personnes sans-domicile nées à l’étranger.

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Un accès à l’emploi difficile

L’emploi des femmes sans-domicile était beaucoup plus rare qu’en population générale. Cette absence d’emploi se retrouve aussi dans l’étude de l’enquête SD 2012 qui indiquait que seulement un quart des personnes sans-domicile29 occupaient un emploi (contre 17,5% dans notre étude) (Yaouancq et Duée 2014b). Que ces femmes aient eu le désir et la possibilité de travailler, leur accès à l’emploi était restreint à cause notamment de l’absence ou l’attente de régularisation de leur situation administrative et des difficultés en Français pour certaines. En effet, selon l’Article de loi L5221-230 du Code du Travail, « Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail ». De plus, un étranger souhaitant exercer une profession salariée doit attester « d'une connaissance suffisante de la langue française sanctionnée par une validation des acquis de l'expérience ou s'engage à l'acquérir après son installation en France » selon l’Article L5221-3 du Code du Travail31.

D’autre part, il est reconnu qu’il existe en France des discriminations à l’accès à l’emploi liées aux origines, mais aussi au lieu de résidence (quartier ou lieu défavorisé), ce qui concerne donc une forte majorité de la population de notre étude (Brunel et al. 2013; Le Défenseur des droits 2016). En effet, l’étude des données de l’enquête SD 2012 indique que même si certaines personnes sans-domicile bénéficient d’aide de retour ou d’accès à l’emploi par diverses associations, le coût et l’absence de transport dans certains lieux font obstacle à la recherche d’emploi (Yaouancq et Duée 2014b).

29 Adultes sans-domicile francophones utilisant les services d’aide. 30 URL d’accès à l’Article L5221-2 du Code du Travail :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=CFEB18FB0AA46B2D69BDA D71EC775D43.tpdila21v_1?idArticle=LEGIARTI000006903732&cidTexte=LEGITEXT00000 6072050&dateTexte=20170405

31 Lien URL d’accès à l’Article L5221-3 du Code du Travail :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=CFEB18FB0AA46B2D69BDA D71EC775D43.tpdila21v_1?idArticle=LEGIARTI000006903733&cidTexte=LEGITEXT00000 6072050&dateTexte=20170405

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Un hébergement instable

L’enquête SD 2012 indique que l’hébergement est plus stable pour les familles que pour les adultes sans-domicile non accompagnés d’enfants. En effet, les femmes accompagnées d’enfants sont, en général, « prioritaires », et plus souvent hébergés chez des tiers (ce qui les rendaient d’ailleurs moins visibles de l’espace public (FEANTSA 2012)). Sans être accompagnées d’enfant, les femmes sont plus souvent logées que les hommes (5% des sans-abris sont des femmes à la rue et 63% des personnes vivant en hôtel sont des femmes (Yaouancq et al. 2013)), elles sont pour la plupart « mises à l’abri » à l’hôtel. Cependant, l’étude de l’enquête SD 2012 précise qu’il existe une grande disparité au sein des familles. Les conditions d’hébergement des familles nées à l’étranger sont plus instables que pour celles nées en France : seulement 29% des familles nées à l’étranger bénéficient d’un logement fourni par une association contre 84% pour les familles nées en France (Yaouancq et Duée 2014a). En effet, dans notre étude, les familles qui sont pour la plupart nées à l’étranger sont majoritairement hébergées dans les hôtels sociaux. Pourtant, les familles sont parfois hébergées pendant de longues périodes à l’hôtel alors que ce mode de logement est transitoire par définition et ne permet pas aux familles de sortir de cette situation (Le Méner 2013a; Le Méner et Oppenchaim 2013b).

L’étude de l’enquête SD 2012 indique que la recherche d’un logement personnel est difficile (seulement 45% des personnes sans-domicile nées à l’étranger ont cherché un logement) et souvent infructueuse avec seulement 25% qui ont une proposition de logement parmi ceux qui ont fait une recherche (Yaouancq et Duée 2014a). Ceux qui n’ont pas cherché ont indiqué souvent manquer de ressources ou de papiers requis.

Un mauvais état de santé perçue

L’enquête SD de l’Insee de 2001 indiquait que 16% des personnes sans-domicile32 se percevaient en « mauvaise » ou « très mauvaise » santé (contre 3% dans la population avec un logement personnel (La Rochere (de) 2005). La même enquête réalisée en 2012

32 Rappelons que dans l’enquête SD, sont interrogées les personnes sans-domicile utilisant les services de restauration ou d’hébergement gratuite dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants. Elles sont comparées à la population « avec un logement personnel » qui a été interrogée en mai 2001 lors des enquêtes permanentes sur les conditions de vie de ménage (EPCV).

93 indiquait que 23% des femmes sans-domicile de l’agglomération parisienne se percevaient en « mauvaise » ou « très mauvaise » santé (Pierre-Marie et Roger 2014). Ces chiffres sont supérieurs à ceux de notre étude où la proportion de femmes déclarant un « mauvais » ou « très mauvais » état de santé était de 10% pour la santé générale et physique et de 23% pour la santé psychologique ou émotionnelle. Elles sont donc moins nombreuses à se percevoir en moins bonne santé que les femmes de l’enquête SD. Bien que les résultats de l’enquête SD 2012 (Yaouancq et al. 2013) indiquent que, de manière générale, les femmes ont un hébergement plus stable que les hommes, certaines des femmes de l’enquête SD étaient sans-abri : on peut supposer qu’elles vivaient dans des conditions encore plus précaires que les femmes hébergées enquêtées dans ENFAMS, ce qui détériorait davantage leur état de santé.

Une santé mentale fragile, des évènements de vie difficiles

La prévalence de la dépression est élevée chez les femmes sans-domicile avec pratiquement une femme sur trois qui a connu un épisode de dépression dans les douze derniers mois, ce qui est trois fois plus que les femmes de la population générale. La prévalence élevée de dépression chez les femmes sans-domicile est un fait largement retrouvé dans la littérature (Bassuk et Beardslee 2014).

L’étude menée auprès de 838 personnes sans-domicile durant l’hiver 1996, utilisant le CIDI indiquait que 57,9% des personnes interrogées avaient connu au moins un trouble psychiatrique dans sa vie (et 29,1% durant l’année passée) (Kovess et Lazarus 1999). La prévalence de troubles psychotiques était de 16% (vie entière) (et 6% l’année passée). L’enquête SAMENTA (réalisée 13 ans après la première étude citée ci-dessus) indiquait que chez les personnes sans-domicile accompagnées d’enfants en Île-de-France, 28,8% étaient atteints de troubles psychiatriques sévères (Laporte et al. 2015). Cette étude montrait que la nature des troubles psychiatriques était différente selon le statut familial : la prévalence des troubles psychotiques était plus importante chez les personnes sans enfants, et les troubles anxieux étaient plus fréquents chez les personnes accompagnées d’enfants.

En plus de leurs conditions de vie actuelles qui participent à la dégradation de leur santé mentale, les évènements de vie ayant participé à la précarisation de ces femmes, et la

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perte de leur logement peuvent aussi conduire à des états dépressifs ou à des troubles anxieux (Royer et al. 2010). Plus de deux tiers des femmes d’ENFAMS ont connu un évènement violent ; les femmes enquêtées ont été nombreuses à déclarer avoir subi des violences sexuelles (pratiquement deux fois plus qu’en population générale), et plus d’une sur cinq a été mutilée (excision). La répercussion des évènements de vie difficiles sur leur état psychologique est importante : plus de la moitié ont connu un épisode de stress post-traumatique dans leur vie, 18% ont déjà pensé au suicide, 5% d’entre elles ont déjà fait une tentative de suicide lors de l’année précédant l’enquête33. L’enquête SAMENTA indiquait que 17,2% des femmes interrogées avaient déclaré avoir tenté de se suicider (Laporte et al. 2010). Les résultats de l’enquête SD 2012 confirme ce lien entre santé mentale et victimisation chez les femmes domicile : un quart des personnes sans-domicile interrogées déclaraient avoir connu un épisode dépressif34 et le fait d’avoir une santé mentale fragilisée était associé à davantage d’évènements graves vécus pendant l’enfance.

Une très mauvaise santé nutritionnelle

Leur santé nutritionnelle est alarmante, avec pratiquement 14 fois plus de femmes en insécurité alimentaire parmi les femmes sans-domicile qu’en population générale. Cet indicateur dont la définition est « une disponibilité limitée ou incertaine d’aliments adéquats nutritionnellement et sûrs, ou une capacité limitée ou incertaine pour acquérir des aliments appropriés par des moyens socialement acceptables » (Inserm 2014) constitue une barrière aux autres besoins. Se nourrir entre en compétition avec les autres besoins comme se soigner, consulter un médecin, trouver une solution d’hébergement etc. (Gelberg et al. 1997). Ces femmes étaient anémiées pour la moitié d’entre elles, et près de 70% étaient en surpoids ou obèses. L’absence de ressources nécessaires et le fait d’être en famille pourrait expliquer cette forte insécurité alimentaire et plus globalement cette mauvaise santé nutritionnelle. Cependant, même si elles disposent d’aliments pour faire des repas, il est difficile de cuisinier. Près de la

33 La santé mentale des femmes d’ENFAMS ne sera pas plus exposée dans ce travail puisqu’elle fait l’objet d’un sujet de thèse en cours dans l’équipe ERES (étudiante : Mathilde Roze).

34 La question dans l’enquête SD 2012 est différente car elle leur était directement posée et non pas mesurée à l’aide d’un outil comme dans ENFAMS ou SIRS : « Êtes-vous atteint de l’une de ces maladies ? […] Dépression ? »

95 moitié des femmes ne disposent pas de micro-ondes, 37% cuisinent dans une cuisine collective de l’hébergement ou à l’extérieur, et 21% ne cuisinent pas ou ne peuvent cuisiner35. De plus, pour les femmes immigrées, le changement d’alimentation a pu impacter leur santé nutritionnelle. En effet, la littérature sur la santé des migrants indiquent que les conditions de vie et notamment les habitudes alimentaires du pays d’accueil pourrait détériorer la santé de ces femmes (leur nourriture étant plus saine dans leur pays d’origine) (Khlat 2012).

Figure 10 – Photographie d'une femme qui change son enfant dans une chambre réservée aux familles sans-domicile, en février 2013, à Bondy.

Source :- http://www.bfmtv.com/societe/plus-plus-femmes-sdf-a-paris-727434.html

Une consommation de substances psychotropes faible

La consommation de substances (tabac, alcool ou drogues) est moins importante chez les personnes sans-domicile. L’enquête SAMENTA soulignait que, bien que la dépendance à l’alcool soit plus importante chez les personnes sans logement qu’en population générale, les personnes sans logement sont moins souvent consommatrices (Laporte et al. 2010).

35 Ces données ne sont pas présentées dans les résultats. Elles sont issues des questions suivantes « Avez-vous à l’intérieur de votre chambre/appartement un four à micro-ondes ? (Réponses : « Oui, fourni par l’hôtel/le centre, Oui, à vos frais, Non, Ne sait pas ») et « Où cuisinez-vous, vous ou votre conjoint, le plus souvent » (Réponses : « dans votre chambre/appartement car vous y avez une cuisine, dans votre chambre/appartement car vous y avez une installation pour chauffer les repas, dans une cuisine collective, à l’extérieur du centre/de l’hôtel, vous ne cuisinez pas ou ne pouvez pas cuisiner »).

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Cette étude montrait également que le fait d’être une femme, d’être née à l’étranger, d’être hébergée en hôtel, d’avoir des enfants et d’être en couple sont des facteurs associés à une non-consommation. Ces facteurs (sauf le fait d’être en couple) sont les critères d’inclusion de la population d’ENFAMS, ce qui explique la faible consommation de substances des femmes de notre étude.

Une forte proportion de femmes sans couverture maladie et de refus de

soins à cause de la CMU ou l’AME

Près d’une femme sur cinq de notre enquête ne dispose pas de couverture maladie (contre moins d’1% en population générale) - proportion avoisinant celle de l’enquête SD 2012 avec 18% des personnes sans-domicile de l’agglomération parisienne qui n’ont pas de couverture maladie (Pierre-Marie et Roger 2014). Dans l’enquête SD 2012, l’absence de couverture maladie atteignait 45% chez les personnes sans-abri.

Même si près de 70% de notre population se déclare couverte par la CMU ou l’AME, l’absence de couverture pour 20% d’entre elles pose la question de l’accès (ou le maintien des droits d’accès) à la CMU ou à l’AME. Par ailleurs, sur 560 femmes sans-domicile de notre étude bénéficiant de la CMU ou de l’AME, 22% ont déclaré qu’on leur a déjà refusé une consultation médicale parce qu’elles avaient la CMU ou l’AME.

Dans un testing mené à Paris, un médecin généraliste sur quatre avait refusé un rendez-vous à un patient du seul fait qu’il était couvert par la CMU (Parizot 2014). En secteur 236, le refus des médecins était plus important qu’en secteur 1 (32,6% contre 9,2%). Les raisons des refus étaient : l’appréhension d’une prise en charge médicale plus compliquée, des tâches de gestion plus longues, la crainte que la présence d’un patient « défavorisé » ne gêne sa patientèle habituelle, le principe des tarifs opposables de l’assurance maladie (empêche les médecins en secteur 2 d’appliquer leur dépassement d’honoraires). Dans un rapport remis au Premier ministre en 2014, le Défenseur des droits fait état des refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’AME et l’ACS (Aide pour une complémentaire santé) : « en premier lieu, il ressort de nombreux

36 Le secteur 1 correspond au tarif servant de base au remboursement de la caisse d'assurance maladie. Le secteur 2 est également appelé « secteur conventionné à honoraires libres ». Les tarifs pratiqués par les médecins qui exercent en secteur 2 sont libres et sont fixés par le médecin.

97 constats documentés que la complexité d’accès à ces dispositifs et/ou du maintien de l’ouverture des droits se traduit par un phénomène croissant de « non recours aux droits », autrement dit de renoncement pur et simple au bénéfice des dispositifs concernés. Par ailleurs en second lieu, il est établi que certains professionnels de santé refusent l’accès au système de soins à des bénéficiaires de ces dispositifs. » (Le Défenseur des droits 2014).

Un moindre recours aux soins

Globalement, le recours aux soins des femmes sans-domicile est moindre qu’en population générale - résultat retrouvé dans les nombreuses études de la littérature étrangère (Hatton 2001; Hwang et al. 2010). Dans l’enquête SD 2012, la proportion de femmes qui a consulté dans l’année un médecin généraliste ou spécialiste est plus importante que dans notre étude (92% contre 82% dans notre étude) (Moisy 2015). Nous n’avions pas d’information sur la fréquence des consultations en soins primaires, ni des spécialistes ni des urgences. En revanche nous disposions du lieu de dernière consultation : la moitié des femmes ayant participé à l’enquête ENFAMS avait consulté dans un cabinet médical (52,6%), 22,3% avaient consulté à l’hôpital (urgences, PASS, consultations externes), et 17,2% dans un centre médical37. Seulement 1,9% des femmes avaient consulté dans une association comme Médecins du Monde ou Emmaüs.

La littérature indique que les femmes sans-domicile ont, en général, plus souvent recours aux urgences, à l’hôpital et moins aux soins en ville, parce qu’elles consultent lors de problèmes de santé graves et/ou aigus (Padgett et al. 1995; Kushel et al. 2002)38. Leur comportement est davantage curatif et non préventif (Brunet et al. 2005).

Conclusion

En conclusion, cette partie du manuscrit a permis de présenter quelques indicateurs sur les conditions de vie, l’état de santé, et le recours aux soins des femmes sans logement. Nous avons pu constater des écarts importants avec la population générale – toujours en défaveur des femmes sans logement. Afin d’explorer davantage les barrières qu’elles